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Critique littéraire

Entre elles, les silences

Les indices laissés par Michel Layaz pour résoudre cette énigme, bien qu’ils manquent un peu de finesse, orientent le parcours de lecture de Deux filles (2024). D’abord interloqué par le regard que porte le narrateur sur le corps de Sélène (on connaît l’odeur de ses cheveux, la longueur de ses jambes, le ductus de ses doigts…), le lecteur est guidé par les focalisations narratives, presque cinématographiques, qui tâchent de lui expliquer les raisons de son trouble.

À l’image de leur goût pour le maraîchage, les sentiments réciproques entre Olga et Sélène croissent au fil des pages. Sans laisser le temps à la vie de répondre au mystère posé par cet amour – véritable intérêt du roman – l’auteur enterre ses délicates descriptions d’émotions sous une série de rebondissements. Au rythme de cette inspection, des histoires dramatiques secondaires s’agencent en mosaïques autour du récit principal. On perçoit alors par fragments la vie d’Amandin, SDF et artiste qui ne saura jamais que ses œuvres ont été exposées, ou celle du marcheur professionnel qui parcourt des kilomètres et des kilomètres sans jamais savoir où aller. Ces péripéties font alors trop de bruit et prennent la place des silences, pourtant si parlants dans ce roman.


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Critique littéraire

La filiation hors des sentiers battus

Après un long voyage, Olga rentre à Paris chez son père. Elle est accompagnée de Sélène, rencontrée en Asie. L’une se passionne pour l’art, l’autre a une formation de maraichère. Elles se projettent loin ensemble. Leurs différences ne font que nourrir leur amour naissant, mais le père d’Olga éprouve dès le départ un malaise face à Sélène. À la manière d’un enquêteur, le lecteur ou la lectrice cherche à élucider ce mystère initial en suivant une histoire pleine de rebondissements. Au fil des voyages insolites et des découvertes plutôt mystiques, le trio se soude. Le passé du père – le narrateur du récit – est évoqué par le biais d’impressions partagées qui fonctionnent pour le lecteur ou la lectrice comme autant d’indices. Sa soif de vérité s’exprime dans une trame intime et complexe de questions existentielles, si bien que le passé du père et le présent des deux filles se télescopent. Une tension narrative maitrisée mène subtilement aux origines du problème.

L’enchainement des événements et leurs accents de plus en plus dramatiques détournent parfois le roman du traitement approfondi de certaines thématiques subtilement amenées. La filiation, l’amour entre deux femmes – qui peine à s’exprimer dans ses nuances, parce que le récit adopte le point de vue unique du père – et la question des origines dialoguent à la manière de touches de peinture abstraites. L’écrivain fribourgeois Michel Layaz invite ainsi à deviner ce que les mots ne disent qu’entre les lignes.

Le contraste formel entre de longues séquences descriptives et des phrases courtes interpelle le lecteur à la manière de vers poétiques. La langue délicate déployée par l’auteur dans ce roman aux allures de prophétie adoucit le destin des trois personnages, pour le meilleur et pour le pire.