Les trilobites: de drôles d’animaux étudiés sous toutes les coutures à l’UNIL

Depuis plusieurs années, les ancêtres des arthropodes sont décortiqués dans les laboratoires de l’UNIL.

La mue de ce trilobite, Acidaspis coronata, trouvée au Royaume-Uni, a été étudiée par la professeure Allison Daley. En haut, on voit les deux parties latérales du céphalon (les joues libres à gauche et à droite) se séparer de la tête. ©Harriet Drage. Spécimen OUMNH C.17494.

Le groupe d’Allison Daley, professeure associée à l’Institut des sciences de la Terre de la Faculté des géosciences et de l’environnement, réalise actuellement une grande base de données de trilobites issus de différentes collections de musées. «Nous avons étudié plusieurs centaines d’espèces, et plus précisément leur mue, signale la chercheuse. Cela dans le but d’avoir un aperçu global de l’évolution de la mue, des façons de muer et d’essayer de comprendre comment cette mue est liée à l’évolution du groupe des trilobites.» 

La paléontologue a notamment travaillé sur des fossiles provenant de divers gisements Lagerstätten*. Ces recherches ont permis de mettre au jour les différentes techniques des arthropodes pour se libérer de leur carapace, un exosquelette externe, selon les périodes géologiques. «Grâce à une étude sur deux espèces de trilobites trouvées en Australie à Emu Bay Shale, dans un état de préservation extraordinaire, il a été possible de reconstruire les détails du processus de la mue, se félicite Allison Daley. Leur corps se gonfle et on arrive à distinguer les lignes de suture où l’exosquelette se casse et les mouvements du trilobite en mue pendant sa sortie. C’était durant le Cambrien moyen (env. – 500 millions d’années). À cette période, ils enlevaient leur structure ventrale et sortaient le reste de leur corps par là.»

Ça passe là où ça casse

Les lignes de suture sont utilisées pour la taxonomie et la systématique des trilobites, qui peuvent mesurer de 1mm à 70cm, car elles changent d’une espèce à l’autre. Certains quittent leur armure par la tête (céphalon), d’autres par l’hypostome (plaque ventrale sous la bouche) comme les premiers trilobites du Cambrien, quand d’autres encore préfèrent sortir par les parties latérales du céphalon (nommées joues libres, voir l’illustration noir et blanc). «Chez quelques espèces, on sait à peu près combien de fois ils muent dans une vie, souligne la paléontologue. Il existe des groupes qui le font six à huit fois durant leur jeunesse et arrêtent à l’âge adulte. Ils cessent alors de grandir et ne muent que si leur exosquelette est endommagé. D’autres changent de carapace, et donc grandissent, jusqu’à la fin de leur vie. Dans ce cas, le nombre de mue est très variable.» 

À noter aussi qu’au sein d’une même espèce de ces incroyables arthropodes, chaque individu a la capacité de muer selon ses besoins. Si cela se déroule mal par la tête, il choisit de passer par une autre partie de son anatomie. «Certains chercheurs voient un avantage évolutionnaire dans cette flexibilité: s’il y a un problème, l’animal s’adapte et mue où c’est possible de le faire. Tandis que d’autres scientifiques pensent qu’être généralistes a conduit les trilobites à leur disparition. Ils se basent sur la spécialisation des arthropodes actuels qui est extrêmement efficace.» La chercheuse estime de son côté que lorsqu’on a résisté pendant 250 millions d’années, on peut parler de succès évolutionnaire. 

«Leur flexibilité les a sûrement aidés à tenir au fond des mers sur une échelle de temps géologique aussi colossale. Mais je pense que leur endurance est le fruit d’une combinaison de facteurs plus complexes, de l’environnement, des interactions avec les autres animaux, etc. Je suis convaincue que la mue n’est qu’une partie d’un tout que l’on peut utiliser pour comprendre l’évolution des trilobites.» Et de prendre l’exemple des individus munis d’un exosquelette avec de grandes épines: on peut y voir un avantage contre les prédateurs qui vont hésiter à attaquer cet organisme dur à croquer, mais aussi un inconvénient car cette carapace rend la mue vraiment très difficile. «Nous devons donc continuer à les étudier afin d’avoir peut-être un jour une réponse…»

Pour ce faire, la chercheuse et son groupe analysent encore les quatre tonnes de fossiles venus tout droit des Fezouata au Maroc en 2018 et stockées au Géopolis (le bâtiment de l’UNIL qui abrite la Faculté des géosciences et de l’environnement, ndlr). L’un de ses doctorants, Francesc Pérez Peris, réexamine et redécrit en ce moment l’exosquelette d’un trilobite du genre Anacheirurus. «Il réalise une mise à jour de la taxonomie de cet arthropode très bien préservé sur ce site exceptionnel, typique de l’Ordovicien (env. – 445 millions d’années). Beaucoup d’espèces de cette période ont été décrites il y a cinquante ou soixante ans. Aujourd’hui, on possède plus de spécimens, ce qui nous aide à faire de nouvelles descriptions.» 

Allison Daley. Professeure associée à l’Institut des sciences de la Terre (Faculté des géosciences et de l’environnement). Nicole Chuard © UNIL

De nouvelles espèces au Géopolis

Parmi les trésors dénichés, on trouve des pattes dans un état de préservation remarquable. «Comme chez tous les trilobites, elles sont biramées (divisées en deux, ndlr.): une branche segmentée pour marcher, comparable aux pattes d’une fourmi, et une autre attachée à la base avec une structure filamenteuse qui servait probablement à la respiration. Nous pouvons les comparer aux autres pattes connues chez les différentes espèces de ce grand groupe de trilobites pour comprendre l’évolution de tout le groupe.»

L’acquisition des roches des Fezouata a également permis de découvrir de nouvelles espèces. «Un étudiant de master a pu décrire deux nouvelles espèces de radiodontes, des animaux qui étaient principalement des prédateurs pendant le Cambrien, mais s’alimentaient par filtration de plancton pendant l’Ordovicien. Et cette année, nous avons publié un papier dans Geological Magazine sur la description d’une nouvelle espèce, le Tariccoia tazagurtensis, un arthropode de l’ordre des Nectaspida, un groupe frère des trilobites, qui possède un corps mou sans calcite dans l’exosquelette. » 

Qui mord qui ?

Allison Daley ajoute qu’il reste de nombreux points inexpliqués. Comme des traces de morsures sur l’exosquelette minéralisé de plusieurs trilobites. «On les a souvent trouvées sur un même endroit du corps, ce qui suggère qu’elles ne sont pas dues au hasard. Cela indique une interaction avec quelque chose de vivant. Peut-être avec un autre trilobite, qui cherchait à défendre son territoire. Ou était-ce l’œuvre de prédateurs, comme les radiodontes? Durant le Cambrien moyen, ces derniers avaient une bouche d’une matière comparable à un ongle. Comment réussir à mordre un trilobite avec cette structure? De nouvelles recherches avec des outils d’ingénieur en 3D viennent de débuter. On tente ainsi de reconstruire le mouvement de la bouche pour mesurer sa force. On saura peut-être bientôt si un être mou peut manger une carapace… »

*Gisements qui contiennent un grand nombre de fossiles complets avec des parties molles comme la peau, les yeux, les organes internes et le système digestif.

Article principal: Il y a 480 millions d’années, des trilobites, les ancêtres des crevettes, socialisaient

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