Le sourcier des réfugiés
Diplôme obtenu à l’UNIL : Licence en sciences économiques, mention management (2006), Hautes études commerciales.
Votre création
Son nom : Water Inception -> lien qui ne fonctionne plus en 2023.
L’aventure Water Inception sur Youtube – 6’13
Waterinception a deux missions principales: la première est de sensibiliser la population à la crise mondiale de l’eau; la deuxième est de mettre en avant les technologies innovantes pour aider des populations vulnérables à obtenir de l’eau potable en suffisance.
Votre idée
Je suis un fils de réfugiés, originaire du Vietnam, et suis né dans un camp de réfugiés à Kuala Lumpur, en Malaisie. J’ai eu la chance de grandir en Suisse, car selon le UNHCR, la durée moyenne de vie dans un camp de réfugiés est de 20 à 25 ans. Il s’en est fallu de peu que je vive toute mon enfance dans ce camp.
Quand j’ai découvert l’existence de machines qui produisent de l’eau à partir de l’humidité de l’air, il y a quelques mois, j’ai décidé d’aller visiter un camp de réfugiés au Liban pour me rendre compte des conditions de vie des gens. Ce camp comprend 147 réfugiés dont une centaine sont des enfants de moins de 13 ans.
Leur plus grand problème est qu’ils reçoivent de l’eau non potable et qu’ils doivent acheter l’eau potable en bouteille. La plupart des réfugiés du camp n’ont pas de permis de travail et font des petits boulots au noir payés au lance-pierre voire pas du tout. Il est donc très coûteux de s’approvisionner en eau potable. Les enfants sont aussi condamnés à travailler pour aider leurs parents. Cette situation m’a beaucoup touché et je ne pouvais pas ne rien faire. J’ai donc décidé de monter une association pour récolter des fonds afin d’acheter un de ces générateurs d’eau atmosphérique et l’offrir aux réfugiés.
La machine pour laquelle nous avons levé plus de 25’000€ sur la plateforme IndieGoGo.com peut produire 400 litres d’eau par jour. Ce qui équivaut à 2,5 litres par personne pour les réfugiés du camp que j’ai visité et permettra de couvrir leur besoin journalier.
La machine sera alimentée par l’énergie solaire afin de limiter les dégâts en cas de coupure d’électricité. Si tout va bien, nous pourrons la livrer début septembre 2018. Rien n’est encore gagné car les gens sur le terrain me disent que le Liban est encore très corrompu, ce qui pourrait poser problème pour la suite. Toutefois, la municipalité est ouverte à ce projet, même si je n’ai pas encore de confirmation écrite.
Quelles sont vos motivations ?
Pour moi c’est de tendre vers mon « Ikigai ». L’ikigai est un concept japonais: Iki signifie « la vie » et Gaï, « la réalisation de ce que l’on attend, de ce que l’on espère ». Vivre en accord avec son Ikigai, c’est donc trouver sa raison d’être au monde.
L’ikigai est la combinaison à la fois de notre passion, de nos compétences, de notre contribution positive pour la société et d’une activité pour laquelle on est payé. J’œuvre au quotidien pour atteindre un jour mon ikigai, mais il y a encore beaucoup de chemin à parcourir.
Mon objectif est d’avoir un impact positif sur la société à travers mes activités professionnelles. C’est d’autant plus facile si je suis indépendant et ne dépends pas d’un employeur. Et je crois que la technologie peut nous aider à obtenir cette autonomie.
Si nous étions autonomes, il ne serait plus nécessaire de payer son loyer, sa nourriture, ses assurances, on disposerait de davantage de temps pour se focaliser sur son ikigai. Ainsi tout le monde aurait naturellement l’énergie et l’envie de contribuer positivement au bien-être de la société. Et je suis convaincu que cela mettrait fin à de nombreux conflits. J’espère que mon projet permettra de démarrer un mouvement dans cette direction.
Quelle est la raison d’être de votre association ?
Notre mission est d’offrir un accès à de l’eau potable. Pour nous, l’accès à l’eau est un droit universel. Personne ne devrait mourir de soif par manque d’eau, ni mourir de maladie à cause d’une eau insalubre. Par contre, affirmer aujourd’hui que l’eau est gratuite serait un non sens. En premier lieu du fait de la diminution de l’eau sur le globe, et ensuite parce que son extraction a un coût. C’est le rôle des gouvernements que d’assurer l’accessibilité à l’eau pour leurs citoyens. Nous nous battons pour des gens qui n’ont pas de voix pour demander de l’aide ni de moyens financiers pour accéder à des technologies existantes.
Pourquoi est-ce que vous vous levez le matin ?
Pour inspirer les futures générations à se lancer dans l’entrepreneuriat social, à travers mes activités. On me dit souvent : « tu ne possèdes pas les brevets sur les machines. Il existe un risque que d’autres personnes s’emparent de ton idée et fassent la même chose que toi ». Pour moi ce n’est pas un problème. Tant mieux si mon initiative peut inspirer et inciter des personnes à aider et faire le bien autour d’elles. L’important est que les futures générations – et même celles d’aujourd’hui – se rendent compte qu’il existe un avenir dans l’entrepreneuriat social.
Pourquoi ce que vous faites intéresse les autres ?
Nous voyons tous la souffrance dans le monde. Les gens sont bombardés de nouvelles sur des situations dramatiques en Syrie, mais aussi au sujet des Rohingas, des Yemenites et j’en passe. Il y a actuellement 65 millions de réfugiés dans le monde, soit l’équivalent de la population de l’Angleterre ! Et je pense que nous sommes tous sensibles à ces drames.
La crise de l’eau est inéluctable, les gens s’en rendent compte petit à petit. Les technologies existent, il ne manque plus que des « early adopters » pour les rendre utilisables par la masse. Comme avec les panneaux solaires, qui étaient chers et peu exploités au début, mais qui maintenant sont presque obligatoires dans un souci de durabilité.
Souvent la crise de l’eau résulte d’une mauvaise gouvernance de l’état. C’est pourquoi nous amenons une solution afin de préparer le futur. En cas de pénurie, il s’agit d’être en mesure de produire de l’eau et abreuver des populations vulnérables. Nous ne comptons pas sur les gouvernements pour que les choses bougent.
Votre conseil
A ceux qui sont encore aux études ou qui viennent de terminer, je dis: « Commencez tôt à explorer votre ikigai. Réfléchissez à des projets que vous pourriez démarrer ». Vivre encore chez ses parents procure une sécurité très appréciable pour entreprendre toutes sortes de choses. C’est une période idéale pour chercher son chemin de vie. Autant tester toutes les possibilités quand on est encore dans le nid familial.
Bien sûr toutes les idées ne vont pas porter leurs fruits, mais il est préférable de se planter à la maison plutôt que sur le marché du travail. Il est aussi possible qu’on ne devienne jamais entrepreneur·e, mais employé·e et très heureux/se dans ce rôle. L’important est que ces expériences, même non réussies, seront des indications dans votre CV parlant de vous, de votre caractère, votre curiosité, votre courage et de votre persévérance.
Pour résumer: avant de vous lancer dans la « vrai vie » testez au maximum pour savoir dans quelle direction aller. Et ne prenez pas un travail juste pour le salaire, car vous allez perdre votre temps et ne serez probablement pas heureux.
A ceux qui ont déjà entamé une carrière professionnelle, je dis qu’il n’y a pas vraiment d’âge pour se lancer et qu’il faut simplement faire le premier pas. J’ai moi-même monté ma 3e aventure à 38 ans. De nos jours, beaucoup d’outils en ligne pour débuter sont disponibles gratuitement. Il est possible de monter son propre site sans connaissance en développement informatique, tout comme il est possible de créer des jolis visuels sans être un designer.
Lancez-vous, parlez de votre projet et si les gens au-delà de votre cercle d’amis vous soutiennent, c’est que vous êtes sur la bonne voie. Bonne chance !
Article de Jeyanthy Geymeier, Bureau des alumni, 27 août 2018