Chrystelle Gabbud

Aux sources de Chrystelle Gabbud

Des bisses aux barrages en passant par les glaciers, la Valaisanne baigne dans l’eau sous toutes ses formes depuis sa tendre enfance dans le Val de Bagnes. Une vocation pour cette trentenaire, désormais cheffe de projet environnement chez Alpiq, après un Doctorat en Géographie physique à l’Université de Lausanne.

Il y a parfois des trajectoires de vie prédestinées; des parcours qui n’auraient pas pu être autres. Chrystelle Gabbud est une de ces élues, même si la Valaisanne de 35 ans se montre plus nuancée. Pourtant, à regarder dans le rétroviseur de cette cheffe de projet environnement chez Alpiq, chargée de l’assainissement des cours d’eau influencés par la production hydroélectrique, on se dit d’emblée qu’elle n’aurait pas pu être à une autre place.

L’ADN de Chrystelle Gabbud est imbibé d’eau. La trentenaire a d’ailleurs grandi sous le barrage de Mauvoisin, au Fregnoley. Ce petit hameau d’une dizaine d’habitants du Val de Bagnes a fait la Une de l’actualité l’été dernier, coupé du monde par la puissance dévastatrice de laves torrentielles. L’eau, encore elle, source de catastrophes et de magnétisme pour la Valaisanne: «J’ai toujours été fascinée par les changements de l’eau; son bruit, son débit et sa couleur qui se modifient sans cesse.» Petite, lorsqu’elle crapahute dans les montagnes, elle affine son observation des bisses, des ruisseaux et des torrents.

À l’adolescence, Chrystelle Gabbud découvre la glace. Ses premières foulées sur le glacier du Brenay la bouleversent: «C’était une sensation incroyable, se souvient-elle. Un sentiment d’humilité profonde, une joie immense mais teintée de peur et de tristesse de constater à quel point il fond vite. J’ai pris soudainement conscience que les paysages que je connaissais si bien devaient être préservés; qu’ils n’étaient pas éternels.» La vocation est là, mais encore hésitante. Lors de son parcours de collégienne à Sion, Chrystelle Gabbud est captivée par les cours sur les énergies renouvelables. Ils lui font visiter les parcs d’éoliennes et des centrales nucléaires.

Mais son engouement pour la biologie et les cellules humaines lui indiquent une autre voie: «Jusqu’à mon Bachelor, j’ai toujours hésité à faire de la chirurgie. J’aimais beaucoup l’idée de réparer l’humain. Sauf que le parcours de médecine ne m’intéressait pas du tout.» Il l’aurait surtout éloignée de la nature. En 2008, Chrystelle Gabbud se lance sans grande conviction dans une année propédeutique en sciences et ingénierie de l’environnement à l’EPFL: «Dès la première semaine, j’ai su que ce n’était pas fait pour moi, hormis les cours sur les processus environnementaux. Mais j’ai tenu une année pour ensuite bifurquer en sciences de l’environnement à l’Université de Lausanne.»

À l’UNIL, Chrystelle Gabbud se sent à nouveau à sa place. Elle est «marquée par les cours de géomorphologie, où l’on passait de la compréhension des glaciers à la connaissance des volcans. Ça m’a passionné.»  Son travail de bachelor portera sur l’état et l’avenir des bisses en lien avec la fonte des glaciers et la raréfaction des cours d’eau. À la fin du bachelor, Stuart Lane, Professeur à l’Institut des dynamiques de la surface terrestre à la Faculté des géosciences et de l’environnement, ajoute la géomorphologie fluviale au master en aménagement des régions de montagne : «Je n’ai plus eu d’hésitations». Chrystelle Gabbud y développe son esprit critique et multiplie les expériences de terrain.

À la fin de son master doublement primé, la Valaisanne ne se rêve pas dans une carrière académique. Elle se réjouit plutôt d’aller se frotter à la réalité. Mais son professeur lui suggère une thèse sur l’incidence de l’hydroélectricité sur les rivières alpines. Parce que le travail est orienté vers la pratique, Chrystelle Gabbud fonce. Une anecdote à la Foire du Valais viendra encore confirmer ses plans: «Sur un stand, il y avait une carte du Valais et j’ai vu une erreur de nom sur l’une des montagnes où j’allais mener mes travaux. Je l’ai fait remarquer gentiment aux hôtes présents.» Chrystelle Gabbud se trouve en fait sur le stand d’Alpiq. Elle discute avec les responsables et apprend qu’Alpiq soutient en partie ce projet de thèse. Chrystelle Gabbud se lance avec enthousiasme.

À quelques mois de devenir docteure, elle apprend qu’un poste se libère chez Alpiq: «C’était trop tôt, mais je rêvais d’obtenir ce poste. J’ai donc postulé et on m’a donné ma chance». Le saut fut progressif, mais intensif, puisque Chrystelle Gabbud doit terminer sa thèse tout en gérant ses premiers projets chez Alpiq. C’est d’ailleurs la vélocité des choses qui la marque: «À l’Université, les choses avancent vite. On évolue avec des convaincus. Chez Alpiq, j’ai dû apprendre la patience et à travailler dans une autre temporalité. Je gère par exemple actuellement au quotidien un projet qui va s’étendre sur plus de 15 ans. Il faut une bonne endurance.»

Dans des domaines parfois clivants dans la société comme la préservation de l’environnement et les énergies renouvelables, Chrystelle Gabbud apprend aussi l’altérité et le pragmatisme: «À l’Université, on évolue dans une bulle. Chez Alpiq, j’ai découvert une diversité de visions parfois très divergentes de la mienne. Au départ, je voulais convaincre tout le monde. Puis, j’ai appris à écouter les intérêts de chacun et à casser certaines certitudes chez les sceptiques par mes convictions. La clé, c’est de pouvoir conserver ses valeurs tout en restant réaliste. Il le faut bien. Il en est de même avec la nature qui nous entoure. Ne pas chercher à la maîtriser, mais apprendre à co-exister.»

Lausanne, le 13 novembre 2024

Article de Mehdi Atmani, Flypaper
Portrait de Chrystelle Gabbud © Felix Imhof