«Nous espérons aboutir au plus vite à un vaccin»

«Nous espérons aboutir au plus vite à un vaccin»

Interview de François Sportini, médecin-chef de la Division d’Immunologie et d’Allergie du CHUV

L’équipe de François Spertini, au CHUV, travaille à la mise au point d’un vaccin contre l’allergie. Les chercheurs ont d’abord pris pour cible le venin d’abeille, afin de prouver que la chose était faisable. Cette preuve de principe étant établie, ils vont pouvoir généraliser leur technique à d’autres allergènes, comme le pollen de bouleau ou de graminées.

Le vaccin que vous élaborez ne sera pas préventif, mais thérapeutique. Quel intérêt présentera-t-il par rapport à la désensibilisation classique?

L’un des gros problèmes de la désensibilisation classique est son manque de sécurité. Cette nouvelle forme de désensibilisation devrait supprimer toutes les réactions sévères, ce qui la rendra accessible à la majorité des patients, y compris les asthmatiques.

Le vaccin pourra contenir des doses d’allergènes importantes?

Notre objectif est de parvenir, dès la première injection, à des doses comparables, voire supérieures, aux concentrations maximales administrées lors de la désensibilisation classique. Au lieu de faire un traitement de seize semaines, au cours duquel on augmente progressivement la dose, on peut ainsi injecter la quantité optimale en une seule séance.

Une seule injection suffira?

Nous ne le savons pas encore, car il est difficile d’évaluer les besoins exacts nécessaires à l’induction de la tolérance de l’organisme à l’allergène. En principe, on s’attend à ce qu’une injection, répétée vraisemblablement quatre à six fois pendant deux à trois mois, protège le patient pendant un an. Il reste toutefois la question de la fréquence des rappels. On sait que la désensibilisation n’élimine pas les cellules immunitaires spécifiques de l’allergie; elle provoque simplement chez elles une paralysie qui est réversible. En soi, ce n’est d’ailleurs pas une mauvaise chose, car ces cellules sont peut-être utiles à autre chose. Il y a tellement d’interactions dans le système immunitaire que je préfère les processus modulateurs que les destructeurs. Mais cela implique qu’il faudra prévoir des rappels, trimestriels ou semestriels. Toutefois, aller chez son généraliste deux fois par an, ce n’est pas grand-chose.

Quel est le principe de ce vaccin?

Le principe est d’éviter que la protéine allergisante ne se lie aux IgE (ndlr – composants du système immunitaire qui sont les principaux responsables des réactions allergiques) en lui faisant perdre leur structure tridimensionnelle. L’allergène se présente normalement comme un petit peloton de laine; nous le coupons donc de manière à obtenir un petit fragment linéaire qui se fixe moins bien sur les IgE.

Vous avez déjà testé ces vaccins sur des patients. Quels sont les résultats?

Nous avons d’abord testé ces vaccins sur des souris, puis sur des patients. Il s’agissait d’un essai clinique de phase I, qui nous a permis de constater que le vaccin ne provoquait aucune réaction, donc qu’il était sûr. Nous avons aussi constaté que ce vaccin induisait une tolérance immunologique. Maintenant, il faudra vérifier que ce vaccin protège bien les patients.

C’est pour cela que vous avez créé une petite entreprise?

L’université a soutenu les études précliniques, mais elle ne pourra pas financer le développement du vaccin et les futurs tests cliniques. J’ai donc créé une compagnie, Anergis SA, afin de trouver des investisseurs. C’est d’eux en effet, il ne faut pas se le cacher, que dépendront les avancées dans ce domaine.

Vous vous intéressez aussi aux vaccins contre le paludisme et la tuberculose. Quel est le rapport avec l’allergie

Il y a un fil conducteur. Quand on développe un vaccin contre l’allergie ou contre la tuberculose, l’approche clinique est la même du point de vue de la mise en évidence des effets secondaires, mais aussi du suivi des phénomènes immunologiques. La différence est que, pour l’allergie, l’objectif est de diminuer l’activité du système immunitaire; en revan-che, pour le paludisme ou la tuberculose, il s’agit au contraire de la stimuler. En outre, il existe un lien entre la tuberculose et l’allergie puisqu’on a constaté que les personnes qui avaient été vaccinées avec du BCG faisaient moins d’allergies que les autres. Il est donc possible d’imaginer qu’un des composants (ce que l’on nomme l’adjuvant) du futur vaccin antiallergique puisse inclure des éléments de la bactérie tuberculeuse.

Du point de vue immunitaire, la lutte contre l’allergie va donc à l’inverse de celle menée contre la tuberculose ou le paludisme?

Oui et c’est une observation dont les retombées sont potentiellement utiles. Si l’on sait faire en sorte que l’organisme tolère un allergène, on comprendra mieux comment une bactérie parvient à s’incruster dans l’organisme et on trouvera peut-être un moyen de la déloger. En outre, pour l’allergologue que je suis, la mise au point d’un vaccin permet d’étudier les mécanismes immunitaires, tout en espérant pouvoir déboucher sur une thérapie. Il ne s’agit pas de transformer les patients et les volontaires en cobayes, mais au contraire de mettre au point des vaccins qui permettront peut-être d’éradiquer des maladies catastrophiques. Par ailleurs, dans le domaine de la vaccinologie, une équipe ne peut pas travailler seule. Autant pour le paludisme que pour la tuberculose, nous participons à un réseau de recherche européen qui rassemble un nombre impressionnant d’équipes et de compétences, et nous espérons aboutir le plus vite possible. Je suis confiant dans le volet académique du travail, mais ensuite, il faudra passer à la commercialisation qui répond à d’autres règles, celles du profit. Si nous obtenons un vaccin à la fois efficace et profitable, ce sera génial!

Propos recueillis par Elisabeth Gordon

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