Regards croisés sur la formation continue

Il y a 25 ans, l’UNIL créait son Centre de formation continue. Avec les années, ce service est devenu la Formation continue UNIL-EPFL, pilotée par une fondation. Quelles furent les étapes de cette évolution? Quelles sont les pistes pour l’avenir? Trois acteurs de ce quart de siècle d’histoire répondent.

En 1990, l’Assemblée fédérale décidait de soutenir la formation continue universitaire grâce à des mesures financières spéciales. Ces millions de subventions, octroyés diminuendo jusqu’à fin 1999, ont permis de développer les structures ad hoc ainsi qu’une offre dans les hautes écoles du pays. Pour la Confédération, il s’agissait de donner une impulsion résolue au développement de la formation continue universitaire. Notre pays avait pris du retard, dans un environnement de plus en plus compétitif et globalisé où l’idée de l’apprentissage tout au long de la vie allait devoir faire son chemin.

L’UNIL a joué sa partition dans cette histoire. Entretien avec Monique Baud (première responsable du Centre de formation continue de l’UNIL, de 1991 à 2004), Nicole Galland (directrice scientifique actuelle) et Pascal Paschoud (directeur opérationnel actuel).

Comment la formation continue a-t-elle décollé à l’UNIL?
[MB] Les universités suisses se sont lancées toutes en même temps, suite aux décisions prises par la Confédération. Ce fut une démarche inhabituelle, partie du haut vers le bas. Une commission s’est constituée à l’UNIL en 1990. L’année suivante, j’ai été nommée responsable pour créer le Centre de formation continue et développer une offre, alors quasi inexistante. Il s’agissait aussi de faire évoluer la structure et les cours vers l’autofinancement dans un délai de cinq ans.

Quel était l’état d’esprit?
[MB] Il a fallu convaincre les enseignants et trouver un public. Nous étions un peu considérés comme des Martiens, tant la formation continue évoluait à l’écart des hautes écoles, à quelques exceptions près. Cette activité requiert des compétences pédagogiques particulières, car les «étudiants» sont actifs professionnellement et souvent experts de leur domaine. De plus, la formation continue n’était pas considérée comme prestigieuse, en tous cas moins que la recherche.

Etiez-vous plutôt tournés vers l’offre de formation que vers la demande?
[MB] Oui. Les cursus naissaient essentiellement des idées et des envies exprimées par les enseignants motivés. D’où un catalogue plutôt éclectique au début, sans vraiment de lien avec les besoins de l’économie. Toutefois, certains milieux professionnels nous ont approchés…

Par exemple?
[MB] A la fin des années 90, une association a souhaité la création d’une formation en «Gestion culturelle» (politique, droit, gestion, sociologie, etc.). Il n’existait rien de tel en Suisse romande. La première réunion entre les personnes chargées de donner les cours, qui venaient de facultés très différentes (Lettres, SSP et HEC) et de deux universités (Lausanne et Genève), a été un extraordinaire exercice d’interdisciplinarité. Malgré un certain scepticisme initial, cette formation a déjà connu neuf éditions. Chaque fois, il a fallu refuser du monde.
[NG] Aujourd’hui, ce cursus est un Diploma of Advanced Studies qui marche très bien. Non seulement ce cours répondait à un besoin, mais il s’est imposé au fil des années comme un passage obligé pour les professionnels qui veulent exercer une fonction dirigeante dans le domaine.

Pourquoi la greffe de la formation continue sur l’université a-t-elle pris?
[MB] Les directions successives de l’UNIL nous ont beaucoup soutenus. De plus, nous avons eu la chance de mettre sur pied des formations qui ont trouvé leur public dès le début. Par exemple, un cursus consacré aux mauvais traitements envers les enfants et les adolescents, l’un des premiers à s’autofinancer, a répondu aux besoins des assistants sociaux, du corps médical et des enseignants. Son contenu interdisciplinaire a contribué à sa réussite. Enfin, certains professeurs, enthousiastes pour la formation continue, ont joué le rôle de pionniers et de locomotives.

Dès 2004, le Centre de formation continue s’est doté d’une direction bicéphale: administrative et académique. Le but consistait à resserrer les liens avec l’institution.

La formation continue a évolué en parallèle dans les différentes universités suisses, et des collaborations se sont développées…
[MB] Dès le départ, nous avons joué la carte de la collaboration entre universités. Notre catalogue n’était pas très étendu, ce qui a évité les collisions entre les offres des différentes institutions. De plus, les responsables romands des Centres de formation continue se rencontraient régulièrement. Au niveau suisse, une plateforme d’échanges, Swissuni (www.swissuni.ch), a été créée.
[NG] Aujourd’hui, nous collaborons aussi avec la HES-SO et la HEP dans le cadre de plusieurs formations. Les liens entre les versants académiques et professionnels d’un domaine sont intéressants et riches. De manière générale, nous évitons de lancer un cursus s’il entre en concurrence avec une activité existante, en particulier d’une autre haute école romande.

En 2009, les directions de l’UNIL et de l’EPFL créent une Fondation afin de chapeauter et de mettre en commun leurs offres de formation continue. Cette collaboration vise à renforcer le positionnement du campus. Dans la lignée de la réforme de Bologne, l’uniformisation des titres délivrés (Masters of Advanced Studies, etc.) facilite la comparaison entre les catalogues des institutions.

Quel est l’avantage de la Fondation?
[PP] Cette structure commune, indépendante juridiquement des deux institutions UNIL et EPFL, nous donne la possibilité de développer des synergies, nous donne une certaine flexibilité pour l’organisation des formations et nous permet de nous appuyer sur la force des marques UNIL et EPFL. La Formation continue UNIL-EPFL compte aujourd’hui 17 collaborateurs, plus une douzaine de coordinateurs liés aux programmes. Elle occupe ses locaux et ses salles de cours dans un bâtiment de l’EPFL Innovation Park. Ces dernières années, une condition s’est vue renforcée: celle de l’autofinancement des formations. Dès lors, toutes les charges inhérentes à l’organisation d’une formation doivent être prises en compte. Ceci explique notamment le prélèvement d’un overhead institutionnel servant à couvrir des frais d’infrastructures, le travail des services centraux, etc.
[NG] L’UNIL et l’EPFL sont des institutions publiques subventionnées. Nous ne pouvons pas pratiquer de dumping sur le prix des cours. Nous devons donc jouer le jeu du marché, au risque d’être fortement critiqués par le secteur privé.

L’un des points forts que vous revendiquez est votre flexibilité…
[PP] Elle répond à la demande. Aujourd’hui, les professionnels souhaitent de plus en plus de flexibilité dans leurs parcours de formation. Nous offrons dès lors des Masters of Advanced Studies, le cursus le plus long, pouvant être divisés en plusieurs Certificates of Advanced Studies, eux-mêmes composés de modules indépendants. Cette tendance à la flexibilisation va encore s’accroître à l’avenir, avec des parcours de formation pouvant combiner différents types de formations certifiantes, courtes, en ligne, etc. La question de la validation de ces types de parcours se posera alors et les universités devront se positionner par rapport à cela.

Comment mettez-vous sur pied une nouvelle formation?
[NG] Nous n’avons pas les moyens de mener de véritables études de marché. Nous partons donc encore le plus souvent de propositions venant des enseignants. Mais nous leur posons des questions pointues, par exemple sur le public cible visé, sur leur réseau et sur leur connaissance du monde professionnel. Les objectifs pédagogiques et la faisabilité financière du projet font bien sûr partie des critères de sélection.
[PP] Lorsque le besoin pour une formation certifiante n’est pas avéré, nous pouvons proposer un format court (3 jours, typiquement). Il s’agit d’une sorte d’étude de marché grandeur nature. Certains cursus fonctionnent très bien ainsi, et n’auraient aucune chance en version longue. Nous utilisons parfois d’autres moyens. Par exemple, une enquête menée auprès des alumni de l’EPFL a débouché sur la création des formations brèves «Internet of Things» (présentée ci-dessous) et «Data Science».

Que vous réserve l’avenir?
[PP] Nous devons nous maintenir à la pointe de l’innovation pédagogique, en prenant en compte les caractéristiques de l’apprenant adulte, et en offrant des formats s’appuyant sur des scénarios pédagogiques dépassant la simple transmission de connaissance en présentiel. Nous devons également nous préparer à accueillir la génération d’étudiants qui se trouve actuellement à l’université et qui va s’intéresser à la formation continue, d’ici à quelques années. Il va falloir être prêts à répondre avec une offre adaptée à leurs habitudes d’apprentissage. D’où les expériences de MOOCs (cours en ligne ouverts et massifs). A titre d’expérience, l’UNIL a décidé d’en proposer un petit nombre mais de leur accorder des moyens afin d’obtenir une très haute qualité.
[NG] Mais il faut aussi se rappeler que la formation continue est un lieu de réseautage et d’échanges entre professionnels. Certains programmes possèdent même leurs groupes d’alumni. Le réseau constitué pourra être régional ou international en fonction du format du cours, qui peut dépendre de la thématique et du public cible.
[PP] Les entreprises nous demandent davantage de cours intra-entreprise développés sur mesure, à destination de leur personnel. Parfois, elles souhaitent intégrer des composantes en ligne ou des éléments de coaching.

Votre mission a-t-elle changé depuis 1991?
[PP] Elle est toujours la même: développer des passerelles entre l’université et le monde professionnel. Le but consiste à ce que la Suisse garde sa compétitivité grâce à une population bien formée.
[NG] Le contexte a changé: l’université s’est de plus en plus ouverte à la société, à laquelle elle se doit même de rendre des comptes. La formation continue, tout comme l’Interface Science-Société par exemple, participe à cette nouvelle culture de l’institution.

Nouvelle formation

Internet of things

Equipés de senseurs, d’électronique et de moyens de communication sans fil, les appareils de la vie quotidienne forment petit à petit un nouveau réseau, l’internet des objets. Les applications existent pour le moment dans les domaines médical, industriel, sportif ou domotique (par exemple le système d’éclairage «intelligent» Hue de Philips, ou le contrôle à distance de la consommation énergétique d’un appartement).

Appelé à prendre de plus en plus d’importance au cours des prochaines années, notamment dans le cadre des Smart Cities, l’internet des objets fait l’objet d’une nouvelle formation continue, pilotée par David Atienza, directeur du Laboratoire des Systèmes Embarqués de l’EPFL.

«Auparavant, les objets “intelligents” travaillaient de manière séparée. Maintenant, ils communiquent entre eux. Cela change beaucoup de choses. Les concepts sont différents, et peu connus dans l’industrie», explique le professeur. Le cursus de trois jours qu’il propose va justement chercher à faire mieux comprendre comment élaborer un réseau d’appareils connectés.

Donnée en anglais, la formation requiert des connaissances de base en ingénierie. En effet, les participants naviguent d’une salle de cours classique (pour les aspects théoriques) à un vaste laboratoire (pour les exercices pratiques). Le premier jour, ce sont les plateformes, le design et les questions d’alimentation énergétique qui sont traitées. Le deuxième jour, le professeur Andreas Burg de l’EPFL expose les questions liées à la communication (protocoles, etc.). Enfin, la dernière partie du cours, axée sur la pratique, se concentre sur des champs d’application comme la domotique, les appareils médicaux connectés ou l’industrie 4.0.

Le cursus comprend des études de cas et fournit de nombreuses informations sur les derniers développements. «Je souhaite que les participants sachent, après le cours, ce qui existe, ce qui est faisable et ce qui ne l’est pas», ajoute David Atienza. Il s’agit aussi d’être capable de faire les bons choix technologiques dès le départ d’un projet.

Le cursus va également aborder les Sciences sociales. Dans le monde de la Santé, les utilisateurs d’objets connectés sont souvent des personnes âgées. L’interface et la facilité d’emploi comptent donc beaucoup. David Atienza est l’un des fondateurs de la société SmartCardia, qui développe un appareil destiné à mesurer le rythme cardiaque d’un patient en continu. En cas de danger, les informations sont transmises automatiquement à un médecin, via téléphone portable. Un exemple concret de l’internet des objets.

www.formation-continue-unil-epfl.ch/internet-of-things

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