Transmettre l’indicible

nathaliemasungibaur 89
Nathalie Masungi-Baur. Doctorante en Section d’histoire (Faculté des lettres de l’UNIL). Nicole Chuard © UNIL

«Vous avez les yeux de ma mère», lui a-t-elle soufflé ce jour-là. Une mère qui, d’une gifle, l’a sauvée de la Rafle du Vél’d’Hiv en 1942, la poussant ainsi à fuir avec sa grande sœur. Une mère que la survivante – Rachel Jedinak – n’a plus jamais revue depuis. Ces mots, Nathalie Masungi-Baur ne les oubliera jamais. Aujourd’hui encore, une émotion silencieuse traverse ses mêmes yeux, d’un bleu à la fois doux et perçant, lorsqu’elle évoque ce face-à-face. L’un des plus marquants de sa vie. «Les cinq témoins de la Shoah avec qui j’ai eu le privilège de partager un moment sont, sans doute, les plus humaines et bouleversantes rencontres de toute ma vie, murmure-t-elle. Après mes enfants bien sûr.»

Fuir la Shoah. Ma rencontre avec des témoins, est l’application numérique née de ces rencontres. Un outil pour apprendre l’histoire de la Shoah à l’école, en s’appuyant sur des témoignages oraux réels. Ce projet, mené par Nathalie Masungi-Baur et ses collègues de la Haute école pédagogique du canton de Vaud (HEP), a constitué le point de départ de la thèse de la doctorante. «L’objectif initial était d’observer l’usage de cet outil dans les classes.» Aujourd’hui, son objet de recherche s’est élargi et elle explore l’évolution de l’ensemble du matériel scolaire vaudois produit depuis les années cinquante sur le thème de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah. «On ne peut pas rester indemne face à un tel objet de recherche, reconnaît-elle. Mais l’émotion est justement un élément central dans ce genre de travaux.»

«Adolescente, je me souviens qu’à l’école on nous montrait des images traumatisantes pour nous parler de la Shoah, sans véritable accompagnement pédagogique. C’est un sujet complexe à enseigner. Il ne s’agit ni de transmettre une unique narration en imposant des émotions, ni de basculer dans une mise à distance. Il est important de trouver le bon équilibre pour permettre aux élèves de donner du sens à son histoire et sa mémoire.» Nathalie Masungi-Baur constate d’ailleurs qu’aujourd’hui, au sein du corps enseignant, de plus en plus de collègues renoncent à aborder ce moment sombre de l’Histoire. Comment enseigner de manière adéquate une thématique aussi tragique que la Shoah? Cette tension constitue le cœur de sa thèse.

Fille, petite-fille, arrière-petite-fille, puis mère d’enseignants à son tour, Nathalie Masungi-Baur a exercé une vingtaine d’années au Mont-sur-Lausanne. Si elle y a enseigné différentes matières, l’Histoire a toujours eu pour elle une saveur particulière: «Il y a une détestation de la part de bon nombre d’élèves pour cette matière. Je trouve donc important de réfléchir aux moyens de l’enseigner autrement.» C’est au travers de son poste à la HEP Vaud, qu’elle approfondit la didactique de l’Histoire. Et à la cinquantaine, elle choisit de pousser l’exploration de ce domaine plus loin avec un doctorat à la Faculté des lettres. Elle sourit: «Quand j’ai rendu mon mémoire de fin de master, ma directrice de l’époque m’avait dit qu’un jour je finirais par revenir à la recherche! J’ai mis trente ans, mais elle avait raison.»

Laisser un commentaire