L’(im)patient directeur du MUDAC
À 54 ans, le Renanais est un paradoxe qui s’assume sans détours, s’épanouissant davantage dans les extrêmes de peur de s’ennuyer dans l’entre-deux. Un bosseur à la carrière patchwork tourné vers un seul objectif, offrir un récit sociétal grâce au design.
C’est un patient impatient. Un capitaine rassurant qui navigue de préférence sur les flots tumultueux au détriment des eaux calmes. Marco Costantini est un paradoxe qui s’assume sans détours, s’épanouissant davantage dans les extrêmes de peur de s’ennuyer dans l’entre-deux. L’ennui le paralyse d’ailleurs. Alors il aime à se faire peur pour la «sensation de vertige» que cela provoque. Une prise de risques qui n’a rien d’un jeu. Mais une patte qui s’imprime à la direction du Musée cantonal de design et d’arts appliqués contemporains (mudac), à Lausanne, dont il est à la tête depuis le début de l’année 2024.
Sans surprise, Marco Costantini a pris ses fonctions dans un contexte troublé. Bras droit de l’ancienne directrice Chantal Prod’hom jusqu’à son départ à la retraite en 2022, le Renanais avait soigneusement candidaté pour la remplacer. Mais c’est Beatrice Leanza qui lui est préférée. L’Italienne n’ira pas au-delà de sa période d’essai. La Fondation Plateforme 10, qui chapeaute le mudac et Photo Elysée, traverse sa première crise de jeunesse. Du haut de ses 54 ans et de son parcours aussi riche qu’éclectique, Marco Costantini vient en pacificateur.
Il ne jette pas les difficultés à la poubelle pour autant, mais les transpose dans sa vision de directeur. Dans la tête de Marco Costantini, «c’est une vision qui dépasse le fait de faire des expositions. J’ai constamment besoin de défis et de vertiges. Cette vision ne reflète pas nécessairement mes goûts personnels. Lorsque l’on prend la direction d’un musée, il faut s’oublier un peu; mettre de côté ses affinités et réfléchir à ce qui fait sens dans la société. C’est un va-et-vient constant entre subjectivité et objectivité. Je suis épris d’art médiéval et même de l’Antiquité, mais je suis profondément ancré dans le contemporain parce que j’ai envie de comprendre la société dans laquelle je vis.»
Lors des séances de commission pour l’acquisition d’objets, il met régulièrement en garde son équipe: «On n’enrichit pas une collection comme on décore son appartement. L’affect ne doit pas être un critère de sélection. C’est ce que l’objet va nous dire qui importe; ce qu’il est et où il va. Qu’il soit beau ou laid, il doit raconter un récit sociétal. Je suis quelqu’un qui a besoin d’être stimulé en permanence. La stimulation et la curiosité sont mes moteurs.»
Et il en faut pour porter un musée existant dans une nouvelle dimension au sein d’une plateforme: «C’est un modèle complètement différent d’avant, innovant et indépendant. Je peux confronter ma vision avec les autres acteurs de Plateforme 10, échanger et dialoguer. Cela comble la solitude du directeur.» Ce qui change vraiment d’avant? «Je suis passé de l’indépendance à l’institution. Maintenant je suis dans l’étatique.» Pour le reste, Marco Costantini reste fidèle à ce qu’il est, un bosseur (im)patient à la carrière patchwork, mais au cap bien défini.
Marco Costantini s’est toujours battu contre l’entre-soi et la facilité. Son parcours sinueux se démarque d’ailleurs des voies toutes tracées et parfois nanties. Le natif de Renens, lui, démarre par un apprentissage de dessinateur en bâtiment. Son CFC en poche, il mène de front un emploi à plein temps et les cours du gymnase du soir durant quatre ans: «Quand tu fais une maturité du soir, tu n’es pas là pour passer le temps. Mon plan de carrière était fait. L’objectif, c’était l’histoire de l’art.»
Les portes de l’Université de Lausanne s’ouvrent enfin: «J’étais extrêmement heureux d’y arriver, mais j’ai vite été désabusé. J’ai dû prendre mon rythme, car contrairement aux autres, je savais pourquoi j’étais là.» Marco Costantini mène son cursus en histoire de l’art brillamment et au pas de course. Il devient assistant et chargé de cours et travaille en parallèle dans les collections du Musée de l’Elysée (aujourd’hui Photo Elysée). Il devient ensuite conservateur associé au MCBA et monte des expositions en tant que commissaire: «À l’université, j’ai toujours refusé de sacrifier les expositions au profit de la thèse. C’était parfois compliqué de négocier avec les professeurs.»
Marco s’est toujours vu dans un musée plutôt que «dans la recherche fondamentale ou prof d’Uni. J’entretiens toujours d’excellents liens avec l’Université de Lausanne afin d’associer le musée avec des projets de recherches. Je ne (re)jette donc rien. J’accumule. Le fait d’avoir fait l’apprentissage m’a permis de me structurer. Le fait d’avoir fait le gymnase du soir et l’université, m’a aidé dans mon organisation personnelle. Tout cela, je l’utilise aujourd’hui.»
À son arrivée au mudac en tant qu’indépendant d’abord, Marco Costantini a su que c’était un musée qui lui correspondait: «Ce n’est pas un musée comme les autres, car il me permet de mélanger les choses et d’être plus généreux avec le public, explique-t-il. Avec le design je peux aborder des questions plus vastes avec une liberté de ton et de pratique. On est moins prisonnier de nos médiums. Je me serai vite ennuyé sinon.» On le croit. Marco Costantini profite de ce luxe avec l’idée folle, née dans la tête de sa responsable de la communication et du marketing, de créer une odeur du mudac en fin d’année: «J’ai toujours adoré l’art immatériel.»
Et puis, il y a d’autres chantiers. Comme celui de faire une place à l’architecture dans son musée, d’associer le mudac avec d’autres institutions nationales et internationales. Marco Costantini lorgne aussi sur une candidature du Musée à la Biennale 2027 de Venise: «On explore de nouveaux territoires. La coproduction nous permet des échanges stimulants.» Mais le gros chantier reste la rédaction inédite de la mémoire du design en Suisse romande. Un projet maous qu’il souhaite réaliser idéalement en partenariat avec l’ÉCAL, la HEAD de Genève et l’Université de Lausanne entre autres. Des archives du design en somme, dont Marco Costantini aimerait bien sortir le premier livre dans cinq ans avec une exposition. De quoi l’occuper.
Lausanne, le 11 décembre 2024
Article de Mehdi Atmani, Flypaper
Portrait de Marco Costantini © Felix Imhof