Qui se ressemble s’assemble de plus en plus

Les couples dans lesquels les deux conjoints sont universitaires ont augmenté, mais leurs revenus n’ont pas explosé parce que les femmes travaillent moins d’heures, le temps partiel féminin étant répandu en Suisse.
© Louiza

En Suisse, l’adage populaire est confirmé par la science: les universitaires épousent souvent des universitaires, les personnes à revenu modeste s’assemblent avec des conjoints qui gagnent peu d’argent. Cette tendance s’est renforcée au cours des 25 dernières années, sans pour autant que l’écart ne se creuse entre foyers riches et familles pauvres. 

En Suisse, quand il s’agit de se mettre en ménage, on ne peut vraiment pas dire que les contraires s’attirent. Notre prédilection pour un partenaire qui nous ressemble socio-économiquement parlant s’est d’ailleurs renforcée au cours du dernier quart de siècle. C’est la conclusion d’une étude qui s’est penchée sur les couples pour analyser l’effet de la formation et du revenu sur le choix du partenaire.

Publiée en 2017 notamment par Ursina Kuhn, alors responsable de recherche au FORS (Centre de compétences suisse en sciences sociales), une fondation hébergée par l’UNIL, et Laura Ravazzini, postdoctorante aux Universités de Lausanne et Neuchâtel, elle aboutit à des conclusions surprenantes. Un exemple? Parmi les femmes, ce sont celles qui ont le plus haut niveau de formation (dit tertiaire, qui inclut les EPF, universités et HES) qui ont la probabilité la plus élevée d’être célibataires. Mais pourquoi au fond s’intéresser aux paramètres qui président à la sélection d’un partenaire? «On voit un peu partout dans le monde se creuser l’écart entre riches et pauvres, mais il n’y avait pas vraiment de chiffres disponibles pour la Suisse quant à l’évolution de l’homogamie et sur l’effet de ce phénomène sur les revenus – nous avons voulu examiner la situation chez nous», répond Ursina Kuhn. L’hypothèse de départ étant que les personnes à haut revenu épouseraient de plus en plus au fil des ans des personnes tout aussi aisées, et de même dans la population à bas salaire. Avec au final des familles de plus en plus riches d’un côté, des foyers de plus en plus pauvres de l’autre. Verdict? «Eh bien non: même si l’homogamie (mariage au sein d’un même milieu social, ndlr) augmente au sein de certains groupes, cela n’a pas renforcé l’inégalité des revenus en Suisse», répond la chercheuse.

Ursina Kuhn. Responsable de recherche chez FORS.
Nicole Chuard © UNIL

Les hommes universitaires épousent plus d’universitaires

Attention: l’homogamie existe bel et bien en Suisse. Les couples formés par des partenaires qui ont la même formation se montaient à 48% en 2014 – les célibataires à 20%. Il y a par ailleurs 20% des couples dans lesquels l’homme a une formation supérieure à la femme, et seulement… 12% où c’est le contraire. Il y a même plus d’homogamie qu’autrefois dans certains groupes: les hommes universitaires sont par exemple plus souvent qu’avant unis à des femmes également universitaires, ne serait-ce que parce qu’elles existent – elles étaient denrée rare en 1992, date des premiers chiffres utilisés pour l’étude: 8% seulement, contre 27% en 2014.

Mais c’est parmi les personnes avec une scolarité obligatoire seulement que l’appariement sélectif est le plus fort: même si dans la société suisse, elles sont de moins en moins nombreuses, elles se marient toujours plus entre elles. Un résultat qui a surpris les chercheuses, qui s’attendaient à ce que ce soit entre universitaires que l’appariement sélectif soit le plus marqué. On peut parler d’une forme de ségrégation avec ce groupe composé des gens les moins formés, estime Laura Ravazzini: «Il est difficile pour quelqu’un qui n’a pas d’autre formation que l’école obligatoire de sortir de son groupe et de rencontrer d’autres personnes, d’un milieu différent».

Ne pas avoir de formation apparaît presque comme un handicap

Notamment parce qu’on rencontre souvent son conjoint sur son lieu d’étude ou de travail – voilà qui ne stimule pas le brassage. Ce groupe, assez fermé donc, court un risque de paupérisation en cas de crise: «Si l’un des deux conjoints perd son emploi par exemple, ou en cas de divorce, ils peuvent basculer du côté des gens qui ont besoin de l’assistance sociale», prévient la chercheuse. Alors que s’insérer dans le marché du travail et trouver un conjoint en 1992 n’était pas vraiment un problème, on note que ne pas avoir de formation secondaire ou tertiaire apparaît «aujourd’hui presque comme un handicap qu’il faut réussir à surmonter», selon Ursina Kuhn.

Mais s’il y a bien une augmentation de l’appariement sélectif pour ce groupe, comment expliquer qu’en moyenne les écarts entre hauts et bas revenus ne se soient pas creusés en un quart de siècle? «Il y a un phénomène assez particulier à la Suisse: le temps partiel des femmes, répond Laura Ravazzini. Même celles qui ont une formation tertiaire travaillent très rarement à plein temps. Les couples dans lesquels les deux conjoints sont universitaires ont augmenté, mais leurs revenus n’ont pas explosé parce que les femmes travaillent moins d’heures.»

Le parcours des couples suisses

On retrouve peu ce phénomène dans les autres pays européens, dans lesquels les femmes sont également plus formées qu’autrefois – mais à l’exception des Pays-Bas, le travail à temps partiel y est très rare, alors qu’il est très fréquent chez nous. Ailleurs, une femme universitaire est employée à 100%, ou alors c’est une femme au foyer à 100%. Ursina Kuhn détaille le parcours de ces couples suisses: «Quand ils se rencontrent, les hommes et les femmes travaillent le plus souvent à 100% tous les deux – ou alors ils se sont connus durant leurs études, et on retrouve ces deux 100% quand ils commencent leur vie active. Après, ils se mettent en ménage et la femme diminue un peu son temps de travail rémunéré, puis ils se marient et la femme diminue encore un peu son taux, puis ils ont des enfants et pour chacun d’eux elle diminue encore un peu plus son activité professionnelle.»

Autant dire que vingt ans après leur rencontre, la trajectoire de la femme n’est plus comparable à celle de l’homme qui, lui, reste presque toujours à 100%. Malgré un niveau de formation identique, leur carrière ne suit pas du tout la même courbe – ni leurs revenus, forcément. Et c’est cette sourdine mise à la vie professionnelle des femmes qui explique que les écarts ne se creusent pas en Suisse entre les personnes les plus et les moins formées.

Les universitaires augmentent fortement chez les 25-34 ans

Comme on vient de le voir, la formation ne fait pas tout: les revenus ne sont pas aussi directement liés à l’éducation qu’on pourrait le supposer. C’est notamment le cas pour les personnes au bénéfice d’une formation tertiaire: «Quand ils étaient 10%, les universitaires composaient une petite élite relativement homogène et constituaient un vrai groupe, remarque Ursina Kuhn. On peut se demander si c’est toujours le cas – aujourd’hui, chez les 25-34 ans, les personnes au bénéfice d’une formation tertiaire sont plus de 50%. C’est devenu un groupe majoritaire, composé de profils très différents, il faudrait à l’avenir peut-être affiner selon par exemple la faculté suivie.»

Car en fonction des filières choisies, les revenus peuvent fortement varier. On sait par exemple que les femmes, encore rarement ingénieures, choisissent traditionnellement des cursus puis des professions moins valorisées financièrement – les soins par exemple. Elles sont ainsi assez nombreuses à épouser des hommes moins formés (éducation secondaire) mais qui au final… gagnent plus qu’elles! «C’est lié au schéma traditionnel – les femmes comptent apparemment toujours sur le salaire de l’homme pour subvenir aux besoins du ménage, même si elles sont plus formées qu’avant et plus formées que ces messieurs», souligne Laura Ravazzini. Quid des couples hétérogames alors? Ils existent, la société suisse étant de ce point de vue plutôt ouverte par rapport à d’autres pays, mais ils sont moins nombreux, et… «en général les couples homogames ont une plus longue durée de vie», sourit Ursina Kuhn.

Reste que dans le choix d’un conjoint, la formation, et surtout le revenu, qui prend de plus en plus d’importance par rapport à l’éducation, ne sont pas les seuls facteurs qui font l’homogamie: la nationalité ou l’appartenance religieuse par exemple sont aussi des paramètres très importants. «Pour les mêmes raisons que la formation d’ailleurs, commente Laura Ravazzini. On rencontre les gens sur son lieu d’études ou de travail, mais aussi de culte ou dans des cercles nationaux. Le fait qu’on partage des centres d’intérêts, les mêmes valeurs, explique aussi sans doute que ces couples durent plus longtemps que ceux où il y a moins de points communs.» Formation, argent, appartenance culturelle, religion, autant de facteurs donc qui expliquent qu’on préfère Paul à Pierre. Au temps pour notre romantique croyance au libre arbitre…

Laura Ravazzini. Postdoctorante aux Universités de Lausanne et Neuchâtel.
Nicole Chuard © UNIL

Les femmes très formées sont-elles plus souvent célibataires?

Ursina Kuhn, responsable de recherche au FORS, une fondation hébergée par l’UNIL, et Laura Ravazzini, postdoctorante aux Universités de Lausanne et Neuchâtel, analysent quatre clichés.

Un homme au bénéfice d’une formation obligatoire vivra-t-il seul?

«C’est vrai que c’est dans ce groupe que l’on trouve aujourd’hui le plus de personnes seules, confirme Laura Ravazzini. Mais enfin ce n’est pas une condamnation au célibat, nombre d’entre eux fondent une famille. Avec une femme qui, statistiquement, n’aura pas d’autre formation que l’école obligatoire.» La bonne nouvelle? Ces couples durent plus longtemps que la moyenne.

Une femme universitaire risque-t-elle aussi de vivre seule?

«On sait que les femmes très formées sont plus souvent célibataires, et il y a plus de femmes universitaires qu’avant, donc je m’attendais à ce que ce groupe explose, explique Laura Ravazzini. Mais non. C’est vrai qu’elles ont une plus grande probabilité d’être célibataires que les autres femmes, mais dans une proportion moindre qu’en 1992, relève la chercheuse. Nous n’avons que les chiffres, pas d’entretiens qualitatifs qui expliqueraient pourquoi ça a baissé – peut-être parce qu’aujourd’hui on concilie plus volontiers la famille et la carrière qu’il y a vingt-cinq ans. C’est difficile de savoir quels modes de vie se cachent derrière ces résultats. Ils ne prennent en compte que les ménages communs, on ne peut pas exclure qu’il y ait parmi elles des femmes qui aient un compagnon, mais qu’ils ne vivent pas sous le même toit – c’est financièrement jouable quand les deux ont un bon revenu, et c’est fréquent quand ils n’habitent pas dans la même ville.»

Les médecins n’épousent plus des infirmières mais des médecins

«Ça a toujours été un cliché de penser que le patron épousait sa secrétaire et le docteur son infirmière, relève Ursina Kuhn, mais il y a un fond de vérité, ne serait-ce que parce qu’il n’y a pas si longtemps, des femmes médecins, il n’y en avait tout simplement pas. Comme il n’y avait pas non plus de femmes professeures d’université. Maintenant, il y en a, et ce sont en effet plutôt des hommes du même niveau de formation qui les épousent: l’homogamie entre universitaires s’est renforcée.»

Ce qui compte aux yeux d’une femme, ce n’est pas la formation de son conjoint, mais son salaire?

«Nous n’avons pas directement comparé ces deux facteurs, explique Ursina Kuhn. Nous avons toutefois constaté que la plupart des femmes choisissent soit un partenaire ayant le même niveau d’éducation, soit, si le partenaire a un niveau d’éducation inférieur, un homme qui gagne bien sa vie. Bien que l’égalité entre les sexes ait été atteinte au niveau de l’éducation et que les femmes deviennent de plus en plus indépendantes économiquement, le revenu du partenaire est toujours important pour les femmes – les rôles traditionnels sont encore très présents.»SA

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