En complément de l’article paru dans Allez savoir ! 58, septembre 2014
La question de l’open access (OA) est celle des mécanismes de diffusion des résultats de la recherche. Historiquement, les académies des sciences publiaient des annales. Progressivement, au fil du temps, celles-ci se sont transformées en maisons d’édition commerciales efficaces, s’installant progressivement dans des situations de quasi monopole pour certains domaines.
Si l’on dresse un bilan rapide : l’ensemble des acteurs peut compter sur un accès raisonnable aux résultats de la science et l’information circule. Les prestations des éditeurs sont considérées comme étant de qualité, même si les prix et ce qui peut être considéré comme un abus de position dominante par certains agacent sérieusement la communauté scientifique.
Dans le passage du modèle traditionnel à l’OA, il faut veiller à ne pas mettre en pièces ce qui fonctionne bien aujourd’hui. Garantir l’accès aux articles publiés est une chose, mais ce n’est pas tout. Avec le temps, l’édition scientifique a bâti un mécanisme de qualité basé sur l’évaluation des articles par les pairs (peer reviews) et la construction de ces marques que sont les titres de revues, gages de confiance et de crédibilité dans la communauté.
Golden et green road
Ces mécanismes de qualité doivent être transposés vers le nouveau modèle. C’est facile à faire dans la version golden road de l’OA, c’est à dire dans laquelle les auteurs publient directement dans des revues accessibles en OA. Le fonctionnement est identique à celui de l’édition classique, avec des comités de lecture.
Par contre, cela me semble moins clair pour la version green road de l’OA. Dans cette dernière, l’article paraît dans une revue payante classique et l’auteur dépose lui-même une version de son texte sur un serveur institutionnel, comme Serval, mis à disposition des chercheurs de l’UNIL et du CHUV (lire l’encadré ci-dessous).
De manière plus large, la migration d’un système intégré établi vers un système nouveau dont on attend des bénéfices pose des problèmes de gouvernance. Il faut que la démarche soit pilotée pour réussir à atténuer les inconvénients de l’existant, sans perdre ce qui fonctionne. Une discussion à ce sujet est souhaitable en Suisse, car notre pays est assez passif, l’idée dominante consistant à mettre l’accent sur la responsabilité individuelle des chercheurs et à leur laisser le libre choix pour la publication. Cette forte tradition d’autonomie du chercheur constitue clairement un obstacle au développement de l’OA.
Pas de politique volontariste
En Suisse, je n’ai pas vu d’organes de pilotage de la recherche, ou représentatifs de la communauté scientifique, s’emparer de ce sujet et définir une politique volontariste, contrairement à ce qui se passe ailleurs. La Conférence des recteurs des universités suisses (CRUS) a certes signé la Déclaration de Berlin sur le Libre Accès à la Connaissance en Sciences exactes, Sciences de la vie, Sciences humaines et sociales, mais cela n’a été suivi d’aucun instrument d’accompagnement, de stratégie ou de directives, nous sommes un peu dans le registre du vœu pieux. Le Fonds national suisse (FNS) semble toutefois vouloir jouer un rôle, comme en témoigne sa décision récente de soutenir financièrement la publication en OA. Mais nous restons très loin du volontarisme anglais, où cette question a été identifiée au niveau politique et a débouché d’une part sur des règles qui contraignent les chercheurs financés par des entités comme les différents UK Research Councils ou le Wellcome Trust à privilégier l’OA pour la publication, et d’autre part sur des conditions cadres légales garantissant un accès aux informations pour le data mining.
Une responsabilité de la communauté scientifique
Si l’on veut que la transition soit franche, c’est aux chercheurs – et en particulier aux professeurs dont la réputation scientifique est établie – de prendre ce risque,de se mobiliser et de décider que par principe, la diffusion des résultats scientifiques passe par l’OA. Dans certains domaines scientifiques , notamment en physique, cela s’est déjà largement fait.
Au niveau individuel, la question se pose autrement. L’auteur d’un article n’en tire aucun bénéfice financier : son unité monétaire de fait est la reconnaissance scientifique, sur laquelle il construit sa carrière. Celle-ci se mesure grâce à différents facteurs numériques résumés sous le concept de bibliométrie. Et il y a un paradoxe. La communauté scientifique demande un effort de vertu collective à ses membres, mais, en même temps, un jeune chercheur doit se poser la question de l’impact de ses choix de publication sur sa carrière. Car les revues en OA n’atteignent aujourd’hui pas encore le prestige de Science ou Nature. Pour que l’Open Access s’impose comme un modèle viable, il faudra qu’à terme le mécanisme de contrôle de qualité, base de confiance, rsoit transposé d’un système à l’autre. Et cela ne se fera que par consensus des différentes communautés scientifiques. Que le passage à ce nouveau modèle ait lieu ou non, ces consensus s’établiront mondialement par discipline scientifique.
Enfin, si les transitions entre modèles ne sont pas franches,, le risque est grand de voir émerger du marché de l’édition scientifique des modèles hybrides (abonnements et auteurs-payeurs), ce qui ne fera en rien baisser les coûts.
A propos des serveurs institutionnels
Dans la version green road de l’OA, un article paraît dans une revue traditionnelle. Il est de plus déposé sur le serveur institutionnel en libre accès de l’université où travaille le chercheur. Mais il ne s’agit pas forcément de la même version de l’article dans les deux cas. Ainsi, selon les règles adoptées par les éditeurs, que l’on peut consulter grâce à l’outil Sherpa/Romeo, la mise à disposition sur un serveur institutionnel de la dernière version du texte, après son passage par les peer reviews, n’est pas toujours autorisée puisque ce mécanisme de qualité constitue l’une des principales valeurs ajoutées de l’édition scientifique commerciale. Une plateforme comme Serval abrite par nature des documents de natures différentes – des métadonnées concernant les articles publiés, les articles eux-même, éventuellement des données primaires de la recherche, mais aussi parfois des versions pas toujours finales des articles -, dont aucun groupe scientifique clairement identifiable n’assure la responsabilité éditoriale. Le mécanisme de contrôle qualité , élément essentiel de l’édition scientifique, n’est plus assuré systématiquement.
Or, pour ses travaux, le chercheur va toujours vouloir les articles les plus récents, dans leur dernière version et dans un environnement lui inspirant confiance. Aujourd’hui majoritairement ils estime les trouver chez les éditeurs commerciaux et non sur les serveurs institutionnels, qui fonctionnent sur une base essentiellement volontaire. Un signe que la communauté scientifique dans son ensemble n’est aujourd’hui pas encore prête à renoncer à l’édition traditionnelle.
Pour la BCUL, la situation actuelle est donc celle de la superposition de deux modes de diffusion des résultats de la recherche et donc de l’addition des coûts : maintenir et développer une plateforme institutionnelle, qui offre ses avantages propres, et continuer à payer chaque année davantage pour des abonnements.
Et soyons clairs, il n’est pas possible pour les bibliothèques de prendre en charge le rôle d’éditeur, c’est-à-dire de se charger du rôle de garant de la qualité scientifique des contributions, cet élément essentiel du contrôle qualité du mécanisme de dialogue intracommunautaire qu’est l’édition scientifique. Ce rôle ne peut être joué que par la communauté scientifique elle-même, discipline par discipline.Le rôle des bibliothèques est de garantir et de pérenniser l’accès aux connaissances, quels que soit les mécanismes de diffusions choisis par la communauté scientifique. Nous pouvons et voulons sensibiliser aux enjeux de l’OA et accompagner, comme partenaire et prestataire de service, la communauté scientifique dans cette évolution de ses pratiques.
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Entretiens complets avec Marc Robinson-Rechavi et Frédéric Schütz.