Spéculation sous le soleil nigérien

Complément de l’article paru dans Allez savoir ! 56, de janvier 2014.

La «Ceinture Verte» de Niamey a été créée à partir de 1965, soit peu après l’indépendance du Niger, en 1960. A l’origine, il s’agissait de planter des arbres pour protéger la capitale des intempéries et des effets d’une désertification supposée. Ces 2500 hectares se trouvaient alors loin du centre-ville.

Mais Niamey a connu une forte croissance démographique: de 30 000 habitants à l’indépendance, jusqu’à 1 300 000 aujourd’hui. «L’expansion de la ville est largement incontrôlée», note Ursula Meyer, doctorante à l’Institut de géographie et durabilité. Cette dernière termine sa thèse sur la gouvernance du foncier dans les périphéries urbaines, et en particulier dans la capitale nigérienne.

Aujourd’hui, la Ceinture verte est rattrapée, voire dépassée par la ville. Elle devient donc un enjeu de spéculation foncière. Grâce à son travail de recherche ethnographique, d’observation et à ses contacts sur place, Ursula Meyer décrypte le morcellement de ce terrain convoité, qu’elle qualifie de «ressource naturelle extrêmement politisée».

Il faut d’abord comprendre que ces terres n’appartiennent pas à l’Etat, même si celui-ci les a utilisées pour réaliser la ceinture pendant des décennies de plantations successives. Ce qui a créé une situation confuse qui perdure à ce jour. Le sol est détenu par des agriculteurs autochtones. «Après de longues années de revendications, ils ont obtenu une attestation de détention coutumière de la part du gouvernement qui les reconnait finalement comme propriétaires légitimes de ces terres», explique la doctorante. Les champs ont même été mesurés et géo-référencés.

Comme l’Etat aimerait récupérer ces terres pour en faire un espace vert public, il doit indemniser les agriculteurs qui s’y trouvent. Mais c’est au niveau du prix à payer que la situation est bloquée. Le Niger pourra-t-il faire une offre qui corresponde à la juste valeur du sol périurbain qui vaut aujourd’hui de l’or?

Car d’autres acteurs sont en lice. «Des commerçants riches, que l’on appelle ici «Elhadji», cherchent à acquérir ces terrains. Tiraillés, dans le doute, certains paysans vendent alors que d’autres, comme Boubacar Ganda, résistent. Ce dernier, qui connaît très bien la Ceinture Verte, son historique et ses propriétaires, a souvent servi de guide à Ursula Meyer. On y trouve des pratiques de mise en valeur assez originales. Par exemple, un agriculteur, qui a à la fois besoin de cultiver sa terre pour nourrir sa famille, et de cash, entre en relation avec un commerçant de confiance pour recevoir de l’argent. «Chaque fois que le crédit atteint 500 000 francs CFA, soit environ 940 francs suisses, l’agriculteur lui cède 600 mètres carrés.» Une sorte de compte bancaire d’un autre genre, et une manière supplémentaire de morceler la Ceinture Verte.

Le long de cette dernière cohabitent plusieurs populations. Des villas ont poussé comme des champignons. Elles côtoient parfois des paillotes habitées par des populations temporaires, qui retournent à l’intérieur du pays, dans les villages, à la saison des pluies (juin à septembre). Tous deux «grignotent» la Ceinture depuis les bords.

Elle sert également de dépotoir «officieux» à Niamey, qui souffre d’un problème certain d’évacuation des déchets. Certaines couches d’ordures, où se baladent des chèvres, sont si épaisses qu’on les appelle «fissi-étages». «Fissi» pour ordures en zarma, et «étages» pour évoquer la notion de bâtiment.

Toute une économie parallèle s’est mise en place. Par exemple, des enfants récupèrent des bouteilles en PET, qu’ils revendent ensuite à des femmes. Celles-ci les remplissent de jus de gingembre, de citron ou de bissap (hibiscus) afin de les vendre à leur tour.

Les enjeux de la zone périphérique possèdent une grande ampleur. «Le foncier est devenu une marchandise utilisée pour former des alliances politiques, aussi bien à l’échelon local que national», explique Ursula Meyer. Parmi les «cadeaux» appréciés, il se chuchote que, outre le cash et les véhicules 4X4, figurent des terrains de la Ceinture Verte…

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