Une découverte, des difficultés

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Avec CRISPR-Cas9, modifier un génome devient pour un généticien quasiment un jeu d’enfant, «ce qui ouvre la porte à des abus», reconnaît Vincent Dion, professeur au Centre intégratif de génomique. Bien que récent, l’outil suscite déjà de nombreuses craintes. Rien d’étonnant à cela. «Lorsqu’une nouvelle technologie apparaît, on a en général tendance à surestimer son potentiel au départ et à le sous-estimer par la suite», tempère Alain Kaufmann, directeur de l’Interface sciences-société de l’UNIL. Pour le sociologue et biologiste, ces ciseaux moléculaires représentent toutefois «un certain nombre d’enjeux spécifiques».

Modification d’embryons

Les principales appréhensions se cristallisent sur la modification des embryons et des cellules germinales (spermatozoïdes et ovules) qui seraient alors transmises à la descendance. Elles sont d’autant plus justifiées que, en 2015 une équipe chinoise a déjà utilisé CRISPR-Cas9 pour modifier l’ADN d’embryons humains atteints d’une maladie génétique. Cette pratique est actuellement interdite dans de nombreux pays, dont la Suisse, et, comme nombre de ses collègues, Vincent Dion plaide pour un «moratoire» international dans ce domaine. Mais d’autres généticiens poussent à la roue et demandent à pouvoir modifier génétiquement des embryons à des fins thérapeutiques.

Cette éventualité provoque des tensions. D’un côté, il y a ceux «pour qui, en arrière-fond, cela soulève la question de l’eugénisme», souligne Alain Kaufmann. D’un autre côté, on peut s’attendre à voir émerger «une demande sociale venant de patients affectés par des maladies génétiques pour l’instant incurables et qui plaideront pour l’utilisation de la technique».

Alain Kaufmann. Directeur de l’Interface sciences-société de l’UNIL.
Nicole Chuard © UNIL

L’usage généralisé du scalpel de la génétique suscite bien d’autres questions. Il rend notamment très difficile, voire impossible, «la traçabilité des changements qui ont été opérés dans le génome», remarque Alain Kaufmann. Ce suivi est pourtant important, car c’est lui «qui permet de mettre en œuvre une régulation juridique, comme celle qui s’applique actuellement aux OGM».

Sa simplicité d’emploi rend par ailleurs cet outil «accessible à des personnes ou à des laboratoires qui sont extérieurs aux institutions académiques». Le sociologue fait référence aux «nombreux espaces qui se développent depuis une quinzaine d’années, comme DIY Bio (Do-It-Yourself Biology)», un réseau de personnes qui construisent des laboratoires de fortune et qui se présentent comme des biohackeurs. Des communautés que «les pouvoirs publics surveillent de près».

Comme toutes les techniques utilisées auparavant, CRISPR-Cas9 permet de modifier des génomes humains, mais aussi animaux ou végétaux, avec d’autres dérives potentielles à la clé. Notamment pour la biodiversité. Il y a deux ans, des chercheurs ont déjà tenté, à l’aide de cet outil, de rendre stérile le moustique tigre, afin de limiter la transmission de la dengue. C’est dire que cette technologie «ouvre la possibilité d’éradiquer certaines espèces d’insectes considérées comme nuisibles, ce qui pourrait perturber les écosystèmes structurés autour d’elles», estime Alain Kaufmann.

Elle pourrait aussi avoir un impact sur l’élevage. «En pratiquant une sélection génétique, beaucoup plus rapide que la sélection classique, il deviendra possible de créer par exemple des animaux mieux adaptés à l’élevage intensif. La question est de savoir si ces transformations se feront aux dépens du bien-être animal.»

Un large débat de société

D’une manière générale, constate le sociologue, «cette technique présente tellement d’avantages sur les autres que si l’on ne se donne pas le temps de l’analyser et de l’évaluer, les chercheurs vont être tentés de s’interdire d’utiliser d’autres moyens, plus efficaces, plus sûrs et qui poseraient moins de problèmes.» C’est pourquoi Alain Kaufmann souhaite que s’engage, autour de CRISPR-Cas9, «un large débat au sein de la société impliquant non seulement les chercheurs et les éthiciens, mais aussi les autres acteurs concernés comme les associations de patients, ainsi que des citoyens». Tous auraient ainsi l’occasion de débattre des enjeux éthiques et sociaux de cette nouvelle technologie.

Article principal: Ces ciseaux moléculaires qui ont révolutionné la génétique

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