Nathalie Chuard

L’art de la diplomatie

Depuis le printemps 2023, Nathalie Chuard est la directrice du DCAF, le Centre pour la gouvernance du secteur de la sécurité à Genève après avoir été ambassadrice au Bangladesh. Première femme à ce poste, elle revient sur une carrière diplomatique initiée sur les bancs de la Faculté des lettres de l’Université de Lausanne.

Elle vient à peine de quitter le ciel azur de la Grande Pomme pour retrouver le stratus genevois. La Lausannoise, qui dirige le Centre pour la gouvernance du secteur de la sécurité à Genève (DCAF), connaît bien la mégapole. Elle y a travaillé quatre ans, au sein de la Mission Suisse auprès des Nations-Unies.

Cette fois-ci, elle a profité de la présidence suisse du Conseil de sécurité de l’ONU pour suivre les débats autour des programmes et des engagements en faveur des femmes, de la paix et de la sécurité, présidés par la Conseillère fédérale Viola Amherd. La Directrice du DCAF a d’ailleurs saisi cette opportunité pour présenter le rapport conjoint réalisé par l’ONU et le DCAF sur les enjeux facilitant la participation des femmes dans le secteur de la défense et de la paix. L’égalité des genres est au cœur du travail du DCAF et de l’engagement de la diplomate.

À 52 ans, Nathalie Chuard parle avec conviction du besoin de cet espace de discussions mondial, menacé mais indispensable: «En tant que diplomate suisse, je tiens fermement au multilatéralisme. C’est une prouesse de réunir autant de pays autour d’enjeux communs. Parfois, nous trouvons des solutions. Parfois pas. Mais c’est le jeu diplomatique, souligne la Lausannoise. L’ONU, c’est un lieu où les voix du terrain sont audibles et peuvent susciter de nouvelles réflexions et des engagements. Ce qui m’importe, c’est d’apprendre de l’autre. Le sens de la diplomatie est de chercher, puis trouver des espaces de dialogues, et des solutions.»

Parfois, cette mission peut paraître déconnectée des enjeux du terrain. Nathalie Chuard en a bien conscience. C’est d’ailleurs pour cette raison que la diplomate a toujours ressenti le besoin de s’immerger dans le concret et le réel, afin d’explorer «les manières de faire une différence dans la vie des gens.» Il y a eu l’Asie-Centrale post-soviétique, l’Iran, l’Afghanistan, le Proche-Orient, puis le Bangladesh en tant qu’ambassadrice suisse. La carrière de Nathalie Chuard ne ressemble en rien à celle d’une bureaucrate.

Chez Nathalie Chuard, la diplomatie n’est pas une vocation, mais le point de chute d’un cheminement mué par la curiosité: «J’ai toujours eu l’envie d’une carrière internationale, confesse-t-elle.» Mais laquelle? À l’Université de Lausanne, elle termine un cursus en langues et civilisations slaves: «Les études de Lettres m’ont posé un cadre théorique sur le monde et ses perspectives. C’était fondamental. Mais en sortant de l’Université, j’avais besoin de me confronter à la réalité. Nous étions à la fin des années 1990, une décennie pleine d’espoir après la chute du Mur.»

Plusieurs séjours en Russie vont lui donner d’autres lectures du monde. Une altérité qui va la guider dans sa future carrière. Nathalie Chuard s’oriente d’abord vers l’humanitaire: «Je voulais changer le monde, avoir un impact concret.» Elle s’inscrit donc à un programme de l’Organisation du développement et de la coopération (DDC). Engagée par Terre des hommes via la DDC, elle quittera vite les rives lémaniques pour la capitale afghane. En poste à Kaboul en 2001, quelques semaines seulement après les attentats du 11 septembre, Nathalie Chuard sera évacuée par Terre des hommes.

La diplomatie l’intrigue. Elle décide de se tourner vers les aspects plus politiques et s’inscrit au concours diplomatique. C’est un stage à l’ambassade de Suisse à Washington en 2008, et surtout en tant que coordinatrice politique de la mission suisse à New York, que Nathalie Chuard découvre la machine onusienne et la complexité de la résolution des conflits. Elle apprend les arcanes de la diplomatie et s’immerge dans les grands enjeux géopolitiques.

Alors qu’elle est chargée de l’unité suisse de la mission internationale d’observation à Hebron dans le Territoire palestinien occupé, Nathalie Chuard, qui vient d’intégrer le Département fédéral des Affaires étrangères, est évacuée une nouvelle fois. La Lausannoise ne tire pas un trait sur les expériences du terrain. Bien au contraire. Nathalie Chuard part pour l’Iran, puis devient cheffe des affaires humanitaires pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient à la DDC. Dans toutes ces expériences, elle développe toujours plus ses compétences dans la prévention et la construction de la paix.

Au fil de sa carrière, Nathalie Chuard démontre qu’elle n’a pas froid aux yeux et la capacité à s’adapter à des contextes parfois très compliqués. Peut-être une force de caractère héritée de son passé de nageuse de compétition: «Ce sport m’a appris la rigueur et la persévérance. Mais aussi l’esprit d’équipe et l’appartenance. Ces deux notions sont très importantes pour moi dans ma vie, comme dans mon travail.»

En 2020, Nathalie Chuard est nommée ambassadrice de Suisse au Bangladesh alors que les vagues successives de Covid-19 déferlent sur le monde. Confinement oblige, il lui faudra plusieurs mois avant de rencontrer personnellement l’ensemble de ses 48 collaborateurs. Pour elle, ambassadrice n’est pas un titre, mais une fonction dont elle est fière. Un métier à plusieurs facettes qui mêle la théorie et le terrain: «C’est surtout une ouverture sur le monde. On change tous les quatre ans. À chaque fois, il faut se réinventer. C’est fantastique et motivant.»

Mais quel est son secret pour faire rayonner la diplomatie suisse à l’étranger? «Je suis fière de notre système politique, de notre diversité et de notre culture du consensus. J’aime bien exporter cela à l’étranger, sans donner de leçons. On dit souvent que la Suisse prend son temps pour arriver à un consensus, mais la décision est solide. En même temps, nous cultivons une forme d’humilité. Avec nous, il n’y a pas d’agenda caché.»

Lausanne, le 16 janvier 2025

Article de Mehdi Atmani, Flypaper
Portrait de Nathalie Chuard © Felix Imhof