Pour le secret bancaire, et pour la Suisse, la situation est grave mais pas désespérée

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En 2009, la Confédération  a vécu de graves tensions, notamment avec les Etats-Unis, l’Allemagne, la France et l’Italie, qui portaient sur l’un des fondements du système bancaire helvétique. Survivra-t-il ? Sous quelle forme ? La Suisse pourra-t-elle s’en passer? L’analyse d’une experte de l’UNIL.

«Il suffit de prononcer les mots «secret bancaire» pour enclencher des débats passionnés. Cette institution fait régulièrement l’objet de controverses et figure parmi les questions sensibles qui divisent systématiquement les opinions. Aussitôt, on réalise que le secret bancaire n’est pas une institution juridique ordinaire, mais un véritable mythe qui a profondément influencé l’histoire économique de la Suisse.» Ces quelques lignes ouvrent la somme publiée en 2002 par l’avocate lausannoise Aurélia Joyce Rappo et intitulée sobrement «Le secret bancaire».

Cette thèse soutenue à l’Université de Lausanne, sous la direction du professeur Laurent Moreillon, et qui lui a valu le prix du Crédit Suisse Lausanne, tient compte de la législation, de la jurisprudence et de la doctrine jusqu’au 1er décembre 2000. Autant dire que les événements de ces derniers mois pourraient lui avoir porté un coup fatal. Paradoxalement, c’est tout le contraire! L’intérêt de ce travail est dopé par l’actualité récente.

Le secret bancaire n’est immuable qu’en apparence

Dans les faits, l’histoire du secret bancaire en Suisse et sa lente genèse, le rappel de sa portée dans le temps et pour les personnes concernées se révèlent indispensables pour comprendre vraiment le raz-de-marée médiatique qui a accompagné les dernières mises en cause de ce véritable monument helvétique. Elles permettent aussi de comprendre, sinon d’excuser, certaines lenteurs de réaction et un vieux fond d’arrogance officielle qui ont pu sembler inappropriés et déplacés à chaud.

Rencontrer Me Aurélia Joyce Rappo dans son bureau lausannois, c’est admettre, dès les premiers mots, que le thème du secret bancaire n’est rébarbatif qu’à la surface des paragraphes juridiques… C’est comprendre très vite aussi que cette institution n’est immuable qu’en apparence et qu’elle a dû s’adapter en permanence au fil des ans, pour coller à un monde bancaire mutant en permanence pour s’adapter aux standards internationaux.

L’année 2009 s’inscrit dans une longue liste de crises successives

«L’année 2009 s’inscrit dans une longue liste de crises successives, explique Aurélia Joyce Rappo. Très souvent, elles se sont soldées par une diminution de la portée du secret bancaire. Pour qu’il soit défendable, la Suisse a très vite considéré qu’il ne devait pas couvrir les abus. En substance, pas question qu’il protège des actes criminels. Mais, au fil du temps, la liste de ces activités criminelles s’est étoffée. Il a bien fallu admettre que le secret bancaire ne pouvait plus s’appliquer en cas de blanchiment d’argent, de corruption, de délits d’initiés, d’actes de terrorisme ou de certains délits douaniers.»

Dans cette perspective mouvementée, l’année en cours marque une nouvelle étape. «Jusque-là, pour la Suisse, la lutte contre le crime était une chose, la lute contre les délits fiscaux en était une autre, rappelle l’experte de l’UNIL. Depuis cette année, sa position touchant à l’accès aux informations bancaires dans le domaine fiscal a changé.» Encore une évolution majeure, sous l’empire d’une de ces crises qui ont restreint progressivement la substance du secret bancaire. Le retour sur le passé permet d’apprécier la continuité de ce grignotage au fil des ans.

A l’avenir, des informations seront échangées

Sur le fond, ce dernier épisode a concrétisé le rapprochement de la Suisse et de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) dans le cadre des relations internationales et des conventions de double imposition (article 26 du Modèle de convention de l’OCDE): «La Suisse a finalement revu ses accords bilatéraux en matière fiscale, note Aurélia Joyce Rappo. A l’avenir, il sera possible pour les autorités administratives d’échanger des informations à des fins fiscales par le biais de l’entraide; autrement dit, le secret bancaire ne devrait plus pouvoir être opposé aux demandes fiscales de renseignements.»

Dans les négociations de ces nouvelles conventions, qui, idéalement, devraient devenir le cadre du secret bancaire, pour les années à venir, le Conseil fédéral a insisté pour que cette «assistance administrative» ne soit accordée que si certaines garanties sont remplies. Il vaut la peine de les détailler, pour évaluer la marge de manœuvre helvétique: pas d’échange automatique d’informations; une entraide au cas par cas et en réponse à des demandes concrètes; pas de «pêches aux renseignements» (enquêtes exploratoires systématiques); des échanges d’informations limités aux seuls impôts visés par la convention de double imposition concernée… «Toute la question est de savoir comment seront interprétées ces restrictions et quelle sera la pratique qui sera adoptée», observe Aurélia Joyce Rappo.

La stratégie de la Suisse n’a pas fonctionné

Pour apprécier à quel point l’histoire s’est accélérée, il suffit de quelques points de repère. Les précisions, une fois de plus, de la spécialiste de l’UNIL: «En 2001 déjà, le groupe socialiste des Chambres avait interpellé le Conseil fédéral en matière d’évasion fiscale; il avait proposé que la Suisse négocie un accord bilatéral d’assistance administrative avec l’Union européenne en cas de soustraction d’impôt ou de délit douanier… A cette époque, le Conseil fédéral avait commandé une enquête d’opinion pour vérifier la cote de popularité du secret bancaire. La majorité des sondés s’étant déclarée favorable à son maintien, le gouvernement en avait conclu que le secret bancaire suisse n’était pas négociable.» Point à la ligne!

La conclusion de l’avocate lausannoise: «La Suisse a tenté de défendre aussi longtemps que possible sa politique du secret bancaire. Sa stratégie consistait à défendre le secret bancaire en privilégiant l’imposition à la source des revenus de l’épargne, soit l’impôt anticipé prélevé sur les intérêts. Elle partait de l’idée que ce système pouvait être présenté comme une mesure équivalente à une déclaration. Cette stratégie n’a donc pas fonctionné.»

La crise et l’affaire UBS ont accéléré la pression sur la Suisse

Un constat sans appel. Et il se double d’une appréciation qui est, elle aussi, sans ambiguïté: «La politique helvétique aurait sans doute pu être défendue un peu plus longtemps, si la crise économique et l’affaire UBS n’avaient pas éclaté, estime Aurélia Joyce Rappo. En revanche, il est difficile d’affirmer qu’elle aurait pu être soutenue à long terme. C’est un peu la chronique d’une mort annoncée. Du reste, de nombreux établissements bancaires avaient déjà anticipé cette évolution. Par exemple en n’acceptant plus certains profils de clients et en s’orientant vers une clientèle moins attachée au secret bancaire, notamment la clientèle institutionnelle.»

C’est exactement sur cette même ligne que s’exprimait, mi-octobre dernier, le directeur et chef économiste de l’Institut de recherches conjoncturelles BAK Basel Economics, Urs Müller, en rendant publics ses travaux sur l’impact de l’éventuelle disparition du secret bancaire. Une révélation qui a fait grand bruit. Dans le pire des scénarios, les revenus des banques baisseraient d’un quart environ, envisageait-il. Pour préciser immédiatement que la levée du secret bancaire ne signifierait en tout cas pas le départ de tous les avoirs étrangers placés en Suisse.

Quels clients sont intéressés par le secret bancaire?

Les points sur les «i», avec Aurélia Joyce Rappo: «Il faut bien distinguer deux profils de clients. Les épargnants qui sont particulièrement visés par la crise actuelle sont des clients étrangers qui possèdent une fortune non déclarée en Suisse. Pour eux, il est indéniable que le secret bancaire exerçait un pouvoir attractif très fort. Aujourd’hui, ils sont à la recherche d’autres solutions, notamment à l’étranger. En ce sens, la concurrence internationale joue pleinement. Et puis, il y a les clients pour qui le secret bancaire n’est pas le critère majeur de leur politique de placement; ils misent plutôt sur la qualité du service ou la sécurité de leurs investissements (voir les scandales financiers qui ont défrayé la chronique l’année dernière)…»

Reste la question que tout le monde se pose, mais qui n’a pas encore reçu de réponse concrète… et pour cause! Un produit «légal» de substitution au secret bancaire est-il envisageable? Aurélia Joyce Rappo n’exclut rien: «Dans ce domaine, l’imagination est prolifique. Certains travaillent déjà sur des produits de substitution.»

Le banquier doit connaître le bénéficiaire final des fonds

Mais la crise que nous traversons aura au moins eu un mérite crucial, celui de rappeler les principes de base dans ce domaine. La mise au point de la spécialiste de l’UNIL: «En principe, le contribuable a l’obligation de déclarer, dans son Etat de domicile, l’ensemble de ses revenus et de sa fortune, où qu’elle se trouve et quelle que soit sa source. A partir de là, toutes les constructions juridiques insolites qui n’ont pas d’autres buts que d’échapper à l’impôt peuvent être considérées comme abusives et être assimilées à de l’évasion fiscale. C’est donc non seulement du (très) court terme, mais c’est risqué.»

Voilà pour les principes! La pratique vaut aussi son pesant d’avertissement pour l’avenir. La démonstration d’Aurélia Joyce Rappo: «La réglementation en vigueur en matière de blanchiment d’argent oblige tout banquier à identifier l’ayant droit économique des fonds qu’il reçoit en dépôt. Par conséquent, quelle que soit la structure juridique mise en place, il n’en demeure pas moins que le banquier doit connaître le bénéficiaire final des fonds, il doit l’identifier et documenter ses dossiers. Par conséquent, il existera toujours dans les dossiers de la banque un lien entre les avoirs et leur titulaire économique. A ce jour, ce lien doit être conservé uniquement dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent, et non pour lutter contre l’évasion fiscale. En revanche, nul ne sait si, un jour, ce pas ne sera pas franchi.»

Au train où vont les choses… Avis aux amateurs!

Laurent Bonnard

Pour en savoir plus:
Aurélia Joyce Rappo, Le secret bancaire, sa portée dans le temps, dans l’espace et les groupes de sociétés, Editions Staempfli ASR, Berne 2002, 321 pages

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