Jocelyn Rochat, rédaction en chef
Le passé a rarement été aussi présent. Emmanuel Macron nous l’a rappelé récemment, durant la stupéfiante élection présidentielle française où les affaires judiciaires ont occupé tout l’espace médiatique. A une exception près, ce court instant où l’on a vu les esprits s’échauffer un peu partout dans le pays, parce que le candidat «En Marche!» avait qualifié la colonisation de l’Algérie de crime contre l’humanité.
La violence de la polémique provoquée par cette sortie, comme l’embrasement immédiat qu’elle a suscité, a sans doute rappelé des souvenirs en Suisse, où l’on a connu des batailles mémorielles d’une violence comparable, quand les parlementaires fédéraux traitaient dans l’urgence de l’Affaire des fonds en déshérence, ou de celle des enfants si mal placés par la Confédération.
Loin d’être des accidents rarissimes, ces polémiques historico-politiques sont appelées à se multiplier. Et pas seulement pour les épisodes les plus douloureux qui émaillent l’histoire du pays où l’on vit. Parce que, avec la mondialisation, les mémoires blessées de toute la planète tentent désormais d’obtenir à l’étranger la reconnaissance qu’elles n’ont pas réussi à remporter dans leur contrée d’origine pour certains épisodes controversés depuis des décennies, voire des siècles.
On le voit notamment avec le débat sur le massacre/génocide des Arméniens de 1915, qui empoisonne désormais les relations internationales entre la Turquie et de nombreux pays. Cette affaire a même provoqué une condamnation de la Suisse par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) de Strasbourg, parce que la justice de notre pays a pénalisé «abusivement» les discours provocateurs d’un élu turc, venu donner une conférence à Lausanne (lire l’article).
On réalise, en découvrant cette extension tous azimuts du domaine des luttes mémorielles, que l’un des grands chantiers du XXIe siècle sera de déminer ce passé explosif. Car les mémoires – qui sont encore le thème de l’édition 2017 des Mystères de l’UNIL, les 20 et 21 mai – sont à vif un peu partout.
Comment réconcilier ces mémoires qui s’opposent? Plusieurs pistes sont esquissées dans ce magazine. Les juges européens de la CEDH ont choisi, dans l’Affaire Perinçek contre la Suisse, d’autoriser la tenue de conférences controversées, dès qu’elles portent sur des épisodes historiques suffisamment éloignés dans le temps.
De son côté, Emmanuel Macron a proposé une sorte de devoir de mémoire pour tous, où chaque camp antagoniste devrait faire son mea culpa et assumer ses fautes. Enfin, la professeure de l’UNIL Suzette Sandoz a pensé à élargir le concept de devoir de mémoire aux épisodes positifs de l’histoire des nations, et pas seulement aux plus abominables, parce que l’on doit pouvoir regarder «les hauts faits et les horreurs, les sacrifices et les trahisons, les petitesses et les grandeurs» passées de la communauté où l’on vit.
Toutes ces pistes ont l’avantage de rechercher un chemin sûr au milieu de ce champ de mines qu’est devenu le passé. Reste à signer l’armistice.