Irene Becci, a guidé une visite dans le cadre de la Nuit des musées 2022 au Musée de la nature du Valais à Sion, intitulée « Une balade entre nature et imaginaires« .
Cette visite a suscité un grand intérêt chez les responsables du Musée de la nature, en effet, le directeur du musée, Nicolas Kramar, a souligné l’importance de travailler activement sur les relations entre les sociétés et leur environnement dans l’anthropocène. Le Musée ne s’intéresse pas seulement aux aspects physiques de l’écologie, mais aussi aux dimensions symboliques de la représentation de la nature dans les récits et les narratifs. La visite guidée a donc permis de mettre en lumière ces aspects importants de notre rapport à l’environnement, en explorant les différentes salles du musée et en examinant les représentations symboliques qui y sont présentes.
Cette visite a été très enrichissante et a permis de sensibiliser les visiteurs à l’importance de prendre en compte les dimensions spirituelles et symboliques de notre relation avec la nature.
Irene Becci a mené une balade très instructive au Musée de la nature de Sion. Au cours de cette parcours, elle a exploré la première salle, intitulée « Chasser et cueillir », qui est dédiée à la période mésolithique, entre 8000 et 5500 avant notre ère. Cette période est intéressante car elle reflète une vision de la nature encore pure, non polluée par l’intervention humaine. Cette idée est issue de recherches menées par des archéologues, telles que Marija Gimbutas, qui ont trouvé des figurines archéologiques représentant des Déesses. Bien que la théorie selon laquelle il y avait une vision de la grande Déesse soit scientifiquement discutable, elle a eu un impact significatif sur l’imaginaire de certaines personnes pratiquant des spiritualités écologiques. Cette vision est articulée autour de la nature, de l’environnement et des formes naturelles du vivant, et elle est présente aujourd’hui dans certains imaginaires spirituels et écospirituels.
Dans la deuxième salle intitulée « Domestiquer et cultiver », on avance un peu dans le temps pour explorer comment l’humain a commencé à cultiver et à domestiquer la nature. Dans cette période l’humain a pris conscience que planter des graines peut influencer la manière dont la nature se comporte. Cela a conduit à une nouvelle façon de voir la nature, non plus comme une grande Déesse à laquelle on est soumis, mais plutôt comme une force que nous pouvons influencer.
Cette idée a inspiré certaines spiritualités écologiques qui ont puisé leur source dans des traditions anciennes, comme les carnavals, les folklores ou les traités de démonologie. Selon Irene Becci, ces mouvements ne cherchent pas à reproduire le passé de manière nostalgique, mais à le mettre à jour avec les connaissances actuelles. Ainsi, les vignes biodynamiques, par exemple, inspirées des écrits de Rudolf Steiner, étudiées par Alexandre Grandjean dans sa thèse, ont permis de trouver un équilibre entre les traditions anciennes et les connaissances scientifiques actuelles.
Toutefois, Irene Becci souligne que ces spiritualités sont anthropocentrées, c’est-à-dire centrées sur l’humain, et qu’elles continuent d’utiliser un langage genré. Dans son livre « Sorcières: La puissance invaincue des femmes », Mona Chollet, journaliste et essayiste suisse, explore la relation entre les femmes et la nature dans les spiritualités écologiques contemporaines. De même, Joëlle Chautems, chamane suisse, s’intéresse dans son livre « Guide des lieux enchantés de Suisse romande » à la manière dont certaines traditions anciennes sont réinterprétées dans les spiritualités écologiques actuelles.
En somme, ces spiritualités écologiques prônent l’écoute et l’interaction avec la nature, mais leur vision de celle-ci reste encore limitée. En effet, elles ne reconnaissent la nature que par rapport à nos propres sensations et émotions, et ne prennent pas en compte la complexité et l’indépendance de celle-ci.
La troisième salle, intitulée « Exploiter et dominer », continue d’explorer les traditions du passé qui ont façonné notre relation actuelle avec la nature. Comment les sociétés ont exploité et dominé la nature à travers les âges. Cette domination de la nature est souvent justifiée par des traditions oppressives qui ont conduit à une situation écologique précaire.
Le Musée invite ainsi à réfléchir sur notre propre relation à la nature. Nous avons plusieurs modèles de pensée et de comportement face à la nature. Toutefois, nous devons comprendre que nous ne sommes pas seulement en relation avec la nature, nous en faisons partie intégrante. Cette notion a été explorée par de nombreux auteurs, notamment par Lynn White dans son essai « Les racines historiques de notre crise écologique » en 1967, dans lequel il souligne l’importance de la vision chrétienne anthropocentrique qui a justifié la domination de la nature par l’homme. Toutefois, White propose également une solution religieuse à la crise écologique, en suggérant que les religions doivent réviser leur vision du monde et inclure une dimension écologique.
Il est important de souligner que les religions ne sont pas figées dans une vision unique et homogène de la nature. Au sein de chaque tradition religieuse, il y a des tensions et des divergences d’opinions sur la place de l’homme dans la nature. Le christianisme, par exemple, peut être très anthropocentrique, comme l’a souligné Lynn White, mais il peut également prôner une vision écologique, comme le montre l’exemple de Saint François d’Assise. Ainsi, la religion peut être une source d’inspiration pour une vision plus respectueuse de la nature, mais elle peut également représenter un obstacle à une telle vision.
En effet, la volonté de classer et de classifier la nature est une caractéristique de la modernité, comme le montre l’exemple de Linné, qui a cherché à classifier toutes les espèces vivantes. Cette vision de la nature comme un reflet de l’homme a été très présente dans l’imaginaire occidental, qui cherchait à trouver des similitudes entre l’homme et la nature pour mieux la comprendre et la dominer.
Aujourd’hui, il existe un mouvement appelé « Greening of religion » qui cherche à intégrer une dimension écologique dans les religions. Cependant, ce mouvement reste encore très marginal en Suisse et dans d’autres pays. La religion reste souvent focalisée sur d’autres problématiques sociales, telles que la solidarité Nord-Sud ou la pauvreté, et la question écologique reste un sujet secondaire. Cependant, des initiatives telles que l’association Eco en Suisse ou le mouvement Extinction Rebellion, montrent que les religions peuvent devenir des acteurs importants dans la lutte pour la préservation de l’environnement.
La quatrième salle du Musée de la nature du Valais, explore quelques aspects intéressants de la pensée de Linné et de son influence sur la naissance de l’écologie.
Linné a été un grand naturaliste suédois qui a créé le système de classification des espèces vivantes que nous utilisons encore aujourd’hui. Mais il y a un autre aspect de sa pensée qui mérite d’être souligné : son intérêt pour les relations entre les êtres vivants et leur environnement. En d’autres termes, il était également un précurseur de l’écologie, une science qui étudie les interactions complexes entre les différents éléments de la nature.
En effet, le terme « écologie » lui-même a été inventé par le biologiste allemand Ernst Haeckel en 1866, une période où l’écologie commençait à prendre de l’importance en tant que discipline scientifique. C’était également une période marquée par des débats entre les différentes interprétations de l’écologie. Certains biologistes, comme Haeckel, ont adopté une approche darwinienne, centrée sur la compétition entre les espèces, tandis que d’autres, comme Ellen Swallow et d’autres humanistes, ont souligné l’importance de la relation entre les éléments de la nature pour la santé humaine.
Aujourd’hui, de nombreux écologistes sont préoccupés par la santé de la planète et de ses habitants, et considèrent que la santé est un thème central dans leurs réflexions et actions. Ils sont souvent inspirés par des pratiques écospirituelles qui visent à guérir le monde naturel et les êtres humains. Par exemple, beaucoup pratiquent la méditation, une pratique qui peut être considérée comme spirituelle mais qui peut également être abordée de manière laïque en se concentrant simplement sur les effets positifs qu’elle peut avoir sur la santé.
En fin de compte, la façon d’aborder les relations entre les êtres vivants et leur environnement dépend souvent de la perspective et croyances. Mais ce qui est certain, c’est que l’écologie est une science qui permet de mieux comprendre la complexité de la nature.
Cinquième salle, Occupation et surexploitation. Beaucoup d’environnementalistes s’appuient sur l’idée qu’il y a des êtres et des esprits dans la nature. En Suisse, il existe un guide appelé « Les esprits de la nature dans les parcs de Suisse romande » où vous pouvez suivre les idées de certains auteurs comme Steeve di Marco ou d’autres auteurs qui ont traversé cette période. Ces guides tentent de libérer ces animaux et en particulier les plantes et les arbres de leur enfermement en leur donnant une symbolique différente. Lorsque nous avons besoin de nous ressourcer, il est intéressant de se connecter à la nature. Cela devient une ressource pour beaucoup de spiritualités lorsqu’ils sont dans l’anxiété, l’angoisse ou la nostalgie. En enlevant les chaussures et en s’asseyant près d’un arbre, ou en embrassant un arbre pour se ressourcer, certains cherchent à se reconnecter avec différentes forces cosmiques ou telluriques. Cette approche peut sembler étrange, mais Bruno Latour ou Lovelock ont écrit sur l’idée de Gaia, où l’on peut imaginer que la Terre réagit quelque part où il y a une vie et a une logique propre. Cela aide énormément les personnes à continuer leur activité écologique ou autre. Il existe de nombreuses propositions dans ce sens-là, notamment des chants de bol tibétains dans la nature ou des expériences de force qui montent de certains rochers ou sources. Cette image aide énormément de personnes simplement à continuer une activité écologique ou autre. C’est pour cela que nous avons appelé le projet “Arborescence”, car les personnes sensibles à ces questions écologiques vont aller au festival de la terre à Lausanne, au festival AlternatYv d’Yverdon ou Alternatiba et tout à coup, ils se retrouveront à chercher un animal au Totem ou à faire une séance de tambour. Il y a donc effectivement un changement culturel plus vaste qui donne une autre place à cette nature. C’est comme une arborescence qui part dans tous les sens mais crée finalement une canopée. On ne sait pas encore si c’est une révolution culturelle, mais il y a effectivement beaucoup de liens entre ces différentes formes de spiritualité, même s’il y a aussi des différences.
Continue le voyage à travers les différentes conceptions de la nature. Irene Becci a également souligné l’importance de la langue dans notre manière de penser la nature et de pratiquer notre culture. En Suisse, par exemple, les différences linguistiques ont influencé les représentations symboliques associées à la nature, avec des nuances linguistiques différentes entre les régions. Les germanophones et les francophones ont une vision un peu différente de la nature. En effet, à partir des années 70, le mot « umwelt » est devenu courant en allemand, tandis que les francophones utilisaient le terme « environnement ». Le mot « umwelt » signifie le monde qui nous entoure, mais avec l’être humain au centre. C’est intéressant de constater comment, tout à coup, on ne parle plus de nature, mais de « umwelt ». Cela montre que nous sommes au centre et ne faisons pas partie de cette nature.
Le terme « environnement » en français est également intéressant, car on ne sait pas vraiment d’où il vient. Il semble provenir du mot « vibrer » en latin, qui signifie également « tourner quelque part ». Ce mot a inspiré les activistes écologistes en Allemagne pour inventer le terme « umweltunda », qui signifie celui qui porte atteinte à l’environnement. En fait, le mot nature est beaucoup plus complexe, car il peut faire référence à différents types de nature, comme la nature humaine ou la nature du fromage.
À l’époque où les religions étaient très influentes, la vision anthropocentrée était très courante. Cependant, aujourd’hui, les choses ont changé, et de nouvelles pratiques et spiritualités ont émergé. Par exemple, les néo-chamanes sont désormais présents dans les festivals, alors qu’il y a deux ou trois générations, ces pratiques étaient considérées comme marginales et mal vues. Cette évolution montre la nouvelle attention que nous portons à l’écologie et la nouvelle place que nous donnons à ces nouvelles spiritualités.
Salle « Préserver et restaurer » du Musée de la nature du Valais où on explore les différentes pratiques écospirituelles qui mettent l’accent sur la préservation de la nature. Joanna Macy, une philosophe californienne spécialiste du bouddhisme, a créé une série de pratiques appelées « Le travail qui relie« , qui peuvent être mises en œuvre par des groupes tels que Extinction Rébellion. Le Laboratoire de la transition intérieure, créé par Michel Maxime Egger en 2015, propose également des ateliers et des visites pour sensibiliser les gens à la nécessité de restaurer notre relation avec la nature.
Ces pratiques font partie de l’éco-psychologie, qui encourage les individus à reconnaître leurs émotions face à la crise écologique et à les exprimer. Les pratiques écospirituelles mettent l’accent sur la nécessité de réparer notre relation avec nous-mêmes, ainsi qu’avec la nature. Les émotions sont considérées comme féminines ou masculines, et la tristesse est souvent considérée comme une émotion féminine. Il est donc important d’apprendre à prendre soin de la nature et de nous-mêmes en réparant notre relation avec elle.
Les mouvements écologiques non violents et la communication sont encouragés, plutôt que la révolution violente. Les méditants militants sont une nouvelle vision de l’action écologique, qui met l’accent sur la méditation et la non-violence. Ces mouvements sont souvent composés de personnes ayant un haut niveau de connaissance et d’intégration, mais restent souvent réservés à des cercles blancs et privilégiés.
Il est important de noter que les personnes les plus touchées par les dégâts écologiques ne sont pas toujours celles qui participent aux pratiques écospirituelles, qui restent souvent l’apanage de personnes privilégiées. Cependant, ces pratiques sont également adoptées par des experts, des leaders et des professeurs dans différents domaines, ce qui montre leur importance dans la sensibilisation à la nécessité de préserver et de restaurer notre relation avec la nature
Dans la sixième salle, l’anthropocène, on rentre dans une ère géologique caractérisée par l’impact des activités humaines sur l’environnement. Si le terme a été largement adopté pour décrire l’époque actuelle, certains spécialistes des écospiritualités critiquent cette appellation jugée trop générique. En effet, les dégâts les plus importants sont causés par les pays industrialisés, principalement par les Occidentaux et leur modèle de consommation. Certains auteurs, tels que Donna Haraway, préfèrent parler d’androcène ou de Chthulucene pour mettre en avant l’influence du modèle masculiniste et violent sur notre environnement.
Ces réflexions sur la nature sont également l’occasion de questionner les représentations traditionnelles des genres et de souligner les porosités entre nature et culture. Les écospiritualités proposent ainsi une vision de la nature-culture, où l’être humain n’est pas dissocié de son environnement et où la collaboration prime sur la domination.
Des praticiennes de néo chamanisme comme celles que nous avons rencontrées, prônent la porosité entre les mondes et les états pour envisager l’environnement et notre rapport à lui de manière différente. Elles proposent une vision de la magie et des esprits qui permet de sortir des définitions figées et de collaborer avec la nature plutôt que de la dominer. En somme, une vision alternative qui invite à repenser notre rapport à l’environnement et à explorer de nouvelles voies pour préserver notre planète