Vaudaire, joran, rebat, séchard ou dézaley… la région lémanique est balayée par une multitude de vents différents. «Allez savoir!» vous propose de les découvrir avec Jean-Michel Fallot, un expert de l’UNIL. L’occasion, aussi, de mesurer quel est le potentiel du pays en matière d’énergie éolienne. Et là, surprise, il n’est pas aussi décoiffant qu’on l’imaginait.
Certains airs nous refroidissent jusqu’à la moelle des os, d’autres vents nous apportent une douce fraicheur. Certains annoncent le beau temps, d’autres des précipitations. Certains soufflent en légères bouffées, d’autres peuvent se déchaîner avec violence, comme l’ouragan Lothar de sinistre mémoire, qui, en décembre 1999, a détruit de larges portions de forêts.
Certains airs nous refroidissent jusqu’à la moelle des os, d’autres vents nous apportent une douce fraicheur. Certains annoncent le beau temps, d’autres des précipitations. Certains soufflent en légères bouffées, d’autres peuvent se déchaîner avec violence, comme l’ouragan Lothar de sinistre mémoire, qui, en décembre 1999, a détruit de larges portions de forêts.
Le territoire suisse en général, et la région lémanique en particulier, sont battus par tous les vents. Des déplacements d’air qu’il est important de connaître et de mesurer, car ils influencent la météorologie, mais aussi la dispersion des produits polluants dans l’atmosphère.
Pourquoi nos vents sont déviés vers la droite
Le vent? On nomme ainsi «un mouvement d’air horizontal qui se crée entre différentes zones de pression et qui se déplace des hautes vers les basses pressions», précise Jean-Michel Fallot, maître d’enseignement et de recherche à l’Institut de géographie à l’UNIL. Mais cette définition générale cache de multiples situations.
Pouvant venir des quatre points cardinaux, les «vents généraux», appelés aussi «géostrophiques» ou «synoptiques », sont liés à la présence dans l’atmosphère d’anticyclones (où règnent de hautes pressions) et de dépressions. Ces courants, qui soufflent en direction des secondes, sont ensuite déviés par la force de Coriolis, due à la rotation de la Terre.
C’est ce qui explique que, comme l’eau s’écoulant dans un évier, ils sont déviés vers la droite dans l’hémisphère Nord: ils soufflent autour des anticyclones dans le sens des aiguilles d’une montre et dans le sens inverse autour des dépressions. C’est bien évidemment le contraire qui est observé dans l’hémisphère Sud.
Un sol rugueux peut influencer le vent
Ils subissent en outre l’influence des continents et, plus localement, de la rugosité du sol et des reliefs. Dans les régions montagneuses, ils peuvent ainsi être canalisés par des vallées «ou subir des effets particuliers en passant au-dessus des reliefs, et notamment donner des effets et des courants de foehn», précise le géographe de l’UNIL.
Les différences de pression que l’on observe dans l’air peuvent aussi provenir de variations de températures à la surface du globe. Elles donnent alors naissance, à une échelle plus locale, à des «courants thermiques». «C’est notamment le cas lorsque les vents généraux soufflent faiblement et que l’on a un ciel clair, explique Jean-Michel Fallot. Certaines zones de la surface de la terre, plus exposées au soleil, se réchauffent davantage; on assiste alors à la naissance de courants allant des zones les plus froides, où la pression est la plus élevée, aux zones les plus chaudes. Il se forme des courants thermiques, que l’on connaît généralement sous le nom de brises.»
Brises de lac ou de vallée
Suivant les endroits où elles se lèvent, ces brises peuvent se manifester de diverses manières. Les brises de mer ou de lac vont ainsi souffler durant la journée de l’eau plus fraîche en direction des terres plus chaudes. Suivant la direction opposée pendant la nuit, elles se transforment en brises de terre.
D’autres courants de ce type sont liés aux reliefs, comme les brises des vallées qui remontent ces dernières pendant les périodes diurnes et les brises de montagne qui prennent le chemin inverse durant les heures nocturnes. Ou comme les vents de pente dits ascendants ou descendants, selon qu’ils remontent ou dévalent les versants des montagnes.
Les courants thermiques peuvent acquérir une forte puissance, tout particulièrement dans les régions polaires lorsqu’ils descendent des continents gelés et s’écoulent en direction des océans plus chauds. Le même phénomène, dans des proportions bien moindres, peut aussi se produire lorsqu’ils s’écoulent des glaciers alpins en direction des vallées. «Ce vent de glacier est très perceptible près des grandes étendues de glace, comme celle d’Alestsch, dans le Valais.»
Les vents les plus violents qu’on connaisse
Pour compléter le tableau des principaux vents qui soufflent sur la planète, il faut encore mentionner les vents d’orage. Ces courants froids plongent des nuages d’orage, les cumulonimbus, vers le sol et ils peuvent alors provoquer de violentes rafales.
Dans le même temps, des courants ascendants aspirent l’air chaud depuis le sol et alimentent le nuage en énergie. «Ils peuvent parfois s’organiser en une véritable cheminée à l’intérieur de laquelle ces courants tournent de plus en plus rapidement en aspirant de plus en plus fortement l’air du sol.» Dans les cas les plus extrêmes, un entonnoir descend du nuage jusqu’à la terre ferme et déclenche une tornade.
Ce phénomène, dont des images nous parviennent régulièrement, notamment des Etats-Unis, est très spectaculaire. Mais ces vents «sont les plus violents que l’on connaisse sur terre et ils sont aussi dangereux», souligne Jean-Michel Fallot. Leur pouvoir destructeur au mètre carré est supérieur à celui d’un cyclone tropical, mais leur étendue et leur durée sont beaucoup plus limitées. Bien que prenant un tour bien moins violent, le phénomène affecte aussi notre région, comme en témoignent les trombes qui tombent de temps à autre sur le Léman.
Le vent suisse s’appelle le «sudois»
Que ce soit à l’échelle régionale ou locale, la Suisse est battue par ces différents types de vents. Elle est notamment balayée par un vent général que l’on qualifie souvent tout simplement de «vent» ou de «vent d’ouest». Jean-Michel Fallot préfère l’appeler le «sudois», nom que lui a donné Max Bouët dans son livre «Climat et météorologie de la Suisse romande », publié en 1973.
«Ce vent souffle sur le Plateau suisse à n’importe quel moment de l’année avec des afflux d’air généraux du sud-ouest, d’ouest, du nord-ouest et même du nord qui sont alors déviés par les Alpes en flux d’ouest à sud-ouest près du sol sur le Plateau.» Le sudois peut être chaud lorsqu’il amène de l’air tropical ou froid quand il transporte de l’air polaire.
Il peut parfois se déployer avec une rare violence, comme il l’a fait en février 1990 ou en décembre 1999 avec les tempêtes Vivian ou Lothar qui ont atteint la force d’un cyclone tropical avec les mêmes effets dévastateurs. On a ainsi mesuré une rafale de près de 270 km/h au col du Grand-Saint-Bernard, lors de l’ouragan Vivian.
Froide en hiver, la bise est parfois douce en été
La bise peut, elle aussi, être forte et souffler à 180 km/h sur les crêtes du Jura; mais elle n’est pas réputée pour nous amener de la chaleur. Elle se manifeste généralement «lorsqu’il y a un anticyclone sur le nord-ouest et le nord de l’Europe et une dépression sur la Méditerranée, ce qui favorise un afflux d’air du nord-est ou d’est dans nos régions», explique le géographe de l’UNIL.
Il n’est donc pas étonnant qu’en hiver, la bise soit glaciale, puisqu’elle nous vient d’Europe orientale ou de Russie. En revanche, en été, lorsque ses terres d’origine se réchauffent, «elle devient fraîche». Sur le Plateau, elle peut même être douce, lorsqu’elle provient d’un afflux d’air venu des Balkans, car elle se mêle alors au foehn du sud soufflant en même temps dans les vallées alpines.
Pourquoi la «bise noire» annonce le mauvais temps
En général, la bise est signe de beau temps. Il arrive toutefois, lorsque la dépression au-dessus de la Méditerranée est située à proximité de la Suisse, qu’elle s’accompagne de nuages noirs. Cette «bise noire» amène un temps très maussade, surtout sur le versant nord des Alpes et en Suisse alémanique, alors que le bassin lémanique et le Valais sont souvent moins touchés.
Si la bise est froide parce qu’elle provient de régions souvent glaciales, le foehn, en revanche, ne doit pas sa chaleur à son origine, mais à un tout autre phénomène lié à son périple dans la chaîne alpine.
Comment le foehn se réchauffe dans les Alpes
Vent chaud et sec, le foehn se décline en deux catégories: celui du sud aborde le massif par le versant sud et souffle sur les vallées du nord; celui du nord suit le chemin inverse. Mais l’un et l’autre résultent des mêmes mécanismes.
Les courants escaladent le relief et, à mesure qu’ils s’élèvent, ils se refroidissent, et leur taux d’humidité augmente. Des nuages s’accumulent alors, mais ils restent bloqués par «effet de barrage» sur le versant que le vent a escaladé. Les courants plongent ensuite de l’autre côté de la chaîne montagneuse; ils se réchauffent et s’assèchent peu à peu et donnent ce vent chaud et sec soufflant dans les vallées.
«Lorsque l’air s’élève, il se refroidit en moyenne de 0,5°C tous les 100 mètres, précise Jean-Michel Fallot. Mais quand il redescend, il se réchauffe d’abord dans les mêmes proportions puis, lorsque les nuages se dissipent et que l’air devient sec, sa température augmente de 1°C par 100 mètres. Autrement dit, il se réchauffe plus rapidement quand il plonge sur le versant sous le vent qu’il ne se refroidit en s’élevant sur le versant au vent. Sa température est donc liée à son passage par dessus les Alpes. C’est ce que l’on nomme l’effet de foehn.»
Le phénomène doit son nom, issu de dialectes germaniques alpins, au fait qu’il a été expliqué pour la première fois dans les Alpes. Mais «on l’observe dans tous les massifs montagneux. Suivant les régions, il peut d’ailleurs prendre d’autres appellations, comme le chinook, dans les Montagnes rocheuses, ou encore le zonda dans les Andes.»
Joran, vaudaire, rebat, bornan ou môlan, ces vents du Léman
Plus local, le joran souffle au pied du Jura. Vent de beau temps par situation anticyclonique, il peut devenir violent et capricieux par temps d’orage. Ses rafales brusques, dont la vitesse peut atteindre 100 à 120 km/h, produisent ces coups de tabac redoutés des navigateurs.
Débouchant du Valais pour arriver sur le Léman, la vaudaire peut, elle aussi, prendre plusieurs tournures. Lorsqu’elle est produite par le foehn, elle donne un courant chaud et sec. Mais si l’orage s’en mêle, le froid et l’humidité sont au rendez- vous.
Joran et vaudaire sont deux exemples de courants régionaux et locaux typiques du bassin lémanique. Il y en a bien d’autres. Certains sont associés à des vents d’orage, tels le bornan ou le môlan. D’autres sont liés à des brises thermiques comme le rebat durant le jour ou encore, durant la nuit, le jorasson, le morget, le bisoton, le dézaley dont les noms changent en fonction du lieu.
Des vents sous surveillance
Autant de vents qu’il est nécessaire de surveiller de près. Afin de déterminer régulièrement leur force, leur direction, leur vitesse et leur fréquence, dix stations de mesure sont installées sur les bords du Léman (dont trois sur la rive française), et cinq autres dans le reste de la Suisse.
Les mesures au sol sont complétées par les sondages atmosphériques qui permettent de surveiller les courants en altitude. Décollant deux à quatre fois par jour de Payerne, et pouvant atteindre 40 km d’altitude, des ballons équipés de sondes mesurent non seulement les différents paramètres des courants, mais aussi la température et l’humidité de l’air, ainsi que la pression. «Cela permet de déterminer les caractéristiques de l’atmosphère dans la dimension verticale.»
Des tourbillons en Gruyère
Toutes ces données, agrémentées parfois de celles – plus globales – fournies par des satellites, servent à alimenter les modèles météorologiques et climatiques numériques. A l’échelle plus locale, elles sont aussi utiles à la réalisation de modélisations physiques en laboratoire. Il s’agit alors de «reproduire l’écoulement des vents sur des maquettes topographiques d’une région donnée qui sont installées dans des souffleries», précise Jean-Michel Fallot qui a eu recours à ce dispositif pour simuler les vents thermiques dans certaines vallées alpines.
«Cette structure est lourde, mais elle apporte des informations visuelles très utiles pour compléter notre connaissance des vents dans les trois dimensions, en tenant compte de la topographie précise des lieux.» C’est ainsi que le géographe a pu repérer, dans la vallée de la Sarine en Gruyère, des tourbillons que les modèles numériques n’avaient pas pu détecter.
La Suisse n’est pas la mieux placée en matière d’éoliennes
La surveillance des vents à l’échelle mondiale, régionale ou locale est certes nécessaire aux météorologues pour prévoir le temps. Mais elle est aussi utile aux gestionnaires du trafic aérien et maritime, aux navigateurs qui voguent sur les lacs et aux adeptes de vol à voile et autres sports qui font appel au vent.
Elle sert également à contrôler la qualité de l’air dans laquelle les vents prennent une large part, puisque ce sont eux qui dispersent les polluants.
Suivre la vitesse moyenne des vents et leurs caprices s’avère aussi indispensable «pour connaître le potentiel éolien du pays», souligne Jean-Michel Fallot. Le développement de l’énergie éolienne est dans l’air du temps.
Toutefois, dans ce domaine, «la Suisse occupe une position géographique moins favorable que les régions européennes situées en bord de mer». Pour faire tourner des éoliennes de façon rentable, il faut en effet que «les vents soufflent avec régularité et avec une certaine force durant le jour et la nuit sur l’ensemble de l’année». Une situation que l’on ne trouve que sur les sommets alpins, «qui sont difficilement accessibles», sur les crêtes du Jura ou encore dans certaines grandes vallées alpines comme la cluse du Rhône entre Saint-Maurice et Martigny.
Faisant la pluie et le beau temps, le vent n’est pas seulement affaire de géographe ou de météorologue. Il peut aussi souffler quelques bouffées d’air froid sur les velléités de promouvoir l’essor de parcs éoliens dans notre pays
Elisabeth Gordon