Gaëlle Brunner

Créativité,  empathie et confiance : trois ingrédients avec lesquels Gaëlle Brunner (SSP 2013) a créé sa micro-manufacture de bijoux artisanaux.

Parlez-nous de votre société

Colayco, c’est le nom de jeune fille de ma mère et celui de mon entreprise. Au départ, j’ai voulu créer un business familial incluant mon frère, mon compagnon et un ami proche. Après une année, j’ai toutefois changé de stratégie.

Nous n’avions pas les mêmes priorités : j’étais diplômée alors qu’ils étudiaient encore. Inspirée par la branche maternelle de ma famille – composée surtout d’entrepreneur·e·s – je me suis lancée, seule et à plein temps, dans ma micro-manufacture de bijoux artisanaux. J’ai aujourd’hui une petite équipe dont la force réside dans la relation au client. Nous prenons vraiment le temps d’écouter les besoins, d’offrir des conseils personnalisés et de créer des bijoux sur-mesure. L’interaction avec nos clients est au cœur de notre activité.

Dans quel contexte avez-vous démarré ?

Mon Master en Sciences sociales en poche, j’ai trouvé un job dans l’horlogerie avec l’aide de mon père. Après 3 mois d’essai, j’ai donné mon congé. J’ai travaillé un moment dans une agence de placement – expérience trop éloignée de mes valeurs – puis chez Securitas, en attendant de trouver ma voie.

En plus de ce flou professionnel, mes diverses expériences à la Chaux-de-Fond m’ont à chaque fois plongée dans un monde très masculin. En tant que jeune femme, je n’arrivais pas à y faire ma place, par manque d’assurance et par lassitude vis-à-vis d’un environnement où je n’étais pas considérée comme l’égale de mes collègues hommes. Ma priorité était de dénicher un travail dans lequel je pourrais librement exprimer mes talents et avoir un impact tangible.

Mon expérience en horlogerie m’a familiarisée avec les métiers manuels et la transformation de la matière. J’étais fascinée par le processus de métamorphose d’une simple barre de métal en pignon utilisé dans un mouvement. De là, mon activité de créatrice de bijoux a pris forme : j’avais un métier manuel, où je pouvais travailler le métal et exprimer ma créativité J’ai eu la chance de bénéficier du soutien moral de mes parents, filet de sécurité psychologique qui m’a donné l’assurance nécessaire pour faire mes premiers pas.

En quoi votre personnalité vous a aidée à vous lancer dans cette aventure ?

Je pense avoir beaucoup d’empathie. C’est peut-être grâce à cela que ma clientèle me fait confiance et qu’elle me confie des projets très personnels.

Par ailleurs, la rigueur est aussi essentielle dans mon travail. Quand j’ai des idées, je visualise mon objectif et je mets tout en œuvre pour l’atteindre, tout en restant alignée avec mes valeurs. Cette rigueur m’aide à maintenir le cap.

La plus grande crise que vous avez dû surmonter au début ? Et aujourd’hui ?

Au début, je doutais du succès de mes bijoux, tous confectionnés à la main et par moi-même. Allaient-ils plaire ? Question infondée puisque les retours se sont révélés très positifs.

Et puis j’ai dû m’atteler à la gestion administrative qu’implique l’entrepreneuriat et qui, pour moi, relève du casse-tête : il n’existe aucune liste exhaustive, aucune centralisation de l’information. C’est un parcours du combattant pour trouver le bon département, les bonnes informations. J’ai donc tout appris sur le tas et je suis fière d’avoir su me frayer un chemin là-dedans.

Quand rien ne va comme prévu, ma méthode pour surmonter une épreuve est de m’ancrer et de prendre une chose après l’autre. Je relativise en me disant que cela fait partie de l’aventure. Je me rappelle la chance que j’ai de pouvoir faire ce qui me plaît. Cela n’a pas de prix.

Des tâches totalement saugrenues que vous avez dû effectuer à une étape ou l’autre du processus.

La distanciation physique à laquelle nous sommes soumis actuellement m’a amenée à accomplir des tâches auxquelles je n’aurais jamais pensé : des essayages d’alliances par Whatsapp vidéo, des livraisons à domicile, en passant par le découpage de mes enveloppes à bulles A4 en un format plus petit afin de pouvoir les envoyer en courrier A pour CHF 1.- !

L’élément le plus important dans l’entrepreneuriat ?

Mettre l’humain au centre de ses priorités.
Le chemin de l’entrepreneuriat est semé d’embûches. Il est indispensable de s’entourer de personnes qui vous apporteront du soutien moral dans les moments difficiles. J’ai dû faire certains sacrifices. Ma vie sociale a été très impactée. D’où ma vigilance à aménager du temps pour ma famille. Un sas indispensable à mon équilibre.

Pour moi la réussite d’une entreprise repose sur chaque membre de l’équipe. J’attache beaucoup d’importance à respecter les compétences, personnalités et besoins de chacun afin de trouver un équilibre. Chacque personne apporte sa pierre à l’édifice et le respect mutuel que nous nous portons nous permet de surmonter les moments difficiles. Je suis quotidiennement touchée par le soutien de mon équipe qui a su garder son enthousiasme alors que rien n’était gagné d’avance. C’est pourquoi l’humain est véritablement au centre de mes priorités autant dans le rapport à mon équipe que celui à ma clientèle.

De quoi faut-il tenir compte une fois dans l’aventure ?

Ne jamais oublier de s’écouter.
Cela signifie : rester connectée à ses valeurs, faire les choses selon ses principes et avec plaisir, rester à l’écoute de son propre rythme, respecter les besoins de son corps, comme ses heures de sommeil ou une bonne alimentation. Je travaille 6 jours sur 7, et mes journées ne se terminent pas à 19 heures quand je ferme la boutique. Je continue, une fois rentrée chez moi, à animer les réseaux sociaux en lien avec mon activité. Dans cette frénésie, j’oublie parfois de prendre soin de moi. Je remarque alors une baisse de régime. Il est donc vital de s’écouter. Sur tous les plans.

Un dernier conseil à celles et ceux qui voudraient se lancer ?

S’interroger sincèrement sur ses motivations profondes ; ne pas se lancer dans l’entrepreneuriat si c’est uniquement pour gagner de l’argent.
J’ai débuté mon activité il y a six ans. J’arrive enfin à gagner ma vie cette année mais je suis actuellement confrontée à une vraie incertitude pour la suite. Je réalise combien baser son activité uniquement sur l’idée de devenir riche est illusoire : une fois le mois bouclé, on repart à zéro le mois suivant. Ce qui nous tient et nous fait persévérer en tant qu’entrepreneur·e, c’est la passion pour notre métier, qui, elle, ne disparaîtra jamais.

Je suis constamment animée par ce challenge de renouvellement. J’innove sans cesse, je développe des nouvelles façons de faire, de diriger et d’organiser. Plus je vais de l’avant, plus mon métier se transforme. Actuellement, j’occupe à la fois les postes de créatrice, vendeuse, secrétaire, acheteuse, livreuse et dirigeante. Le fil rouge : mes bijoux qui sont des objets précieux et des créateurs de lien.

J’ai choisi de me lancer dans la confection de bijoux avant tout par passion pour les échanges avec les clients. Certains d’entre eux viennent parfois juste pour dire un bonjour et boire un café. Ce contact humain, je ne l’échangerais pour rien au monde.

Article de Jeyanthy Geymeier, Bureau des alumni, 15 juin 2020