On pourrait dire, en imitant le titre du livre d’Alain Finkielkraut sur Charles Péguy, que Stéphane Pétermann est un «mécontemporain», un homme qui cultive ses ancrages et ses fidélités sans se laisser détourner par l’actualité immédiate et les goûts du jour.
Chercheur à l’UNIL, il est membre du Centre des littératures en Suisse romande – anciennement le Centre de recherches sur les lettres romandes – et vient d’achever, avec Alexandra Weber Berney, l’édition du Journal 1940-1948 de la romancière Monique Saint-Hélier (luxueux coffret en 18 volumes paru aux Éditions de l’Aire).
Entrer dans une vie étrange comme celle de cette Suissesse exilée à Paris durant la Seconde Guerre mondiale, clouée au lit par une maladie aussi mystérieuse que douloureuse, n’est pas une évidence à l’heure où plus grand monde, au-delà d’un cercle de fervents admirateurs, ne se souvient d’elle (morte en 1955) et de son mari, Blaise Briod. Pour Stéphane Pétermann, qui aime tisser des liens entre des vies disparues et des textes pour certains encore brûlants, ce n’est pas un problème. Il a participé ainsi à la publication des Œuvres complètes de C. F. Ramuz, une aventure scientifique achevée en 2013 aux Éditions Slatkine; le grand auteur vaudois ne le quitte jamais si l’on en croit la parution au printemps 2019 d’une monographie intitulée C. F. Ramuz, sentir vivre et battre le mot (Savoir Suisse) et la publication de la si jolie collection «Petite bibliothèque ramuzienne» aux Éditions Zoé.
Vouloir retenir le monde qui fuit, la civilisation qui passe, n’empêche pas d’épouser au quotidien le tourbillon de la vie: le chercheur peu porté sur l’éphémère transmet le goût de la lecture à ses deux enfants, une fille de huit ans et un garçon de dix. Alors âgé de cinq ou six ans, ce dernier s’est un jour écrié à la vue d’un portrait dans une exposition: «C’est Ramuz!», à la surprise des adultes alentour…
Stéphane Pétermann vit loin des polémiques et des injonctions idéologiques qui rythment l’actualité politique et parfois même universitaire. Diplômé en Lettres de l’UNIL et officier à l’armée, ce protestant amateur d’auteurs souvent catholiques lit volontiers un écrivain contemporain comme Richard Millet et d’autres nostalgiques plus méconnus, voire totalement oubliés comme les Français Henry Bordeaux (1870-1963) ou René Boylesve (1867-1926). Stéphane Pétermann s’est rarement trouvé là où l’attendait l’air du temps, lui qui apprécie les meubles anciens et l’opéra…
Lors d’un voyage en Israël avec le chœur de la HEP, il a chanté avec un orchestre palestinien; une expérience émouvante qui l’a plongé dans un passé moins familier et tragiquement accroché au présent. D’ailleurs, il ne fuit pas le monde, il met à distance notre course vers un futur de plus en plus déraciné, déculturé et déshumanisé.
Après avoir quitté la journaliste, il envoie un mot sur l’un de ses cinéastes préférés. On aurait pu le deviner: il s’agit de Luchino Visconti, le prince du cinéma, peintre d’un passé qui n’en finit pas de mourir en jetant sur la scène ses derniers flamboiements.
Un goût de son enfance
Les tartines au beurre de son arrière-grand-mère.
Une ville de goût
Jérusalem pour ses saveurs orientales, entre cuisines juive et arabe.
Un compagnon de table
L’auteur allemand francophile hanté par «l’aventure de la guerre», Ernst Jünger.