Le chercheur qui fait parler les dents et les os fossiles

Le chercheur qui fait parler les dents et les os fossiles

Torsten Vennemann est professeur de géosciences à l’UNIL. Il fait partie de ces scientifiques qui dévoilent le passé des dinosaures et des requins fossiles en traquant l’oxygène et le carbone que contiennent leurs vestiges.

Torsten Vennemann peut se vanter de faire parler des dents de requins fossiles. «J’en ai déjà analysé entre deux et trois mille», sourit-il. Dans un article qu’il cosigne ces jours-ci dans la prestigieuse revue «Geology», le chercheur de l’UNIL révèle que certains requins nageant il y a vingt millions d’années étaient déjà capables de survivre dans des lacs ou des rivières d’eau douce, comme le font des squales aujourd’hui au Nicaragua et en Afrique du Sud.

«Vous n’imaginez pas ce qu’une dent fossile peut nous apprendre, poursuit le professeur de géosciences à l’UNIL. En analysant les variations cycliques de l’oxygène qui s’y trouve encore, nous pouvons déterminer l’amplitude des changements auxquels l’animal a été confronté de son vivant. Nous pouvons notamment calculer la température de l’eau dans laquelle il nageait. Et nous pouvons même reconstituer le décor dans lequel évoluait le requin fossile. Le squale dont nous parlons dans Geology nageait dans une mer d’eau douce située près de montagnes très élevées, un peu comme nos Andes d’aujourd’hui.»

Des requins aux dinosaures

Quand il n’analyse pas des vestiges de requins, Torsten Vennemann fait parler des dents et des os de dinosaures. Grâce à diverses analyses du même genre, les chercheurs peuvent découvrir ce que mangeaient les «terribles lézards», à quelle vitesse ils grandissaient, et décrire l’environnement dans lequel ont évolué les animaux fossiles.

La vitesse de croissance des géants de la préhistoire, notamment, fait débat parmi la communauté scientifique. Les oeufs fossiles de dinosaures mesurent des tailles qui vont de la balle de ping-pong à celle du ballon de football. Des plus gros de ces oeufs sortaient des animaux grands comme un poulet, mais qui étaient capables de devenir des brachiosaures adultes mesurant 12 mètres de haut et 23 mètres de long!

«A ce stade de la recherche, il y a deux scénarios, résume Torsten Vennemann.  Lentement durant une existence très longue, comme certaines espèces de tortues des îles Galápagos qui vivent plusieurs centaines d’années sans jamais cesser de croître en taille; soit ils grandissaient très vite.»

Grâce à des analyses effectuées sur un os de dinosaure retrouvé en Chine, Torsten Vennemann s’est forgé une conviction. «Nous avons travaillé sur un os de sauropode (les plus grands des dinosaures, ndlr.). Nos examens permettent de reconstituer trois années de la vie de ce dinosaure. Elles montrent des variantes de croissance très étonnantes. Cet os a grandi de 5 centimètres en trois ans, ce qui est énorme. Nous avons encore découvert que, à certaines périodes, cet animal a arrêté sa croissance, puis elle a repris. Nous pensons que cela correspond à une période de sécheresse qui interrompt la croissance. Et celle-ci reprend lorsque le climat change. L’analyse de ce fossile, qui est encore en cours, nous laisse penser que les dinosaures grandissaient vite.»

Ce qu’ils mangeaient

Les scientifiques qui cherchent à percer les secrets des dinosaures tentent encore de déterminer le menu des «terribles lézards». «La composition isotopique du carbone retrouvé sur les fossiles de dinosaures peut nous en dire long sur leur régime alimentaire, poursuit Torsten Vennemann. Car le carbone, c’est le repas. Et cette signature au carbone est différente pour chaque plante, chaque algue et chaque animal.» En l’analysant, il est possible de découvrir ce que mangeaient ces animaux disparus il y a des millions d’années.

«Ici, à Lausanne, nous avons fait ce genre d’études sur des mammouths et des rhinocéros laineux, poursuit Torsten Vennemann. D’autres chercheurs en ont fait de même sur des hominidés, et bien sûr sur des dinosaures.»

Là encore, l’étude de la composition isotopique des fossiles retrouvés peut nous aider à raconter l’histoire de ces géants disparus, puisqu’elle nous dira peut-être un jour si les dinosaures parvenaient à contrôler leur température ou pas. «Les mammifères et les oiseaux peuvent le faire, les reptiles partiellement», explique le professeur de l’UNIL. Dans le cas des dinosaures, on ne le sait pas encore. Mais il y a bon espoir d’avoir bientôt une réponse à cette autre question controversée.

Jocelyn Rochat

A lire:
«Migration of sharks into freshwater systems during the Miocene
and implications for Alpine paleoevaluation»
,
par L. Kocsis, T. Vennemann et D. Fontigine, dans la revue «Geology» de mai 2007.

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