Vivre longtemps d’accord, mais en bonne santé ?

50 à 60% des plus de 65 ans sont en bonne santé et n’ont qu’une seule maladie chronique. © Richard Kolker / Photonica / gettyimages
50 à 60% des plus de 65 ans sont en bonne santé et n’ont qu’une seule maladie chronique. © Richard Kolker / Photonica / gettyimages

Nous vieillissons, c’est entendu. Notre longévité a d’ailleurs doublé durant ces 130 dernières années. Mais dans quel état? Les explications et les conseils des gérontologues de l’UNIL qui ont pour objectif de nous aider à «mourir tard d’une maladie se déclarant quelques heures avant le décès».

«Il faut rajouter de la vie aux jours et non pas des jours à la vie.» Cette maxime, attribuée à l’ingénieur américain Sanghamitra Gangarapu, est devenue le credo des gérontologues. Plutôt que de vouloir augmenter la longévité de l’espèce humaine, ils se sont fixé pour objectif de tout faire pour que les personnes âgées restent en bonne santé et actives le plus longtemps possible.

C’est indéniable, l’espérance de vie n’a cessé d’augmenter au cours des derniers siècles. Elle a même doublé entre 1880 et 2010, passant de 40 à 80 ans pour les hommes et de 42 à 84,5 pour les femmes. Du moins dans les régions développées, et en particulier en Suisse qui était classée, en 2010, au troisième rang mondial de la longévité derrière le Japon et Hong Kong. «Chaque année, nous gagnons ainsi 3 mois de vie», commente Christophe Büla, chef du service de gériatrie et de réadaptation gériatrique du CHUV. Et selon lui, «il n’y a aucune évidence montrant que cette tendance soit en train de s’amortir».

Nous devons cette longévité accrue à de multiples facteurs. Aux progrès de la médecine, et, notamment à la découverte des antibiotiques qui ont considérablement diminué la mortalité infantile. Mais aussi à l’amélioration de l’hygiène et au meilleur accès à la nourriture. Sans oublier «l’évolution des métiers, souligne Dario Spini, professeur à l’Institut des sciences sociales de l’UNIL et directeur du Pôle de recherche national (PRN) «LIVES» (qui étudie les vulnérabilités à travers le parcours de vie). Aux champs et dans l’industrie, le travail «était auparavant plus lourd, ce qui se traduisait par une plus grande usure physique et un risque accru d’accidents de travail».

Christophe Büla. Chef du service de gériatrie et de réadaptation gériatrique du CHUV. Nicole Chuard © UNIL
Christophe Büla. Chef du service de gériatrie et de réadaptation gériatrique du CHUV. Nicole Chuard © UNIL

Plus vieux, mais plus souvent malades
Nous vivons donc plus vieux, certes, mais en prenant de l’âge, nous sommes aussi de plus en plus fréquemment confrontés à des maladies chroniques, aux premiers rangs desquelles figurent les affections musculo-squelettiques, les troubles cardiovasculaires, les cancers et le diabète, ainsi qu’à diverses pathologies neurodégénératives, comme la maladie d’Alzheimer. Il y a donc un décalage entre la courbe reflétant l’espérance de vie et celle indiquant le pourcentage de la population restant en bonne santé aux différents âges.

Mais qu’entend-on exactement par «espérance de vie en bonne santé»? On doit cette notion au Français Jean-Marie Robine. Il y a une vingtaine d’années, ce spécialiste de la longévité humaine a proposé un nouvel indicateur, l’espérance de vie sans incapacité (EVSI), qu’il définit dans un récent numéro de Sciences et Vie comme étant «un peu le PNB de l’état de santé». Une personne est donc considérée en bonne santé «lorsqu’elle garde son indépendance fonctionnelle, précise Christophe Büla. C’est-à-dire qu’elle est capable de faire sa toilette, de s’habiller, d’aller aux WC, de sortir de son lit et de manger seule.»

Cela n’implique donc pas d’être exempt de maladies chroniques. On peut souffrir du diabète ou avoir de l’arthrite et répondre aux critères décrits par le gériatre du CHUV. En revanche, d’autres pathologies «comme les maladies cardiovasculaires – et tout particulièrement les accidents vasculaires cérébraux – ou les démences, font rapidement tomber dans la dépendance».

Trois scénarios pour raconter l’avenir
Dans ce domaine, «il existe trois scénarios, explique le médecin. Dans le premier, qualifié de “catastrophe”, la population vit plus longtemps, mais elle entre en dépendance toujours à peu près au même âge qu’aujourd’hui.» Autant dire que les personnes restent plus longtemps en «mauvaise» santé. Dans le deuxième scénario, «dit “d’équilibre dynamique”, l’allongement de l’espérance de vie s’accompagne d’une entrée en dépendance retardée d’autant». Les courbes de la longévité et de la vie en bonne santé se déplacent donc, mais au même rythme. Quant au troisième scénario, «celui de la “compression de morbidité”, il postule que les gains en années passées sans dépendance augmentent plus rapidement que ceux de l’espérance de vie». C’est le plus optimiste.

«En Suisse, c’est plutôt le troisième scénario qui prévaut.» Certes, admet le gériatre, «les avancées sont modestes et, en moyenne, les hommes vivent toujours 6 à 7 ans en état de dépendance et les femmes environ 8 ans – c’est le revers de la médaille de leur plus grande longévité». Mais la tendance est la bonne et «il faut promouvoir toutes les interventions qui permettraient de favoriser ce troisième scénario.»

Il en va du bien-être de chacun, mais aussi de la gestion de la santé publique et de la réduction des coûts de la santé. D’autant que, en Suisse, souligne Dario Spini, «on assiste à une croissance exponentielle du nombre de centenaires. Dans les années 60, il y en avait 50, alors qu’ils sont plus de 3000 actuellement.»

Les robustes, les vulnérables et les dépendants
Que faire? Les réponses sont diverses, car «LA personne âgée n’existe pas», affirme le spécialiste de gériatrie du CHUV. Une manière de dire que la situation varie selon les individus. Les auteurs du rapport Politique cantonale vieillissement et santé du canton de Vaud, publié en 2012 sous la coordination de Christophe Büla, ont ainsi classé les personnes âgées dans trois catégories.

On y trouve d’abord les «robustes», qui représentent 50 à 60% des plus de 65 ans; ils sont en bonne santé et ont une seule maladie chronique. «Il s’agit de gens qui disent: “Je ne me suis jamais senti vieux”», constate Dario Spini. Viennent ensuite les «vulnérables». Ces personnes «fragiles ont conscience que, insidieusement, elles ont vieilli, car il y a un certain nombre de choses qu’elles ne peuvent plus faire sans difficulté. Ce sont aussi celles qui se rendent compte que, si elles chutent, par exemple, elles risquent de se casser le col du fémur», observe le professeur de Sciences sociales. Dans Les années fragiles: la vie au-delà de quatre-vingts ans (Presses de l’Université de Laval), livre écrit sous sa direction et celle de Christian Lalive d’Epinay, Dario Spini montre d’ailleurs que la moitié des plus de 80 ans peuvent être caractérisés comme fragiles.

Les membres de ce groupe, qui représentant 20 à 40% de la population âgée, souffrent souvent de plusieurs maladies chroniques. Dans leur majorité, ils ont entre 70 et 85 ans, mais on y voit entrer un nombre croissant de plus de 90 ans. Christophe Büla qualifie cette phase de «Canada Dry». Extérieurement, ces individus semblent robustes, mais ils sont fragiles, et il leur suffit souvent de vivre un événement stressant pour entrer dans la dépendance.»

A ce sujet, des chercheurs se sont attachés à classer l’influence de différents types de stress, y compris ceux créés par des événements heureux. Il ressort de cette étude, commente Dario Spini, «que les épisodes qui affectent le plus la santé sont liés à la vie familiale, à ses deuils et à ses conflits». Certes, cela est vrai tout au long de la vie, mais «ces adversités ont aussi des effets aux âges les plus avancés».

Quant au troisième groupe, c’est celui des personnes «dépendantes» – 10 à 20% de la population âgée – qui ont perdu tout ou partie de leur autonomie en raison d’un déclin physique ou psychique. «Il s’agit surtout de personnes de 85 ans ou plus, avec une majorité de femmes», précise Christophe Büla.

Dario Spini. Professeur à l’Institut des sciences sociales de l’UNIL et directeur du Pôle de recherche national «LIVES». Nicole Chuard © UNIL
Dario Spini. Professeur à l’Institut des sciences sociales de l’UNIL et directeur du Pôle de recherche national «LIVES». Nicole Chuard © UNIL

Les recettes pour bien vieillir
Quels sont les bons plans pour «bien vieillir»? «Il faut d’abord bien choisir ses parents», répond Christophe Büla sous forme de boutade. Une manière pour lui d’indiquer que la génétique a son mot à dire dans l’affaire. Toutefois, elle est loin de tout expliquer «puisque les changements auxquels nous avons assisté en matière de vieillissement ont été bien trop rapides pour laisser le temps au patrimoine génétique de changer».

Ce qui compte, ce sont en fait «les interactions entre les gènes et l’environnement, et notamment le mode de vie». C’est donc à ce niveau qu’il est possible d’agir, en commençant au plus jeune âge. Par exemple en évitant le tabac – «des expériences sur les vrais jumeaux dont l’un fumait et l’autre pas ont montré que la cigarette réduisait de dix ans l’espérance de vie», précise le médecin du CHUV.

En veillant aussi à son alimentation, afin d’éviter le surpoids et les pathologies qui lui sont associées. «Aux Etats-Unis, du fait de l’épidémie d’obésité, l’espérance de vie a diminué pour la première fois depuis 60-70 ans.» Il ne s’agit pas «de se restreindre à longueur de temps, car cela n’est pas tenable. Mais plutôt d’éviter les excès et d’adopter le régime méditerranéen» prôné par les nutritionnistes.

Les bienfaits de l’exercice physique
La clé du vieillissement en bonne santé réside aussi dans l’exercice physique. «On ne va pas demander aux gens de 80 ans de courir le marathon, dit en riant Christophe Büla, mais les inciter à augmenter leur activité au quotidien.» Même minime, «comme celle qui consiste à préférer les escaliers aux escalators», car c’est bénéfique, à tout âge.

Le gériatre cite pour preuve une enquête réalisée par des médecins américains de l’Université du Texas qui ont étudié plus de 18 000 personnes âgées d’une cinquantaine d’années, qu’ils ont ensuite suivies pendant environ 25 ans. «Les auteurs avaient divisé les individus en cinq groupes, en fonction de leur endurance, explique le médecin vaudois. Ils ont ainsi constaté que, comparés aux sédentaires, ceux qui avaient la meilleure condition physique augmentaient leur durée de vie, et que, en outre, ils souffraient moins de maladies chroniques et réduisaient de moitié le temps passé en état de dépendance.»

Reste bien sûr à «savoir quelle est la poule et quel est l’œuf», commente le gériatre. Il est difficile de dire si les personnes avaient moins de pathologies parce qu’elles étaient en bonne forme physique, ou si elles pouvaient pratiquer une activité parce qu’elles n’étaient pas malades. Quoi qu’il en soit, on ne compte plus les études qui prouvent les bienfaits de l’exercice sur la santé, non seulement physique, mais aussi mentale.

Attention à la grippe!
Sur le plan médical, il est important de promouvoir la prévention, notamment la vaccination contre la grippe. Contrairement à ce que l’on pense souvent, «la grippe ne tue pas forcément» et elle peut laisser des séquelles invalidantes. Une étude réalisée en 2000 auprès de résidents d’EMS a montré «que les infections étaient souvent associées à un déclin du point de vue fonctionnel». Ce qui fait dire au gériatre que, même au grand âge, «la prévention a un sens».

Pour les personnes entrant dans la catégorie des robustes, la prévention doit aussi être «proactive», selon le médecin. Elle passe par exemple par des visites préventives à domicile qui évitent «de basculer dans la dépendance». Une étude menée aux Etats-Unis a montré que, ainsi, «au bout de trois ans, on permettait aux gens de gagner deux mois d’espérance de vie sans incapacité».

S’ouvrir aux autres
Toutefois, la qualité de la vie ne se résume pas à des questions de santé et de forme physique. Alors que la vieillesse suscite toujours des préjugés négatifs, «les études montrent que le bien-être des aînés est souvent supérieur à celui des adolescents et des jeunes adultes», souligne Dario Spini. Sans doute, commente-t-il, «parce que lorsqu’on est jeunes, on a de plus grandes attentes».

Le professeur de Sciences sociales reprend à son compte les paroles prononcées par le Dalaï-Lama lors de sa visite à l’UNIL, en avril dernier. Lorsqu’on lui demandait comment bien vieillir quand nos forces physiques déclinent, le chef spirituel des Tibétains a répondu: «Grâce à un réel intérêt pour les autres.» C’est la voix de la sagesse. Cette attitude a d’ailleurs été confirmée par «des recherches qui ont montré que les gens centrés sur eux-mêmes étaient moins heureux que ceux qui s’intéressent aux autres», commente le directeur du PRN «LIVES».

Laisser des traces
Une autre attitude bénéfique est «de garder la maîtrise et l’estime de soi», souligne Dario Spini, mais aussi de «maintenir son identité: si l’on a toujours aimé la musique par exemple, il faut continuer à en jouer ou, à défaut, à en écouter». Il est vrai que, dans ce domaine, certaines identités «fonctionnent» mieux que d’autres. Les sportifs sont défavorisés, car ils doivent cesser leur activité, alors que les croyants «peuvent prier toute leur vie».

Une «bonne façon de bien vieillir» se trouve aussi dans ce que l’on nomme la «générativité». Elle consiste, explique le chercheur, à laisser des traces pour les générations suivantes, au travers «de ses enfants, des élèves ou étudiants que l’on a formés, des créations que l’on a réalisées, des entreprises que l’on a créées, etc. Bref, de tout ce qui donne du sens à la vie.»

Mourir en bonne santé
Se préoccuper de sa santé, se maintenir en bonne forme physique et cultiver les liens sociaux: ces attitudes semblent finalement plus efficaces que les pilules de jouvence éternelle que nous fait miroiter la médecine anti-âge. Les tests réalisés sur la DHEA, la testostérone et autres comprimés censés retarder les effets des ans ont révélé que, «dans les meilleurs des cas, ils n’étaient pas efficaces, mais qu’ils pouvaient aussi avoir des effets secondaires, parfois graves», souligne Christophe Büla.

Les spécialistes du vieillissement visent un tout autre idéal. Celui de nous permettre «de mourir tard d’une maladie se déclarant quelques heures avant le décès», comme l’a écrit Fred Paccaud, directeur de l’Institut universitaire de médecine sociale et préventive du CHUV, dans Le Temps. En d’autres termes, «de mourir en bonne santé», renchérit Christophe Büla. On ne peut que leur souhaiter une belle réussite dans leur quête.

Dalaï-Lama. Le chef spirituel des Tibétains a parlé du vieillissement et de la mort à l’UNIL, le 15 avril 2013. © David Prêtre / Strates
Dalaï-Lama. Le chef spirituel des Tibétains a parlé du vieillissement et de la mort à l’UNIL, le 15 avril 2013. © David Prêtre / Strates

La chaleur humaine contre le poids des années

Le 15 avril 2013, le Dalaï-Lama s’est exprimé sur le vieillissement, à l’occasion d’un dialogue public avec les chercheurs de l’Université de Lausanne. Comment bien vieillir alors que nos forces déclinent? «En général, une personne dont l’esprit est sain possède une meilleure santé. Je ne parle pas seulement des connaissances qu’elle a, mais surtout de sa chaleur humaine. Se préoccuper du bien-être d’autrui crée automatiquement un calme intérieur», a indiqué le chef spirituel des Tibétains, âgé de 78 ans. Il a encouragé les scientifiques à mener des recherches sur le lien entre «la paix intérieure et le vieillissement». Le dalaï-lama a insisté sur l’idée d’affûter son esprit dès l’enfance grâce à la méditation et à l’exercice du débat.

Rappelant que nous sommes «des animaux sociaux», Tenzin Gyatso estime qu’un entourage amical contribue à réduire la dégénérescence provoquée par l’âge. Le sentiment d’affection, qui dépasse les mots, permet selon lui d’entrer en contact avec une personne atteinte de démence sénile.

La conférence en vidéo sur www.unil.ch/dalai-lama

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