Michel Layaz a terminé des études de Lettres à l’UNIL en 1989. Aujourd’hui écrivain reconnu en Suisse et en France, il signe avec Le Tapis de course son treizième roman, prouvant sa maîtrise de la narration et de l’incarnation d’univers décalés.
«Pauvre type». Tout commence par cette interjection lancée sur un ton neutre par un jeune homme dans la file d’un supermarché à la figure du narrateur du dernier roman de Michel Layaz. Le Tapis de course, ouvrage troublant et touchant, psychanalyse un personnage détestable mais ébranlé par cette insulte qui ne cesse de le tourmenter. Au fil d’un journal intime enregistré sur son téléphone portable, le bibliothécaire raconte ses tourments, ses cauchemars et le plaisir qu’il a d’exercer son pouvoir sur le monde qui l’entoure. Son utilisation obsessionnelle du tapis de course, instrument de torture salvateur, dévoile aussi une image de notre société contemporaine où la performance règne en maîtresse absolue. Un récit bien mené, crispant de par l’incarnation très maîtrisée d’un personnage principal agaçant, mais qui rend aussi l’abnégation et la générosité des autres protagonistes encore plus prégnantes. Collectant des phrases assassines dans la grande littérature pour son «petit panthéon privé», le narrateur ne reste pas non plus sans faire sourire.
Trop difficile pour l’auteur de créer une personnalité qui n’ait pas une once d’humanité? « Oui, je l’ai nuancé, il était encore pire avant, s’amuse le romancier. Son rapport intéressé à la littérature est aux antipodes de ma propre conception. Accepter de rendre la parole de ce “pauvre type” littérairement intéressante représentait un vrai paradoxe, comme si certaines phrases étaient trop belles pour lui. Mais cet homme incarne aussi une réalité qui nous menace tous un peu – sa lâcheté banale, son côté antipathique, sa suffisance, ses petites mesquineries.» A l’opposé de son dernier roman (Deux sœurs, Zoé, 2011) empli de personnages solaires et totalement libres, Le Tapis de course met en scène la banalité du mal. Les deux livres n’en forment toutefois pas moins un diptyque selon l’écrivain, chacun à deux extrémités de ce que l’humanité est capable d’inventer. «Tout est question de trouver la tonalité juste qui convienne à ce que l’on veut faire. J’y passe beaucoup de temps. Le ton change d’un livre à l’autre et ouvre à chaque fois un nouvel univers.»
Sortir de sa bulle. Ne pas s’enfermer comme son personnage dans une routine ou une manière unique de voir les choses, Michel Layaz y prend garde. Les voyages, la découverte de l’ailleurs et des autres, sont un des moyens de garder un regard neuf sur le monde. Le premier roman du Fribourgeois d’origine, Quartier Terre, publié en 1993, est le résultat d’un périple de six mois autour du bassin méditerranéen. D’autres expéditions suivent, dont un séjour à l’Institut suisse de Rome, et conduisent souvent à la naissance d’un nouvel ouvrage. La littérature permet, elle aussi, d’élargir la vision et l’esprit. Cendrars, Pessoa ou Eric Chevillard pour les contemporains, des écrivains vers lesquels Michel Layaz aime retourner régulièrement. «Ce sont des gens qui me donnent envie d’écrire, une affaire où on se retrouve parfois bien seul.»
Blaise Cendrars, l’envie d’écrire ou l’univers de «la grande bibliothèque», lieu central du Tapis de course, des passions qui datent du séjour à l’UNIL de Michel Layaz, où il a effectué des études de Lettres et rédigé un mémoire sur l’auteur de L’Or. «Pour moi, l’université était un lieu de passage qui me permettrait d’aller ailleurs après. Le monde universitaire offre d’apprendre la rigueur et une démarche scientifique. Il donne aussi la chance de pouvoir s’intéresser à ce que l’on veut et ce qui nous passionne, mais je n’ai jamais eu l’intention d’y prolonger mon temps.» S’il a quitté l’académie, l’enseignement, lui, ne l’a pas quitté. Quand il n’écrit pas, Michel Layaz transmet aujourd’hui sa passion de l’écriture aux jeunes. Il enseigne aussi bien à l’Institut littéraire de Berne à ceux qui vouent au langage un amour sans borne, que dans une école professionnelle commerciale où le rapport à la langue est parfois plus conflictuel. Une manière de «repayer sa dette sociale», selon lui. De quoi compenser clairement l’égoïsme féroce de son anti-héros.
Pour les lecteurs d’Allez savoir?!, Michel Layaz lit un extrait du Tapis de course.