Lasers et intelligence artificielle en mettent plein la vue

© medlar / iStock

Située au fond de l’œil, la rétine est longtemps restée inaccessible aux ophtalmologues. Ce n’est plus le cas, grâce à l’arrivée de lasers plus performants, qui rendent le traitement de certaines pathologies rétiniennes plus précis. Quant à leur dépistage et leur diagnostic, il est grandement facilité par l’intelligence artificielle. 

S’il est une spécialité médicale qui a bénéficié des innovations technologiques apparues au cours des dernières décennies, c’est bien l’ophtalmologie et tout particulièrement les affections de la rétine. Elément essentiel à la vue, celle-ci est en effet non seulement une structure oculaire complexe, mais elle est en outre située au fond de l’œil. Elle demeurait donc quasiment inaccessible, tant aux chirurgiens qu’aux médecins.

«Ce n’est que dans les années 80 que sont arrivées de nouvelles technologies qui ont permis de réaliser les premières vitrectomies (qui consistent à retirer le corps vitré, ce gel transparent qui remplit le globe oculaire), constate Thomas J. Wolfensberger, professeur à l’UNIL et directeur médical à l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin. Associées au développement de nouveaux lasers, elles ont métamorphosé non seulement la chirurgie, mais aussi les traitements médicaux de la rétine.»

Depuis une vingtaine d’années, des lasers encore plus performants que les précédents ont été commercialisés et l’intelligence artificielle a fait une entrée discrète, mais remarquée, en ophtalmologie. La prise en charge de deux pathologies de la rétine, la rétinopathie diabétique et la dégénerescence maculaire liée à l’âge (DMLA), en a grandement bénéficié.

Des lasers à multiples impacts

De nombreuses maladies de la rétine se manifestent par la prolifération de vaisseaux sanguins anormaux, les néovaisseaux. Ceux-ci peuvent provoquer des hémorragies, des œdèmes et d’autres lésions de la rétine qui font baisser la vision. Les lasers sont alors fréquemment utilisés pour photocoaguler, donc brûler, les tissus rétiniens endomagés, stoppant ou ralentissant ainsi le développement de néovaisseaux, ainsi que les fuites de liquide sanguin dans la rétine. 

En 2006, les interventions ont été grandement facilitées par l’apparition d’une nouvelle technique de photocoagulation laser multispots nommée PASCAL (PAttern SCAnning Laser ou système laser à balayage de motifs). Contrairement aux systèmes conventionnels qui ne pouvaient envoyer qu’un «spot» à la fois, il délivre en un coup de pédale plusieurs impacts ultracourts (de 20 millisecondes contre 100 pour les lasers conventionnels), selon des motifs déterminés par l’ophtalmologue. «Nous avions des pistolets, maintenant, nous avons des mitraillettes», constate en riant le professeur Wolfensberger. 

Irmela Mantel. Médecin-adjointe coresponsable de l’unité rétine médicale à l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin. Nicole Chuard © UNIL

Commercialisé plus récemment, le laser Navilas est fondé sur le même principe, mais «il va encore plus loin en prenant une image de la rétine sur laquelle nous pouvons dessiner la zone à traiter. L’appareil déclenche alors automatiquement les spots laser. Ce dispositif accroît la précision de la localisation des points à cibler et de la délivrance des faisceaux laser.» De ce fait, il brûle une moindre quantité de tissus et génère moins d’inflammations. 

Certes, l’appareil est cher, mais tout le monde en bénéficie. À commencer par les patients. «Chaque impact du laser sur la rétine crée un choc, mais la douleur est la même qu’on reçoive un spot du “ pistolet ” ou neuf, ultra-courts, de la “ mitraillette ”. Donc finalement, le traitement fait moins souffrir, car il est beaucoup plus court. Quant au médecin, il gagne du temps», explique le directeur médical.

Effleurer les cellules

Tous les lasers ne sont pas utilisés pour brûler des tissus malades. Le laser Micropulse, dont les impulsions sont encore plus courtes (quelques millionièmes de seconde) et répétitives, ne fait qu’effleurer les cellules. «Son mode d’action n’est pas encore très clair, mais il semble qu’il stimule certaines cellules rétiniennes et les aide ainsi à mieux faire leur travail», précise Thomas J. Wolfensberger. Il est essentiellement employé pour favoriser l’absorption du liquide de l’œdème maculaire diabétique, une complication de la rétinopathie diabétique.

© Stephanie Wauters
© Stephanie Wauters

Quant au laser intervenant dans la thérapie photodynamique, mise à profit dans la prise en charge de la DMLA notamment, il déclenche une fibrose des vaisseaux sanguins. Le traitement consiste d’abord à injecter dans une veine un produit sensible à la lumière et à le laisser circuler dans l’organisme. Une fois éclairé par un faisceau laser de la longueur d’onde appropriée, «il est excité et il produit une inflammation qui induit une cicatrisation des vaisseaux et leur disparition».

L’émergence de l’intelligence artificielle 

Nul doute que, dans les prochaines années, de nouvelles technologies laser, passant par d’autres modes d’action, vont être développées qui permettront d’élargir l’éventail des thérapies de la rétine. Mais déjà, un autre bouleversement s’annonce avec l’introduction en ophtalmologie de l’intelligence artificielle (IA) qui fournit aux spécialistes une assistance précieuse dans le dépistage, le diagnostic, le suivi des traitements et le pronostic des maladies. «Nous en explorons aujourd’hui les prémices et elle va s’imposer, c’est une évidence», souligne la Dre Irmela Mantel, médecin-adjointe coresponsable de l’unité rétine médicale à l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin. 

Il est vrai que l’ophtalmologie «se prête très bien à l’IA», poursuit-elle. Pour entraîner les algorithmes à analyser une situation, il est en effet nécessaire de disposer d’énormes volumes de données. Dans la mesure où plusieurs pathologies oculaires touchent un nombre élevé de personnes, elles peuvent donc aisément en fournir.

L’ophtalmologie se fonde par ailleurs souvent sur «des données physiques, mesurables» et elle a très fréquemment recours à l’imagerie médicale qui génère des informations, numériques de surcroît, qu’il faut interpréter. Dans ce domaine, «l’IA se profile comme un soutien inouï face à la complexité des images produites aujourd’hui», précise la spécialiste.

Thomas J. Wolfensberger. Professeur à la Faculté de biologie et de médecine. Directeur médical à l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin. Nicole Chuard © UNIL

On attend donc beaucoup d’elle «pour aider l’expert humain à gérer de gros volumes d’informations standardisées. Une fois les algorithmes bien entraînés, la machine peut assurer une bonne partie de la tâche.» Détecter par exemple les éventuels signes d’une pathologie existante et repérer ainsi les patients qui ont besoin d’un traitement précoce. Ou, grâce au calcul de probabilité, pronostiquer l’évolution d’une maladie et orienter le choix de la thérapie. Ou encore, dans la pratique clinique comme dans la recherche médicale, «se montrer plus perspicace que le regard, même minutieux, d’un être humain, pour découvrir des choses qui restent cachées à notre cerveau, car celui-ci est incapable de gérer de tels volumes d’informations».

Toutefois, souligne Irmela Mantel, «les algorithmes ne peuvent pas supplanter les soignants. Ils ne peuvent que trier les informations et orienter le médecin qui reste seul responsable de la décision. Mais ils peuvent être un allié précieux pour lui permettre d’endosser de nouveaux défis, qui sont nombreux en ophtalmologie.» 

Une révolution dans le dépistage de la rétinopathie diabétique

La première application de l’IA en ophtalmologie concerne le dépistage de la rétinopathie diabétique qui affecte 50% des personnes souffrant de diabète, troublant peu à peu leur vue jusqu’à parfois conduire à la cécité. 

Cette pathologie se développe de manière progressive et, pendant des mois ou des années, elle ne s’accompagne d’aucun symptôme. Elle ne peut alors être détectée qu’à l’aide d’un examen du fond de l’œil. Son dépistage, de même que le suivi de son évolution, nécessite donc que «les patients consultent régulièrement leur ophtalmologue, ce qui coûte cher au système de santé», constate Irmela Mantel. Il requiert aussi parfois l’intervention de centres spécialisés dans l’analyse des photos du fond de l’œil «au sein desquels les personnels ne font rien d’autre que d’examiner les images qu’ils reçoivent». 

Un travail répétitif qui peut être automatisé si les images du fond de l’œil sont prises par une machine et analysées par un algorithme. 

L’idée s’est déjà concrétisée avec la mise au point de IDx qui a été le premier système d’IA autonome autorisé par la FDA (l’autorité américaine de la santé) dans ce domaine. Il suffit de lui soumettre l’image de la rétine d’une personne diabétique pour qu’en moins d’une minute, il indique si celle-ci est atteinte d’une forme légère ou avancée de la maladie, ou si elle n’en souffre pas.

Ce dispositif «ne donne qu’une appréciation de la situation, précise Irmela Mantel. Il reste ensuite au médecin à évaluer le sérieux de son hypothèse et à prescrire éventuellement aux patients un examen plus approfondi.» 

Rétinographie. La tache sombre est compatible avec une DMLA hémorragique néovasculaire. © Centre d’imagerie oculaire, Hôpital ophtalmique Jules-Gonin
Rétinographie. La tache sombre est compatible avec une DMLA hémorragique néovasculaire. © Centre d’imagerie oculaire, Hôpital ophtalmique Jules-Gonin

Quoi qu’il en soit, «les algorithmes d’IDx ont atteint une très haute spécificité. Ils ne donnent que très rarement des résultats faussement négatifs ou positifs». Ce qui fait dire à Thomas J. Wolfensberger que «ce programme a révolutionné le dépistage de la rétinopathie diabétique». D’autant, ajoute-t-il, «qu’à terme, on peut imaginer pratiquer celui-ci hors des murs d’un cabinet médical, en pharmacie par exemple, comme on le fait aujourd’hui pour la mesure de la pression artérielle».

Une assistance dans le traitement de la DMLA

L’intelligence artificielle commence aussi à être mise à profit dans la prise en charge de la dégénérescence maculaire liée à l’âge, surtout de l’une de ses formes, dite «humide», qui provient de la prolifération de vaisseaux anormaux sous la rétine. La progression de la pathologie peut être stoppée à l’aide d’injections régulières, pendant des mois ou des années, d’un médicament dans l’œil. Un traitement dont le dosage doit toutefois sans cesse être adapté au besoin spécifique de chacun et de chacune sur la base d’images du fond de l’œil. 

À nouveau, l’ophtalmologue se trouve confronté à un travail répétitif pour lequel il peut se faire assister par l’IA. Dans ce cas, «l’algorithme peut nous donner un préavis automatisé nous indiquant le besoin thérapeutique standard», explique Irmela Mantel. 

L’IA pourrait par ailleurs donner un pronostic de l’évolution de la maladie qui varie considérablement selon les individus. Sur la base de probabilités, «elle pourrait par exemple nous aider à estimer dans quel laps de temps une personne est susceptible de perdre la vision centrale. Nous pourrions alors discuter avec elle de l’opportunité, ou non, de ralentir la progression de sa maladie en lui faisant des injections» – un traitement très contraignant.

Déjà, l’équipe d’Irmela Mantel a mis à disposition des développeurs d’algorithmes les données qu’elle a accumulées sur l’évolution de la DMLA chez un certain nombre de patients. «L’outil est prêt, il reste à l’intégrer dans la prise en charge clinique».

Ce n’est qu’un début car, selon la Dre Mantel «les applications potentielles de l’IA en ophtalmologie paraissent infinies».

Un micro-panneau photovoltaïque dans la rétine  

L’implant Polyretina, en cours de développement par des médecins de l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin et des chercheurs de l’École polytechnique fédérale de Lausanne, court-circuite la rétine défaillante des non-voyants, afin de restaurer partiellement leur vue. 

Dans ce dispositif, explique le professeur Thomas J. Wolfensberger, directeur médical de l’hôpital lausannois, «l’œil est remplacé par une caméra miniature intégrée dans une paire de lunettes, qui capte l’image de l’environnement et la transmet à un petit processeur. Celui-ci la traduit en pixels et l’envoie à l’implant photovoltaïque qui transforme les signaux lumineux en impulsions électriques.»

Comparé aux autres prototypes d’implant artificiel, Polyretina a l’avantage de «couvrir une zone beaucoup plus grande de la rétine et donc de donner à ses utilisateurs un champ visuel suffisamment large pour qu’ils puissent distinguer les obstacles et se déplacer». En outre, il fonctionne sans câble. «Cette absence de connexion entre l’intérieur de l’œil et l’extérieur limitera le risque d’infection» et augmentera le confort des patients.

Ce dispositif donne une sensation visuelle: «Il ne permettra pas de discerner des détails et de reconnaître un visage par exemple, mais il sera possible de voir une silhouette». Pour l’instant, il n’a été testé que sur des mini-cochons. Les résultats s’étant avérés concluants, ses concepteurs espèrent pouvoir lancer prochainement les premiers essais cliniques.

© DR
© DR

Laisser un commentaire