Parents plus âgés, enfants mieux formés

Plus les parents sont âgés quand ils accueillent leur premier-né, meilleur sera le niveau d’éducation de leur progéniture. La conclusion de l’étude du sociologue Michael Grätz éclaire un pan de la reproduction des inégalités au sein des sociétés modernes, car ce sont surtout les plus éduqués qui repoussent le moment de fonder une famille.

Les couches de la population les plus éduquées font des enfants plus tard et favorisent ainsi les chances de leurs descendants de suivre de longues études. © damircudic / iStock

Les inégalités sociales ont une fâcheuse tendance à se transmettre de génération en génération. Au cœur de ce mécanisme, il n’y a pas que la fortune que les parents lèguent à leurs enfants. D’autres éléments jouent également un rôle. Des facteurs moins évidents, liés au parcours de vie des uns et des autres. Il existe, par exemple, un lien entre l’âge des parents à la naissance de leur premier enfant et les résultats scolaires de celui-ci.

Globalement, plus les parents sont âgés lorsqu’ils accueillent leur premier-né, meilleur sera le niveau d’éducation atteint par leur progéniture. Bien sûr, la fécondité a ses limites. La biologie restreint les possibilités d’enfanter en vieillissant. Surtout du côté des femmes. Mais, le fait d’avoir un enfant à 35 ans plutôt qu’à 20 ou 25 ans augmente les chances que ce dernier poursuive des études supérieures.

On pourrait se dire que cela tombe bien, puisque depuis un demi-siècle l’âge moyen des parents n’a cessé de grimper, notamment celui des femmes. Entre 1970 et aujourd’hui, il a augmenté de 2 à 5 ans dans les pays de l’OCDE. Au sein de cet ensemble qui compte 38 États industrialisés et démocratiques, l’âge moyen de la maternité tourne désormais autour de 30 ans ou plus. En Grèce, en Irlande, en Italie, au Japon, en Corée, au Luxembourg, en Espagne et en Suisse, cet âge moyen se situe même au-dessus de 32 ans.

Toutefois, si on y regarde de plus près, les statistiques montrent que ce sont d’abord les parents au bénéfice d’un niveau d’éducation plus élevé qui font des enfants à un âge plus avancé: environ trois ans plus tard que pour le reste de la population. Un décalage que l’on retrouve dans de nombreux pays industrialisés.

Michael Grätz. Professeur assistant boursier FNS à l’Institut des sciences sociales et au Life course and Social Inequality Research Center (LIVES). Nicole Chuard © UNIL

Inégalités sociales renforcées

Le souci, c’est que cette tendance, largement répandue dans les sociétés modernes, fait craindre un renforcement des inégalités sociales, puisque les couches de la population les plus éduquées font des enfants plus tard et favorisent ainsi les chances de leurs descendants de faire, eux aussi, de longues études. C’est ce que relève Michael Grätz, sociologue à l’UNIL et au centre LIVES. Le chercheur poursuit un projet consacré à l’égalité des chances (Liberal and radical equality of opportunity). Dans une étude publiée récemment1) avec son collègue Øyvind Wiborg de l’Université d’Oslo, le scientifique d’origine allemande s’est penché sur le phénomène qualifié de transmission intergénérationnelle de l’éducation. Il a ainsi mesuré la force de ce lien entre l’âge des parents et les résultats scolaires des enfants.

Il faut rappeler que par le passé, la grande majorité des gens devenaient parents relativement tôt. La question de l’impact de leur âge sur le parcours scolaire de leur progéniture ne se posait donc pas vraiment. Mais aujourd’hui, le premier bambin arrive globalement de plus en plus tard, tant chez les hommes que chez les femmes. «C’est l’observation de cette évolution démographique qui a servi de point de départ à notre étude», précise Michael Grätz.

Le constat du sociologue contraste avec la réalité biologique. Sur ce plan-ci, une grossesse tardive peut être préjudiciable, car elle augmente les risques d’une naissance prématurée, d’une pré-éclampsie, d’une fausse couche ou d’anomalies chromosomiques. Une paternité tardive est, elle aussi, associée à plus de risques pour la santé du bébé. Sur le plan social, en revanche, la balance s’inverse. Elle apparaît plus favorable aux enfants ayant des parents avec un peu plus «de bouteille».

Les études retardent la parentalité

Dans les sociétés modernes, la plupart des parents font leur premier enfant entre 25 et 35 ans. Celles et ceux qui s’engagent dans de longues études, un cursus universitaire par exemple, sont plus nombreux à repousser le moment de fonder une famille au-delà de la trentaine. Ils bénéficient alors de plus de ressources à la fois économiques, sociales, mais aussi culturelles. 

L’hypothèse est la suivante: ces parents à la fois plus âgés et plus éduqués ont un bon bagage scolaire et une culture générale dont ils peuvent faire profiter leurs enfants. Sans compter leur situation financière souvent confortable qui leur permet, par exemple, d’offrir à leur descendance du soutien ou des opportunités d’enrichissement intellectuel auxquels d’autres n’ont pas accès. Des études ont également montré que les mères plus âgées font preuve d’une plus grande stabilité psychique. «On ne peut toutefois pas faire une distinction a priori entre les pères et les mères sur ce plan-là, prévient Michael Grätz. Car les études existantes à ce sujet sont essentiellement focalisées sur les femmes.» Les conclusions du chercheur ne s’arrêtent pas là. Elles montrent certes que l’âge des parents influence les performances scolaires des enfants, mais que cette influence est sensiblement plus marquée dans les familles dont le niveau d’éducation est relativement bas. Autrement dit, pour les catégories sociales moins éduquées, devenir parent plus tardivement dans le parcours de vie améliore tout particulièrement la scolarité des enfants. Dans ces cas-là, on peut imaginer que repousser la première naissance laisse plus de temps aux parents pour accumuler des ressources, notamment économiques, ainsi qu’une expérience de vie, qui seront utiles à l’éducation de leurs enfants.

Afin d’analyser et de mesurer ce phénomène de transmission intergénérationnelle de l’éducation, Michael Grätz s’est servi de données portant sur plus de 200000 parents, nés entre 1951 et 1960. Une fourchette temporelle qui offre un recul suffisant pour prendre en compte le parcours scolaire — jusqu’au niveau secondaire — d’enfants nés alors que leurs parents avaient entre 20 et 40 ans.

Divorce et nombre d’enfants

Tout comme l’âge des parents, d’autres facteurs démographiques influencent le parcours scolaire des enfants, ajoute le sociologue. Une séparation au sein d’un couple est corrélée à un effet négatif sur le niveau de diplôme des enfants. De la même manière, plus il y a d’enfants au sein d’une fratrie, moins bon sera leur parcours scolaire. «Là aussi, on peut expliquer cela par des ressources que les parents vont pouvoir allouer ou non, qu’il s’agisse d’argent, de connaissances ou de temps», résume Michael Grätz. 

Le poids des facteurs démographiques ne devrait pas être sous-estimé. L’influence de l’âge des parents sur le parcours scolaire des enfants subsiste malgré l’existence de politiques sociales destinées à neutraliser les inégalités sociales, comme le montre encore l’étude de Michael Grätz. Pour le dire autrement: ses conclusions restent les mêmes, que les gens vivent dans un pays dont le système éducatif est très égalitaire, comme la Norvège, ou sous un régime qui l’est beaucoup moins, aux États-Unis par exemple. Dans les deux cas, plus on devient parent tardivement, meilleurs sont les résultats scolaires de ses enfants (lire l’article).

Pour le sociologue, comprendre ce qui influence le niveau d’éducation est crucial, car ce dernier constitue un élément clé dans les sociétés modernes. «C’est un indicateur de ce que l’on pourrait qualifier de chance dans la vie.» Car, comme il le souligne encore, un niveau d’éducation élevé va de pair avec une meilleure situation socio-économique, un salaire plus élevé, mais aussi un meilleur état de santé global et une espérance de vie plus longue.

1) Grätz, M., & Wiborg, Ø. N. (2024). Parental ages and the intergenerational transmission of education: evidence from Germany, Norway, and the United States. European Societies, 1–28. doi.org/10.1080/14616696.2024.2310011

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