Saga sur le patrimoine local
Quand bloguer et histoire suisse se marient, cela donne une passionnante saga sur le patrimoine local.
Votre création
Son nom: Helvetia Historica (lancé en 2017, ce blog n’existe plus en 2023, un guide sur le patrimoine romand a été publié aux Editions Favre en 2019, lire l’article par Lysiane Christen (Unicom – UNIL)).
Ma création est un blogue consacré à l’histoire de la Suisse. Chaque semaine, je publie un article traitant d’un nouveau sujet, de manière à réinterroger certains épisodes du passé et à faire découvrir le patrimoine local.
De plus en plus fréquemment, je vais à la rencontre de personnalités qui font vivre le patrimoine: archivistes, historiens de l’art ou encore conservateurs de musée. L’objectif est à la fois ambitieux et très stimulant: mettre à la disposition du plus grand nombre, dans un langage accessible à tous, des contenus de qualité, sans renoncer à l’exigence d’une démarche historienne.
Votre idée
Pourquoi faites-vous ce que vous faites maintenant ?
Ce blogue n’aurait pas vu le jour si je n’avais pas été passionné par l’étude du passé. Ce goût pour l’histoire me vient sans doute de l’enfance.
Tout d’abord, j’ai eu la chance de suivre l’enseignement de professeurs d’histoire tout à fait fascinants, au cours de ma scolarité obligatoire. Je dois beaucoup à deux d’entre eux, que je tiens à citer afin de leur rendre hommage: M. Christian Pittet et M. François Hohenauer. Ils avaient le talent, la patience et le don de transmettre l’amour des belles lettres, l’opportunité de penser par soi-même, l’intérêt pour la chose publique. J’ai en quelque sorte fait mes premières humanités grâce à eux.
Par ailleurs, j’ai grandi dans le hameau (« Le Grenet » sur le territoire communal de Forel, Lavaux) où ma famille est installée depuis la fin du Moyen Âge. Par conséquent, si l’on se réfère à la chronologie officielle des manuels d’histoire, mes ancêtres ont successivement connu le règne de l’évêque Aymon de Montfalcon, l’invasion bernoise et le passage à la Réforme, l’arrivée des huguenots, l’Acte de Médiation, la naissance du canton, la constitution de l’Etat fédéral, les mobilisations pour les deux guerres mondiales.
Cependant, si l’on se penche sur la microhistoire, d’autres éléments parfois occultés se retrouvent mis en lumière: mon lointain ancêtre, un certain Pierre, a quitté ses montagnes savoyardes pour s’installer à Lutry, avant de travailler la terre des Monts de Lavaux. Il aura sans doute fui la surpopulation, la crise agricole, pour se réfugier dans une ville en manque criant d’habitants. La peste noire était passée par là…
Plus proche de nous, mon regretté grand-père, malgré ses facultés intellectuelles, n’a guère pu étudier au-delà de l’école obligatoire. Jusqu’au siècle dernier, bien des enfants des campagnes étaient pour ainsi dire prédestinés aux métiers de la terre. Il n’était guère possible d’opposer son veto à une telle existence.
Si mon blogue cherche à interroger le passé et à débusquer les mythes qui ont progressivement été construits, c’est sans doute en partie par fidélité à mon héritage culturel rural. J’ai à cœur d’évoquer les petites gens, les voix qui n’ont jamais été entendues, les exclus et les marginalisés. Je ne prétends bien entendu pas être novateur dans ma démarche, et je crois qu’il y a matière à s’en réjouir.
Ainsi, certaines erreurs commises ont été reconnues. Pensons au cas des enfants placés ou aux Yéniches que l’on arrachait à leurs parents. La réhabilitation ne répare pas, mais elle offre une visibilité salutaire.
Quelles sont vos convictions, vos valeurs?
Je crois que nous faisons tous des choix existentiels, à un moment ou à un autre de notre vie. Certaines rencontres ou certaines situations auxquelles nous faisons face ont un effet déclencheur. Pour ma part, j’ai peu à peu pris conscience que je restais trop souvent dans le rôle du spectateur et, il faut l’avouer, du spectateur parfois critique. Las de cette attitude, je me suis lancé de nouveaux défis. L’élaboration du blogue a participé de ce mouvement, de cette volonté d’être l’acteur d’un projet constructif.
Cette décision a incontestablement eu des effets bénéfiques. Le blogue m’a permis de partager mon enthousiasme, d’incarner à mon tour le rôle de modeste passeur. Je ne boude pas mon plaisir d’être parvenu à combiner plusieurs de mes intérêts principaux: l’histoire, les visites culturelles et l’écriture. A mon sens, un blogue ne se conçoit pas seulement dans la pénombre mystérieuse d’un cabinet de curiosités éclairé à la bougie, mais aussi sur le terrain, au travers d’échanges.
Quelle est la raison d’être de votre blogue?
Le but premier de mon blogue réside dans la valorisation de l’histoire et des patrimoines, qu’ils soient immatériels, architecturaux, artistiques ou encore artisanaux. Je souhaite participer, à mon niveau, à la diffusion des connaissances liées à mon domaine de compétence. Il s’agit peut-être d’une vocation… En tout cas, je crois sincèrement que l’étude de l’histoire constitue un devoir citoyen et une victoire sur les certitudes.
Pourquoi est-ce que vous vous levez le matin?
Je me réveille chaque jour en me faisant la même promesse: lever un peu plus le voile sur tout ce qui m’est encore inconnu. Je ne me contente pas des livres (qui sont cela dit mes compagnons de toujours), mais aussi d’expériences tout à fait concrètes.
Par exemple, lorsque je scrute une carte géographique, je n’y vois pas que la représentation d’une étendue plus ou moins montagneuse. Je conçois cet instrument comme une vaste encyclopédie en puissance, dans laquelle il y aurait une foule d’informations à puiser.
Aussi, plusieurs fois par mois, je pars en excursion dans toute la Suisse, dans le but de découvrir de nouvelles régions, de visiter églises, monuments et musées. De telles aventures ne sont pas seulement formatrices d’un point de vue intellectuel. Elles donnent à penser sur bien des aspects qui caractérisent ce curieux assemblage qu’est la Confédération helvétique.
Peut-on réellement faire de l’histoire sans avoir quitté son horizon quotidien ? D’après moi, il est indispensable de connaître le pays dont on prétend vouloir appréhender le passé, et de le connaître par les cinq sens. Voir de ses yeux les oriels de Saint-Gall, entendre les cloches de la cathédrale de Coire, ressentir un frisson en poussant la porte de la bibliothèque monacale d’Einsiedeln… Voilà des expériences jubilatoires que tout amateur d’histoire devrait vivre.
Pourquoi ce que vous faites intéresse les autres ?
En toute modestie, en lançant mon blogue, je n’avais véritablement pas réfléchi au lectorat qu’il pourrait atteindre. Ma démarche était en somme naïve et intuitive. Je n’aurai jamais pensé comptabiliser plus de 100’000 visites en quelques mois, et encore moins que des milliers de personnes me suivraient sur les réseaux sociaux.
En effet, il existe déjà un magazine romand consacré à l’histoire, qui propose une offre de qualité accessible au grand public. De la même façon, d’excellents ouvrages généraux permettent une entrée en matière très intéressante dans le domaine.
J’imagine que plusieurs explications permettent de comprendre l’accueil généreux que m’a réservé le public. Tout d’abord, je tente de soulever des aspects méconnus du passé ou d’interroger des légendes qui nous semblent aller de soi. Par ailleurs, je m’emploie à laisser transparaître ma passion pour l’histoire, en glissant ça et là quelques anecdotes qui donnent corps à mes articles. Et puis, n’oublions pas que l’accès au blogue est gratuit, ce qui me permet d’aller à la rencontre d’un public peu coutumier du rayon « Histoire suisse » des librairies.
Votre conseil
Accueillez avec reconnaissance et humilité les critiques constructives. Elles sont les plus utiles à la progression de votre projet. Aujourd’hui, je suis particulièrement friand des messages de lectrices et de lecteurs qui m’incitent à reconsidérer mon point de vue.
Faire de l’histoire, pour en revenir à mon domaine, c’est aussi se montrer capable d’entendre l’opinion d’autrui. Nous ressortons toujours grandis du débat.
Article de Jeyanthy Geymeier, Bureau des alumni, 11 février 2019