Le linguiste décrit la langue sans prescrire

On peut penser la continuité (par exemple entre les sexes) avec une langue qui, par nature, est discontinue. Comment est-ce possible, alors ? On parle de linguistique avec Rudolf Mahrer, et d’autres questions plus personnelles.

Rudolf Mahrer. Au restaurant végétarien L’Écho à Lausanne. © Pierre-Antoine Grisoni/Strates

Soumettre ce texte à Rudolf Mahrer n’est pas anodin: quels processus verra-t-il à l’œuvre sous le contenu proposé? La linguistique est «la science des choses qu’on ne savait pas qu’on savait», aime-t-il dire à ses étudiants, si bien qu’il ne prétend apprendre à parler ni à écrire à personne, mais cherche à comprendre, en écoutant et en lisant, ce que le langage fait aux humains.

«La langue est schématique», explique-t-il. Dans sa grammaire, elle réduit, par exemple les sexes, à deux catégories (il et elle), alors que la réalité sexuelle est plus subtile. Mais Rudolf Mahrer ne s’en émeut pas. Pour lui, le «fonctionnement générique du masculin» n’est pas un complot patriarcal. Bien sûr, l’homonymie entre le «masculin spécifique» (ils = Pierre + Jacob) et le masculin générique (ils = Simon + Leila) ne contribue pas à la visibilité des femmes, cependant il estime que «le rôle des politiques et des intellectuels n’est pas d’intervenir sur la langue, mais d’orienter les pratiques sociales». La langue vit sa vie, autrement dit «il y a une hétérogénéité de la langue par rapport au réel». Le lexique est plus souple que la grammaire, en revanche, et permet ainsi de nommer les sexualités non-binaires ou toutes les professions au féminin. Rudolf Mahrer pointe en outre la créativité du discours: «Le fait que je n’ai pas de catégorie entre orange et rouge ne m’empêche ni de penser ni d’exprimer une infinité de nuances entre les deux.»

Comment ce garçon né à Boncourt de parents restaurateurs est-il devenu linguiste? Premiers ingrédients: l’amour du français de sa mère, l’audace créative de son père cuisinier. Deuxième étape: sa scolarité en internat à Saint-Maurice, dont il garde le meilleur souvenir. Enfin, il y a sa formation à l’UNIL et sa participation au chantier des œuvres complètes de Ramuz; dans ce cadre, il découvre la génétique textuelle, qui étudie les processus d’invention des discours. À 46 ans, il enseigne aujourd’hui cette discipline à l’UNIL; il est aussi cofondateur de la plateforme variance.ch, consacrée aux textes littéraires réécrits par leurs auteurs après publication, et rédacteur en chef de Genesis (Manuscrits-Recherche-Invention), la revue internationale de référence en la matière.

Vice-doyen de la Faculté des lettres, il est bien modeste lorsqu’il évoque son travail, alors que la linguiste Jacqueline Authier (docteure honoris causa de l’UNIL en 2021) ne tarit pas d’éloges sur sa thèse, dont elle fut codirectrice. Il ne s’étendra pas davantage sur ses exploits sportifs (meilleur Suisse au semi-marathon de Lausanne en 2014), évoque son écologie «inquiète mais joyeuse», son père tôt disparu, ses deux enfants, à qui il doit d’être devenu lui-même végétarien (avec quelques entorses occasionnelles, mais chut…) et sa compagne, comme lui sportive, gourmande et amoureuse de la langue.

Lors du séminaire Des idées et des mots, il abordera, avec le philosophe Philip Mills, le problème du rapport entre langue et pensée.

Une ville de goût 

Avignon où les options végétariennes sont nombreuses

Une personne à sa table

Son père, qui lui aurait inventé un plat végétarien dont ils parleraient ensemble une heure.

Un goût de l’enfance

Les truffes au chocolat du restaurant familial «La Rochette» à Boncourt.

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