Nous avons deux âges, un test le montre

Notre âge chronologique dépend de notre date de naissance. Notre âge biologique reflète notre état de santé, qui est influencé par notre mode de vie. Une start-up issue du CHUV a élaboré un test personnalisé qui mesure le second et aide à vivre sainement.

©Yuri_Arcurs/iStock

«Nous avons l’âge de nos artères.» Cet adage populaire dit vrai. Notre âge officiel, calculé en fonction de notre date de naissance, ne reflète pas forcément notre état de santé physique et cognitive. En d’autres termes, notre âge «chronologique» diffère de notre âge «biologique» qui, au-delà du vieillissement de nos artères, correspond à celui de tous les organes et tissus de notre organisme. Une start-up issue du CHUV, genknowme, est parvenue à mesurer ce dernier et propose à celles et ceux qui le souhaitent d’évaluer leur «capital jeunesse».

L’impact du tabagisme des parents sur le foetus

Tout a commencé de manière fortuite, lorsque Semira Gonseth Nusslé, cofondatrice de genknowme et médecin agréée à Unisanté, faisait un post-doc aux États-Unis, à l’Université de Californie à San Francisco. Cette spécialiste d’épidémiologie des maladies chroniques menait un projet de recherche qui consistait à comparer les facteurs de risque externes (environnementaux, parentaux) d’enfants ayant ultérieurement développé une leucémie à d’autres, sains. «Nous avions accès aux données indiquant l’exposition environnementale et le style de vie des parents, avant et pendant la grossesse et même avant la conception, raconte la chercheuse. Comme je m’intéressais au tabagisme, j’ai cherché à savoir si l’exposition du fœtus aux cigarettes fumées par ses parents pouvait se détecter à sa naissance. Et là, j’ai obtenu des résultats impressionnants: il était possible de différencier très clairement les nourrissons qui avaient été exposés au tabac des autres. Cela signifie que l’on peut évaluer, voire “doser”, le style de vie grâce à l’épigénétique. J’ai alors compris que cette découverte avait un potentiel clinique.»

Au-dessus de la génétique

Épigénétique, tel est l’élément clé qui détermine notre âge biologique. «Épi» signifiant «sur» ou «au-dessus» en grec, les scientifiques considèrent que l’épigénétique concerne ce qui se trouve au-delà de la génétique. En d’autres termes, «elle recouvre la façon dont chaque individu va employer les gènes qu’il a reçus de ses parents», comme nous l’expliquait Winship Herr, professeur honoraire à l’UNIL et spécialiste de cette discipine au Centre intégratif de génomique de l’UNIL (lire Allez savoir! No 49).

Semira Gonseth Nusslé cite volontiers une autre image. «La génétique représente la manière dont les touches d’un piano sont agencées, alors que l’épigénétique correspond à la façon dont le ou la pianiste en joue pour interpréter un morceau de musique.» En termes scientifiques, il s’agit «de l’ensemble des mécanismes qui régulent l’expression de nos gènes». 

Le «variateur» de nos cellules

Toutes nos cellules – à l’exception des cellules germinales qui servent à la reproduction – renferment la même molécule d’ADN héritée à notre naissance. Toutes contiennent donc les mêmes gènes mais, selon les organes ou les circonstances, ceux-ci ne s’expriment pas de la même manière. Ceux par exemple qui président à la production de la mélanine qui nous protège du soleil «sont activés dans la peau, mais ils ne le sont pas dans les poumons ou le cœur, où ils ne servent à rien», explique la médecin. Le même processus intervient lors du développement, poursuit-elle en évoquant la chenille se transformant en papillon: «l’une et l’autre ont exactement les mêmes gènes, mais ceux qui conduisent à la formation des ailes sont “éteints” dans la chenille, alors qu’ils sont “allumés” lorsque celle-ci devient papillon». Pour nos cellules, l’épigénétique fait donc office d’un variateur analogue à celui qui module l’intensité lumineuse d’une ampoule électrique. 

Ce «rhéostat» cellulaire passe par de nombreux mécanismes. L’un d’entre eux fait appel à une simple réaction chimique: la méthylation. Il s’agit de la fixation d’un groupe méthyle (formé d’un atome de carbone et de trois d’hydrogène) à une cytosine associée à une guanine (respectivement les lettes «C» et «G» de l’ADN). Un autre processus fait intervenir des protéines, les histones, autour desquelles les brins d’ADN sont enroulés. 

Les gènes impliqués par ces modifications voient leur expression réprimée, car «schématiquement, ils ne sont plus accessibles à la machinerie cellulaire chargée de transcrire leurs informations pour fabriquer des protéines utiles à l’organisme», explique Semira Gonseth Nusslé. Ils ne sont pas modifiés, mais ils sont réduits au silence. 

Une autre manière de les faire taire consiste à agir non pas directement sur eux, mais par le biais des microARN chargés de transférer leurs instructions vers les usines de fabrication des protéines. La méthode est différente, mais le résultat est similaire.

Bilan très résumé du test épigénétique réalisé par genknowme à la demande d’une femme de 44,8 ans. Les analyses révèlent que son âge biologique est inférieur de 2,8 ans à son âge réel. Pour chaque facteur pris en compte (nutrition, activité physique, consommation d’alcool et de tabac), le rapport rappelle ce qu’il est recommandé de faire pour se maintenir en bonne santé. © Stephanie Wauters

L’influence du mode de vie

Tous les mécanismes de l’épigénétique sont «influencés par l’environnement au sens large du terme, souligne la cofondatrice de la start-up. Cela inclut les conditions extérieures – quand elles sont exposées au soleil par exemple, les cellules de notre épiderme adaptent l’expression de leurs gènes pour produire de la mélanine. Mais cela englobe aussi notre style de vie: la nourriture, le stress, les activités physiques, la consommation d’alcool et de tabac, etc.», précise Semira Gonseth Nusslé. Cela signifie que «l’épigénétique va nous permettre de quantifier, de manière personnalisée, l’impact d’un certain comportement, d’un certain mode de vie, d’une certaine exposition à l’environnement bien mieux que l’on peut le faire sur la base de questionnaires». Et ainsi, d’évaluer «l’âge épigénétique» de la personne qui n’est rien d’autre que son âge biologique.

Il est en effet possible, désormais, de mesurer le pourcentage de bases méthylées dans certaines séquences génétiques. «À l’origine de cette méthode se trouvent les études de Steve Horvath, professeur à l’Université de Californie à Los Angeles, qui a découvert qu’il existe dans notre ADN une sorte d’horloge qui change les méthylations à mesure que les années passent et que l’on vieillit. Il a ainsi inventé la première horloge épigénétique, constituée d’une série de marqueurs de méthylation, qui donne un résultat proche de l’âge chronologique.» À cette horloge de première génération sont ensuite venues s’en ajouter d’autres «intégrant des biomarqueurs de méthylation sensibles au mode de vie – certains sont liés à la consommation de tabac, d’autres à l’alimentation, etc.».

Le soutien du CHUV

C’est l’une de ces horloges de deuxième génération que Semira Gonseth Nusslé et ses collègues ont mis à profit. L’épidémiologiste qui s’était initiée à l’entreprenariat lorsqu’elle était en Californie a, dit-elle, «eu envie d’exploiter son intuition selon laquelle l’épigénétique pourrait être utilisée comme outil clinique». Avec son mari, Sébastien Nusslé, biologiste et biostatisticien, elle donc a décidé de se «lancer dans l’aventure de la création d’une start-up». 

De retour en Suisse, le couple a obtenu le soutien du CHUV à travers le PACTT (Bureau de transfert de l’innovation du CHUV et de l’UNIL), ce qui lui a permis de fonder genknowme. «Nous avons reçu beaucoup d’aide. Nous avons notamment obtenu 150 000 francs en gagnant le concours Venture Kick destiné aux spin-off d’universités suisses et nous avons bénéficié de l’appui de la Fondation vaudoise pour l’innovation technologique, ainsi que du Fonds Biopôle. Nous avons aussi remporté récemment le Future of Health Grant qui vise à promouvoir le développement d’interventions en santé numérique.»

Bénéficiant d’un «écosystème favorable», la petite entreprise, installée au Biopôle d’Epalinges (près de Lausanne) et comptant six collaborateurs, a pu développer son test personnalisé et le commercialiser. Elle en a déjà vendu environ cinq cents et a déposé une demande
de brevet.

À partir d’une simple prise de sang

Concrètement, la personne souhaitant connaître son âge biologique répond à un questionnaire sur ses habitudes de vie et se soumet à une prise de sang. «L’échantillon est examiné dans notre laboratoire – cela prend environ cinq jours. Nous mesurons la méthylation de 850000 positions sur le génome, explique Semira Gonseth Nusslé. Nous analysons ensuite une partie des données obtenues à l’aide d’un algorithme que nous avons développé, en ne sélectionnant que les marqueurs ayant un lien avec l’alimentation, l’activité physique, la consommation d’alcool et celle de tabac.»

Il en ressort un rapport de cinq pages (extrait en p. 23) indiquant le «capital jeunesse de la personne, c’est-à-dire la différence entre son âge chronologique et son âge biologique». Le bilan indique aussi, pour les quatre comportements pris en compte, l’écart entre ce que la personne avait déclaré en répondant au questionnaire (par exemple, pour la nourriture, le nombre quotidien de portions de fruits et de légumes consommées) et le nombre estimé sur la base des mesures épigénétiques. «En répétant plus tard le test, un individu pourra aussi savoir si, en suivant les recommandations qui lui ont été faites, il a “rajeuni”.»

Inutile de vouloir commander ce test sur internet. «Nous passons par l’intermédiaire de professionnels de la santé qui doivent le prescrire et discuter de ses résultats avec leur patient ou leur patiente, précise la cofondatrice de genknowme. Les résultats ne sont pas totalement anodins et notre but est de faire en sorte que ce test soit utilisé dans une démarche de prévention et de promotion de la santé.» 

Il reste que l’on n’a pas de besoin d’avoir recours à une telle analyse – «qui coûte cher», reconnaît l’épigénéticiene – pour savoir qu’il faut manger des fruits et des légumes, faire de l’exercice, arrêter de fumer et consommer de l’alcool avec modération, comme nous le rappelle
régulièrement les messages de prévention. Semira Gonseth Nusslé ne le nie pas. Mais elle souligne «que ce test est de nature à intéresser certaines personnes qui souhaitent savoir où elles en sont. C’est une chose de dire que l’on mange beaucoup de salade et une autre d’avoir une mesure objective, quantifiable et personnalisée de l’impact de ce que l’on consomme. Le rapport leur permet de confirmer qu’elles en font assez ou d’ajuster le tir. En outre, cela peut les motiver à changer de comportement. Lorsque l’on constate qu’en fumant, on augmente de dix ans son âge biologique, cela incite à arrêter.» 

Prévention de diverses maladies

L’équipe de genknowme va lancer prochainement une nouvelle version de son test qui inclura «des signatures épigénétiques du stress, de différents composants de la nutrition et d’impacts sur l’environnement comme l’exposition aux métaux lourds», précise la cofondatrice de la start-up. 

En parallèle, elle a lancé des recherches visant à développer des tests médicaux, avec l’objectif d’en faire «des outils de prévention primaire et de dépistage de certaines maladies, voire de guider leur prise en charge thérapeutique». Un premier pas a déjà été fait en ce sens au sujet du Covid-19. «Nous avons montré que les personnes qui, au début de la pandémie, avaient eu une forme sévère de l’infection avaient un âge biologique significativement plus élevé que les autres au moment où elles étaient admises à l’hôpital.»

D’une manière plus générale, l’expression des gènes est à l’origine de dérèglements qui peuvent conduire à la survenue de toute une série de troubles et d’affections. Déjà, une étude américaine a montré que l’accélération des horloges épigénétiques était associée au cancer du sein et que la mesure de l’âge biologique pourrait permettre d’évaluer le risque de développer la maladie. D’autres recherches ont aussi établi un lien entre âge biologique et troubles neurologiques, dépression ou déclin cognitif. Semira Gonseth Nusslé se dit «convaincue que, dans un avenir proche, des mesures épigénétiques vont être utilisées en routine clinique pour participer à la prévention de cancers, de maladies cardio-vasculaires, métaboliques et bien d’autres». L’épigénétique n’en est donc encore qu’à sa prime jeunesse./

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