En complément de l’article paru dans Allez savoir ! 58, septembre 2014. Marc Robin-Rechavi tient un blog : http://toutsepassecommesi.cafe-sciences.org/. Sur Twitter @marc_rr
En quoi consiste votre travail d’éditeur scientifique de la revue PLOS ONE ?
Cette activité n’est pas spécifique au fait que le titre est en open access (OA) : le travail est le même partout. Je reçois, de la part de PLOS ONE, un article soumis par un groupe de chercheurs et je me pose une série de questions comme par exemple : le « papier » est-il pertinent ? Les méthodes employées sont-elles correctes ? Les résultats sont-ils frappants ? A-t-il sa place dans la revue ? Je déniche ensuite des scientifiques du domaine traité afin de leur confier la peer review. Ils se trouvent soit dans mes contacts personnels, ou se repèrent grâce à un outil de recherche de spécialistes comme Jane ou encore sur suggestion des auteurs. Je centralise ensuite les remarques faites par les pairs et j’en donne un résumé aux auteurs. L’éditeur décide quels commentaires doivent être pris en compte ou pas. Le document fait ensuite plusieurs allers et retours. Tous les cas de figure surviennent, des changements légers aux modifications importantes. Ensuite, quand les corrections demandées ont été faites, le « papier » est mis en ligne très rapidement. Au moins de juin, PLOS ONE a dépassé les 100 000 articles.
Quelle est votre motivation ? Ce travail est bénévole !
Nous sommes des milliers d’éditeurs volontaires pour PLOS ONE. Je le fais par sens du devoir et pour animer la communauté. C’est nécessaire pour qu’elle vive, tout comme la réalisation de peer reviews ou l’organisation de conférences. Il faut dire également que figurer parmi les éditeurs d’un titre implique une certaine reconnaissance de la part des collègues, qui vous font confiance. Prendre des responsabilités de ce genre est même attendu de votre part si vous visez des postes supérieurs dans la carrière académique.
Combien coûte à l’auteur une parution en OA?
D’après mon expérience personnelle, les prix naviguent entre 1000 et 3000 $ par article. Certains sont gratuits et d’autres plus chers : PLOS ONE demande 1350 $, ce qui est assez peu. Dans certains cas d’auteurs désargentés, la revue offre même la parution. Depuis peu, le Fonds national suisse (FNS) paie les frais de publications des auteurs dont il soutient les travaux financièrement.
Quels types d’OA trouve-t-on aujourd’hui ?
Par exemple, le modèle hybride. Il s’agit de revues qui fonctionnent sur le principe de l’abonnement, donc du lecteur-payeur. Mais les auteurs qui le souhaitent peuvent payer un supplément pour que leur article soit en OA… Cela donne un sommaire panaché, où certains papiers sont en lecture libre, et d’autres pas. Un business model disruptif a émergé : celui de PeerJ (biologie et médecine). Les auteurs paient une participation unique, au minimum de 99 $, ce qui leur donne le droit, annuellement, de publier un article mais les contraint à une peer review. Petite subtilité : tous les co-auteurs doivent avoir réglé leur cotisation. De manière plus générale, il ne faut pas croire que toutes les revues en OA ne poursuivent pas de but commercial. De même, certains titres qui ont opté pour le « lecteur payeur » n’ont pas de but lucratif. Tous les cas de figures existent.
Quel bénéfices le grand public peut-il attendre de la publication en OA ?
Notre société compte de nombreuses personnes qui possèdent une formation scientifique : des professeurs du secondaire, des ingénieurs, des médecins. Ils peuvent lire les articles parus dans les revues.
Pour les enseignants, c’est une perte que de ne pas y avoir accès pour des raisons de coûts. Quand ils voient dans les news qu’on a trouvé un nouveau dinosaure, ou qu’on parle des OGM ou du réchauffement, ils devraient pouvoir utiliser la littérature scientifique. Pour moi, un véritable OA propose du contenu sous licence « creative commons », que l’on peut réutiliser et proposer au téléchargement. Je parle de cartes, de graphiques qui enrichissent les cours.
Pensez également à des patients atteints de maladies graves ou chroniques, et aux associations qui les représentent. S’ils entendent parler de nouveaux travaux, voire d’un traitement potentiel, ils devraient pouvoir accéder aux informations qui les concernent…
Mais les articles sont compliqués à lire pour des profanes ?
Ne sous-estimez pas la motivation de personnes dont la vie est concernée. En auto-formation, on peut apprendre beaucoup. Et il est toujours possible de soumettre l’article à son médecin pour avoir des informations. De manière générale, les débats de société, que ce soit au sujet de la mort des abeilles, du changement climatique, des perturbateurs endocriniens ou même du créationnisme sortiraient enrichis d’un accès plus large aux travaux des chercheurs. Les militants, les industriels et les journalistes seraient les premiers intéressés, mais tout le monde est concerné. Chaque personne qui souhaite accéder à l’information doit pouvoir le faire. Quand vous devez payer un « papier » avec votre carte de crédit et que vous vous rendez compte en ouvrant le pdf qu’il est inintéressant ou illisible, vous avez perdu de l’argent et vous ne pouvez pas le rendre au fournisseur !
Quels sont vos collègues qui bénéficient de l’OA ?
Le coût des abonnements empêche les chercheurs africains, par exemple, d’accéder à la recherche. Mais c’est également valable pour les pays européens en difficulté économique, comme la Grèce ou le Portugal. C’est un cercle vicieux : pas de connaissance, pas d’innovation, pas de start-ups, pas d’emplois… Les tenants du modèle traditionnel tentent de contrer cet argument en disant qu’il faut payer pour publier dans l’OA, et que c’est un problème aussi. Mais d’abord, un scientifique lit beaucoup plus qu’il ne publie. Ensuite, si vous n’avez pas lu les travaux des spécialistes de votre domaine, vous ne pouvez jamais faire de la bonne science et en arriver au stade de la soumission d’un article. Il vaut clairement mieux payer pour publier que pour lire !
Pourquoi le modèle traditionnel du lecteur-payeur existe-t-il encore ?
C’est l’inertie du système. Pourquoi les maisons de disques existent-elles encore à l’heure d’iTunes ? Il faut prendre en compte la question du prestige cumulé avec les années de revues comme Nature. Un nouveau venu, en OA, ne l’aura pas avant un moment. Toutefois, PLOS Biology et PLOS Medicine font concurrence à de très bons titres, ce qui prouve qu’un changement de mentalité est possible. Le moyen le plus efficace de faire bouger les choses rapidement, c’est quand les organismes qui financent la recherche, comme le Wellcome Trust en Grande-Bretagne, soutiennent la démarche et contraignent à publier en OA. C’est d’ailleurs une bonne chose pour la recherche elle-même, qui circule davantage quand elle est librement accessible ! Enfin, le piège des abonnements réside dans le fait que leurs coûts sont payés par les bibliothèques et les universités sans que les scientifiques ne les voient passer (ils sont même confidentiels !), alors qu’une publication en OA tombe sur le budget du chercheur lui-même…
Il y a un décalage entre les intérêts général et particulier…
Chaque chercheur a en effet intérêt à progresser dans sa carrière grâce à des parutions dans des titres prestigieux. S’ils publient dans une revue OA, c’est bien souvent sans faire exprès… Même si j’ai fait l’effort de ne publier qu’en OA, je n’applique pas forcément cette politique à mes doctorants, qui doivent partir dans la nature munis d’un bon CV.
Que pensez-vous des serveurs institutionnels comme Serval, mis à disposition des chercheurs de l’UNIL et du CHUV par la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne ?
En soi, c’est une bonne chose. Mais pour moi, l’OA green road que permet Serval, c’est à dire la publication dans une revue traditionnelle et le stockage local de l’article, ce n’est pas un véritable open access…
… Pourquoi ?
Parce que les éditeurs ne permettent de loin pas toujours de mettre à disposition la toute dernière version du « papier ». Le site Sherpa/Romeo liste les différentes exigences juridiques. Cela pose deux problèmes. Mettre à disposition un article dans sa version originale, c’est à dire avant l’évaluation par les pairs, implique un manque de contrôles et un risque d’erreurs. Ensuite, cela signifie que deux versions du document circulent ce qui provoque une confusion au moment où quelqu’un va vouloir le citer dans un nouvel recherche: duquel va-t-on parler ?
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Entretiens complets avec Jean-Claude Albertin et Frédéric Schütz.