L’histoire méconnue des rois mages et de l’enfant-étoile

La Bible n’est pas la seule à raconter la visite à l’enfant Jésus. Un texte apocryphe inédit en français raconte que les voyageurs sont partis du lointain pays de Shir pour venir à Bethléem. Il précise que le dieu qui devait naître a fait route avec eux sous la forme d’une étoile.

La Révélation des mages, un texte apocryphe, a influencé des peintres médiévaux qui ont représenté Jésus au cœur de l’étoile. Triptyque Bladelin, par Rogier van der Weyden, réalisé entre1445 et 1450. Berlin, Gemäldegalerie. © akg-images / De Agostini Picture Lib

On croyait bien connaître l’histoire des rois mages. Grâce à d’innombrables tableaux, et surtout aux personnages de la crèche, on imagine généralement que les célèbres visiteurs étaient au nombre de trois et qu’ils s’appelaient Gaspard, Melchior et Balthazar. On sait encore qu’ils sont venus de loin pour assister à la naissance de l’enfant Jésus, et que ces amateurs d’astronomie ont suivi une étoile apparue dans le ciel, jusqu’à la crèche de Bethléem où serait né le Divin Enfant.

Mais on découvre une tout autre histoire quand les mages racontent eux-mêmes leur périple. Elle se trouve dans un texte antique écrit à la première personne, qui comporte bien plus de détails que le très bref passage de l’Évangile de Matthieu qui les a rendus célèbres. 

Ce témoignage est intitulé Révélation des mages, et il a été rédigé entre le IIe et le Ve siècle en langue syriaque, une branche de l’araméen, la langue que parlait Jésus. 

«Il n’existe qu’une seule copie de ce texte très peu connu, dans un manuscrit copié au VIIIe siècle dans le monastère de Zuqnin, au sud-est de la Turquie actuelle. Il a ensuite été conservé en Égypte, au monastère des Syriens dans le désert du Wadi Natroun, et finalement acquis au XVIIe siècle par Assemani, un savant libanais au service du pape Clément XI», explique Jean-Daniel Kaestli, professeur honoraire de théologie à l’UNIL.

Déposé depuis lors à la bibliothèque du Vatican, ce manuscrit contient «une Chronique anonyme de l’histoire universelle, qui va d’Adam à l’année 775/776 et qui incorpore des écrits plus anciens, dont le long récit de la Révélation des mages, inséré à la date de la naissance du Christ».

Ce texte apocryphe (lire en bas de page) nous apprend notamment que les mages n’étaient pas trois, et qu’ils étaient des sages, pratiquant une religion immémoriale. Ce n’étaient pas non plus des astrologues. Ils étaient appelés «mages» dans la langue de leur pays parce qu’ils priaient et glorifiaient Dieu en silence. Enfin, ces personnages ont donné une version de l’événement de Noël plus merveilleuse que celle que nous connaissons.

Ils n’étaient pas trois mais douze

Dans la Révélation des mages, les personnages qui se mettent en route pour Bethléem ne sont pas trois, mais douze. Selon cette source, ils s’appelaient Zaharwandad, Hôrmizd, Austazp, Arak, Zarwand, Arîhô, Artahiat, Atanbôzan, Mihruq, Ahira, Nasardîh et Merôdak.

Ce passage de trois à douze visiteurs ne surprend pas Jean-Daniel Kaestli. «Quand on regarde l’iconographie des mages, notamment leurs plus anciennes représentations dans les catacombes romaines, on voit que leur nombre n’est pas du tout fixe. Ils sont parfois deux, mais on peut aussi en voir quatre ou même six.» 

Les noms de ces douze mages n’étonnent pas davantage l’expert de l’UNIL: «Ce n’est pas une originalité de ce texte; on trouve une même liste chez d’autres écrivains de langue syriaque. Comme ces noms ne jouent aucun rôle par la suite, il est fort probable qu’ils ont été ajoutés après coup en tête du récit. »

Ils venaient de Chine

Jean-Daniel Kaestli. Professeur honoraire de théologie à l’UNIL. Nicole Chuard © UNIL

L’une des grandes originalités de la Révélation des mages, c’est de présenter des voyageurs qui viennent très probablement de Chine. «L’interprétation dominante, depuis l’Antiquité, c’est que les mages viennent de Perse, précise Jean-Daniel Kaestli. Or ce texte nous dit qu’ils viennent “du pays de Shir dans la partie extrême de l’Orient du monde habité, près de l’Océan, la grande mer qui est au-delà du monde, à l’est du pays de Nod où demeurait Adam”. Dans la géographie antique, on imaginait que la Terre était entourée d’un océan. Donc ces mages viennent vraiment des confins du monde habité. Et si l’on pense à la Chine, c’est parce que le pays de Shir n’est autre que le pays des Sères, le “peuple de la soie” (en grec sèr, sèros, signifie la soie), ce textile dont les Chinois seuls avaient le secret et dont ils faisaient commerce avec les autres peuples de l’Antiquité.»

Ils suivent une autre étoile

Comme Gaspard, Melchior et Balthazar, les mages de Shir sont guidés par une étoile. Mais cet astre occupe une place beaucoup plus importante dans la Révélation des mages que dans le Nouveau Testament. La venue du Sauveur sous la forme d’une étoile est annoncée dans un livre qui remonte à Adam lui-même, par l’intermédiaire de son fils Seth. Les mages n’ont cessé de l’attendre de génération en génération, jusqu’au jour où elle a fait sa première apparition au pays de Shir, sur la «montagne des victoires», au-dessus de la «caverne des trésors». 

L’étoile descend alors du ciel et entre dans la caverne. «Et nous entrâmes, dit le texte, remplis de crainte, et nous fléchîmes les genoux à la porte de la caverne à cause de l’abondance de la lumière. Et nous étant redressés sur son ordre, nous levâmes les yeux et nous vîmes cette lumière qui est ineffable pour la bouche humaine. Et elle se concentra et nous apparut sous la forme corporelle d’un homme petit et humble», raconte la Révélation des mages.

«L’enfant naît de la concentration de la lumière, explique Jean-Daniel Kaestli. Cette lumière est une émanation de la lumière divine, envoyée par le “Père de majesté”. La voix de l’enfant-étoile ordonne alors aux mages de se mettre en route vers Jérusalem pour assister à la naissance du Sauveur; et leur voyage, avec l’étoile pour guide, va se dérouler dans des circonstances miraculeuses.»

Ici, pas de crèche, mais une caverne

Après avoir passé par Jérusalem et s’être informés auprès du roi Hérode, comme dans l’Évangile de Matthieu, les mages arrivent à Bethléem et décrivent une nativité très différente de celle que nous connaissons par les textes du Nouveau Testament. Dans cette version, ils ne trouvent pas de crèche, mais une caverne. L’expérience extraordinaire qu’ils ont vécue au pays de Shir, dans la caverne des trésors, se répète pour eux dans la caverne de Bethléem.

«Nous avons vu la colonne de lumière, qui descendait, comme nous l’avions vue, auparavant, et elle s’est tenue devant la caverne, et cette étoile de lumière est descendue et s’est tenue au-dessus de la colonne avec des anges à sa droite et à sa gauche. (…) Et la colonne, l’étoile et les anges sont entrés et nous ont précédés dans cette caverne où naissaient le mystère et la lumière du salut. Et une voix compatissante nous a ordonné d’entrer. (…) Et le glorieux enfant et l’antique lumière qui accomplit la volonté du Père de majesté a ouvert sa bouche et nous a dit: (…) «Fils de mes mystères, n’ayez pas peur.»

L’enfant-lumière adresse alors aux mages un long discours, leur annonçant notamment le sort bienheureux qui les attend lorsqu’il les présentera au Père de majesté. Ce n’est qu’au moment où les visiteurs de Shir quittent l’enfant pour regagner leur pays que nous apprenons que: «Marie et Joseph sont sortis avec nous de la grotte». 

Si l’entrée en scène du couple vedette de la Nativité est abrupte, car ils n’ont jamais été mentionnés jusqu’ici, les mages reconnaissent qu’ils ont tous deux «été jugés dignes d’être appelés par le nom de parents». Ils saluent en Marie celle qui «est devenue la porte pour la grande lumière qui est entrée dans le monde par grâce, pour bannir les ténèbres. Et elle est devenue la voie du salut pour Dieu qui s’est enfanté lui-même, qui est apparu dans la forme corporelle d’un être humain.» Mais quand Marie voit que l’étoile s’est mise en route avec les mages, elle craint un instant que l’astre ne reparte avec les visiteurs. Elle est vite rassurée par les mages qui lui disent que son «glorieux enfant» l’attend dans sa maison, et qu’en même temps il ne cessera pas d’être avec eux. Le texte précise encore que, «quand Marie et Joseph s’en sont retournés, se réjouissant de tout ce qu’ils avaient entendu au sujet du Saint Enfant, ils ont regagné leur maison. Marie est rentrée dans sa maison et elle a trouvé l’enfant de lumière qui riait et qui glorifiait tous ces mystères grands et admirables.»

Le rôle discret de Marie et Joseph

Dans cette Nativité apocryphe, Marie et Joseph ont un rôle bien plus discret que dans les Évangiles de Luc et de Matthieu. Ils ne comprennent pas vraiment la portée de l’événement, et ce sont les mages qui leur révèlent la véritable identité de l’enfant de lumière. Car les visiteurs de Shir «sont les dépositaires d’une antique sagesse, explique Jean-Daniel Kaestli. Ils ont connaissance d’une prophétie annonçant la venue d’une étoile qui ne sera autre que la divinité elle-même, venant sur la Terre en sauveur.» 

Une autre originalité de ce texte, c’est qu’il fait «remonter l’annonce de la venue de ce sauveur à Adam, qui a lui-même vu l’étoile quand il était encore au paradis, avant sa transgression», précise l’expert en apocryphes de l’UNIL. Après la mort d’Abel, tué par son frère Caïn, Adam a instruit Seth, son troisième fils, du contenu de la prophétie. Elle a ensuite été mise par écrit par Seth, dans le tout premier livre à avoir été écrit, et a été confiée à ses descendants, au peuple habitant le pays de Shir. Et depuis la Genèse, de génération en génération, ces initiés se transmettent la révélation et célèbrent un rituel dans l’attente de l’apparition de la lumière qui va resplendir pour toute l’humanité.

Les mages sont baptisés par l’apôtre Thomas

La dernière partie de la Révélation des mages a pour protagoniste Judas Thomas. Elle raconte la venue dans le pays de Shir de l’apôtre qui enseigne, fait d’autres convertis et baptise les mages. Cette apparition finale donne un précieux indice sur la région d’origine de cette très étonnante Révélation des mages. «Thomas était un apôtre particulièrement vénéré en Syrie et en particulier à Édesse, explique Jean-Daniel Kaestli. L’hymne qu’il prononce au moment du baptême est dans la ligne de ce qu’on peut lire dans les Actes de Thomas, un autre apocryphe qui raconte l’activité missionnaire de ce disciple de Jésus en Inde.»

La Révélation des mages contient d’autres indices qui font penser que «ce texte a probablement été composé à Édesse, une ville aujourd’hui située dans le sud de la Turquie, et qu’il a circulé dans le monde mésopotamien», précise le professeur. Cette région était également un carrefour commercial, où l’on devait connaître l’existence du pays de la soie. C’est enfin dans cette région qu’on parlait le syriaque, qui était aussi la langue internationale de l’empire perse.

Une histoire suspectée d’hérésie, mais très diffusée

La Révélation des mages n’a laissé que très peu de traces dans le christianisme de langue syriaque, probablement parce qu’il a été considéré comme hérétique à cause des idées peu orthodoxes qu’il véhiculait. Et pourtant, ce produit d’une forme singulière du christianisme oriental a eu des échos en dehors du monde syriaque. Cela tient au fait que ce récit «a fait l’objet d’un résumé d’une trentaine de lignes à l’intérieur d’un commentaire de l’Évangile de Matthieu (Opus imperfectum in Matthaeum), une œuvre du Ve siècle conservée en latin et transmise sous le nom prestigieux de Jean Chrysostome, ce qui lui a valu une très large diffusion dans la tradition de l’Église latine», explique Jean-Daniel Kaestli. 

Certains motifs de cette forme très abrégée de la Révélation des mages ont même été repris dans la Légende Dorée de Jacques de Voragine, et ils ont aussi influencé des peintres du Moyen Âge qui ont représenté un petit enfant au cœur de l’étoile qui apparaît aux rois mages. 

Évidemment, quand on revient à l’Évangile de Matthieu, après l’ample et merveilleux récit de la Révélation des mages, on ne peut qu’être frappé par le peu de détails donnés par le Nouveau Testament. Matthieu ne nous dit rien de leurs noms, ni de leur origine, ni même de leurs titres, puisque ces mages ne sont pas rois. Tout au plus donne-t-il la fameuse liste des trois cadeaux, l’or, l’encens et la myrrhe. La grande sobriété de son récit a permis aux croyants antiques de combler les vides du texte biblique, comme le montre cet apocryphe oublié.

La Révélation des mages, un apocryphe méconnu

La Révélation des mages fait partie des écrits apocryphes. Ce terme désigne des textes souvent très anciens, qui mettent en scène des personnages bibliques. S’ils témoignent des premiers développements du christianisme, ces récits n’ont pas été retenus dans le Nouveau Testament. Pourtant, depuis quelques décennies, ces écrits marginaux sont devenus des curiosités et de possibles best-sellers, et l’on peut parier que la Révélation des mages intéressera de nombreux lecteurs, le jour où elle sera enfin traduite en français. 

«Le texte syriaque de notre histoire des mages a été édité pour la première fois en 1850, sans traduction, et à nouveau en 1927, avec une traduction en latin. La première version en langue moderne a paru en 1952, dans un ouvrage en italien également destiné à un public universitaire, précise Jean-Daniel Kaestli. Enfin, il a fait l’objet de la thèse de Brent Landau, un chercheur américain qui collabore au projet d’édition de la littérature apocryphe dont le siège est à l’UNIL. Il va éditer le texte dans notre Series apocryphorum, après avoir déjà publié un livre destiné au grand public: Revelation of the Magi. The Lost Tale of the Wise Men’s Journey to Bethlehem (New York, HarperOne, 2010). Mais malgré cette publication, notre apocryphe reste très peu connu, même des spécialistes.»

Article suivant: «Le récit des mages n’est pas considéré comme un événement historique»

Laisser un commentaire