Notre pays est en train de muter. Cela va bien plus vite que nous l’imaginions. Et les changements sont bien plus significatifs que nous le pensions. C’est, du moins, le sentiment qui domine, quand on découvre les conclusions des chercheurs de l’UNIL qui observent les décideurs suisses, et notamment les élites économiques «qui ont été les premières à évoluer».
Les analyses que vous découvrirez dans ce numéro viennent en effet corriger une impression trompeuse. On se souvient que les mouvements xénophobes ont toujours cité quelques métiers manuels quand ils voulaient dénoncer ce boulanger étranger qui venait «manger le pain des Français» dans le célèbre sketch de Fernand Raynaud. Ou ce fameux «plombier polonais» qui est devenu, bien malgré lui, l’anti-héros du débat français sur le traité européen de 2005.
Les données récoltées par les chercheurs de l’UNIL montrent en effet que la Suisse change de manière moins anecdotique et plus qualitative qu’on l’imaginait. Ainsi, «quand on ne comptait que 3,7% d’étrangers parmi les top managers des 110 plus grandes entreprises suisses en 1980, ce pourcentage est passé à 34,5% en 2010», note le chercheur André Mach, avant d’observer que la mue est tout aussi «impressionnante» parmi les enseignants des hautes écoles du pays.
La Suisse est un territoire très ouvert, en pleine mutation, qui se retrouve avec des problèmes de pays mondialisé à régler.
Notre monde change donc, rapidement, et à tous les niveaux de la société. Bonne nouvelle? Les libéraux se réjouiront de vérifier que la porte est ouverte pour les meilleurs, d’où qu’ils viennent, ce qui est un atout pour un pays qui vend ses produits à la planète. Et ceux qui voient encore la Suisse comme un pâturage entouré de barbelés seront rassurés d’apprendre qu’il «n’y a pas au monde, à part peut-être le Luxembourg, de pays où la proportion de travailleurs étrangers est comparable».
Restent tous ceux que ces chiffres peuvent inquiéter. Car cette mue extraordinairement rapide des élites économiques ne fait pas que des gagnants. Tout le monde ou presque se retrouve «précarisé» par les effets de cette mondialisation du pays. Pour les ouvriers et les petites mains, on le savait. On apprend en revanche dans ce numéro que c’est également le cas des élites.
Cette nouvelle insécurité professionnelle généralisée explique évidemment les fortes tensions que l’on a pu ressentir ces dernières années dans les débats politiques entre les tenants d’une Suisse hyper-ouverte, et ceux qui prônent le retour aux frontières. A ce sujet, il y a sans doute une leçon à tirer des analyses menées à l’UNIL. L’importance des changements en cours devrait nous inciter à sortir du débat stérile qui oppose trop souvent les «racistes» et les «bobos», dès qu’un sujet sensible provoque un débat animé. Nous pourrions, pour commencer, nous mettre d’accord pour regarder la Suisse telle qu’elle est vraiment: un territoire très ouvert, en pleine mutation, et qui se retrouve avec des problèmes de pays mondialisé à régler. Ce n’est pas insurmontable. Encore faudrait-il pouvoir débattre sans tabous ni œillères des changements en cours. Parce que l’incertitude est toujours anxiogène. Et parce que bien nommer les choses, c’est diminuer la confusion du monde.