L’oeil du vivant et la tête chercheuse de Lucie Dubugnon
À 46 ans, la toxicologue dirige le Laboratoire de l’Institut de chimie clinique de Lausanne. Une voie toute tracée pour cette petite-fille de pharmacien et fille de chimiste, qu’elle a poursuivie sur les bancs de la Faculté de Biologie de l’Université de Lausanne. Une scientifique née devenue entrepreneure et co-fondatrice de «I Lake Lausanne». Une association qui, depuis dix ans, ambiance les rives lausannoises.
Il est parfois difficile de s’extirper de l’ADN familial. Lucie Dubugnon le sait mieux que d’autres. Cette petite-fille de pharmacien et fille de chimiste dirige aujourd’hui le Laboratoire de l’Institut de chimie clinique de Lausanne. Rien ne la prédestinait pourtant à reprendre l’entreprise familiale malgré son intérêt précoce pour le vivant. En effet, petite, Lucie Dubugnon se rêve déjà en grande scientifique, aiguisant son sens de l’observation de l’infiniment petit et du plus grand qui l’entoure dans sa région d’Aubonne, où elle grandit.
Les années SIDA vont forger son esprit scientifique. Nous sommes dans les années 1990. Comme l’ensemble des adolescentes et adolescents, Lucie Dubugnon est marquée au fer rouge par le matraquage préventif autour de cette maladie sexuellement transmissible. La bande-dessinée «Jo», distribuée à l’ensemble de la jeunesse romande, forge son intérêt. Mais au-delà d’un support de prévention, l’adolescente Lucie Dubugnon y voit aussi un terrain de recherche vers un futur vaccin.
C’est durant ces années d’études au Gymnase de Nyon que Lucie Dubugnon «s’extirpe enfin» d’Aubonne. Elle y suit naturellement un cursus en biologie-chimie. Mais malgré l’intérêt «je n’étais pas la meilleure élève dans ces domaines. Même à l’Université d’ailleurs, se souvient-elle. Par contre, la biologie m’intéressait parce que c’est un domaine très vaste qui explore autant les plantes que les animaux.» Cette curiosité personnelle se poursuit jusque sur les bancs de l’Université de Lausanne, en Faculté de Biologie. Son cursus se conclura par cinq mois de recherche de terrain en forêt tropicale au Smithsonian Tropical research Institute au Panama. De retour en Suisse, ce sera la thèse en biologie végétale, où la tête chercheuse investigue l’ensemble des mécanismes de défense développés par les plantes.
Son doctorat en poche, Lucie Dubugnon doit se résoudre à entrer sur le marché du travail. Nous sommes en 2008. Son profil intéresse les géants pharmaceutiques et les multinationales du tabac: «Éthiquement parlant, ce n’était pas du tout ce que je recherchais.» La question de reprendre le laboratoire familial se pose alors. Lucie Dubugnon y fait déjà des remplacements. Mais elle veut mûrir sa décision: «Je me suis inscrite au chômage pour prendre un peu de recul. J’ai évoqué au conseiller l’opportunité de reprendre l’entreprise. Mais il me manquait des compétences managériales.»
Lucie se forme grâce au chômage et s’envole pour Berlin pour y effectuer un stage en toxicologie. À son retour, elle maîtrise l’allemand et intègre le laboratoire. En 2011, elle devient associée-gérante, puis directrice: «La thèse et mes expériences en biologie m’ont permis d’acquérir un esprit synthétique et analytique de pointe, notamment dans la biologie moléculaire et la chromatographie», c’est-à-dire la méthode physico-chimique servant à séparer les différentes substances présentes dans un échantillon. «Ça m’a donné un bagage important pour le laboratoire.»
Le Laboratoire de l’Institut de chimie clinique, qui emploie une quinzaine de personnes, reçoit des mandats de la justice, notamment dans les cas d’accidents de la route. Sur la base des prélèvements effectués par la police, le laboratoire recherche toutes les substances (drogue, alcool, médicaments). Ces résultats sont mis en perspective avec une incapacité de conduire. En parallèle à cette activité, le laboratoire fonctionne comme un centre d’analyses médicales. Docteure et entrepreneure, Lucie Dubugnon n’a jamais voulu rejoindre des grands groupes de laboratoires pour combler l’érosion des tarifs d’analyse: «Je préfère miser sur la dualité de nos expertises de niche.»
Malgré sa sociabilité, la quadragénaire et mère de deux enfants, n’échappe pas au sentiment de solitude qui frappe parfois les personnes dirigeantes: «J’ai une super équipe sur laquelle je peux compter, mais parfois j’aimerais plus de retours sur mon travail ou la satisfaction client.» Elle comble cette impression en 2014 avec ses fidèles amis. Ensemble, ils montent l’association «I Lake Lausanne» avec la folle idée d’ambiancer les rives lausannoises. Ils inaugurent en 2015 le bar saisonnier «La Jetée de la Compagnie», à Vidy.
Dès son ouverture, le succès est massif: «C’était très valorisant car j’ai vu que mes compétences de manager pouvaient être utiles dans un autre contexte. Ça me nourrit.» En 2016 suit «La Galicienne», sur la friche de Prilly-Malley. Le Covid vient gâcher la fête en 2020. Malgré le coup de frein général dû aux mesures sanitaires, «La Jetée de la Compagnie» tient bon». Quant au laboratoire, il se mue en centre de test. Preuve que le management et la biologie font bon ménage.
Lausanne, le 10 mars 2025
Article de Mehdi Atmani, Flypaper
Portrait de Lucie Dubugnon © Felix Imhof