Ils viennent de Corée, d’Amérique, d’Europe de l’Est ou bien du Sud. Ils rêvent de s’installer en Suisse pour profiter de la quiétude des lacs, des plaines, des forêts et des montagnes. Ils s’approchent de la frontière et ne sont pas les bienvenus. Pourtant, malgré ces similitudes qui prêteraient à sourire, si le débat sur l’asile n’était pas aussi crispé, «ils» n’ont rien à voir avec des humains en détresse. Ces «envahisseurs » – en biologie, le mot n’est pas connoté politiquement – sont des animaux exotiques.
Parmi ces «candidats à l’asile» d’un autre genre, on trouve des espèces familières comme des écureuils et des tortues. Il y en a de plus aristocratiques, comme les visons, et de plus suspects, comme les ratons laveurs qui avancent masqués. Il y a enfin des grenouilles, des couleuvres, des oiseaux, et surtout des insectes qui profitent de leur petite taille pour passer la douane en douce.
Car, aux frontières, le filtrage a commencé. Les biologistes reprochent en effet à ces animaux envahisseurs d’entrer en concurrence avec des espèces locales, de les affaiblir, et, parfois, de causer leur extinction. Des associations d’amis des oiseaux recommandent déjà que l’on «canarde» les tadornes casarca, ces oiseaux d’eau belliqueux qui viennent de l’Est. Par ailleurs, des mesures ont été prises pour lutter contre la prolifération de certaines grenouilles et couleuvres. Et demain, les ratons laveurs arrivant d’Allemagne se retrouveront probablement dans le viseur des gardeschasse suisses.
A l’inverse de ces espèces refoulables, d’autres animaux qui ont possédé un passeport suisse par le passé, avant d’être chassés ou exterminés du pays, pourront revenir sous les applaudissements d’une bonne partie de la population. Même s’ils causent des dégâts, la loutre, l’ours et le loup seront mieux accueillis que les candidats exotiques à l’asile.
Ce privilège n’est-il pas scandaleux? Faut-il s’indigner de cette «immigration choisie», à la Sarkozy, que les Suisses s’apprêtent à pratiquer sur les animaux? S’ils avaient la parole, les tadornes, les tortues de Floride ou les écureuils américains de Corée seraient enclins à le penser. Auraient-ils raison pour autant? La réponse est clairement négative. On ne peut pas, à la fois, s’inquiéter des espèces inconnues qui disparaissent tous les jours dans la forêt amazonienne, et laisser s’éteindre, sous nos fenêtres, des animaux qui ont survécu jusqu’à aujourd’hui.
Cela dit, signalons à tous ceux qui seraient tentés de tirer une leçon politique de ces histoires de tortues et de ratons laveurs, que la morale de cette fable moderne doit rester strictement animalière. Après nous avoir prouvé que l’arrivée d’animaux exotiques doit être surveillée de près, et combattue au besoin, la biologie, cette science facétieuse, nous dit exactement le contraire à propos des êtres humains. Dans ce cas, le brassage de populations qui s’opère au sein d’une même espèce est considéré comme un bienfait biologique, puisqu’il contribue à la diversité génétique des individus.
Jocelyn Rochat