La vertu du décentrement

Maître d’enseignement et de recherche à l’Institut d’histoire et anthropologie des religions, Jean-François Bert nous propose, dans cet essai, de nous familiariser avec la méthode comparative employée par l’anthropologue Marcel Mauss (1872-1950) et par son collègue de travail Henri Hubert (1872-1927).

À grands traits, cette démarche consiste à choisir un phénomène, comme la prière, le sacrifice ou la magie par exemple, et à l’observer en détail (gestes, paroles, objets, etc.) dans plusieurs sociétés humaines. Le but? Mettre en lumière les singularités, les disparités et les ressemblances existantes, afin d’en dégager des principes, dans une logique d’explication. Il s’agit en somme de «mettre en concordance des faits qui viennent de populations très différentes», comme le résume Jean-François Bert.

«La méthode comparative est fondamentalement subversive, en particulier en histoire des religions, note le chercheur. Elle oblige les chercheurs à sortir de leurs spécialisations et à se mettre en danger.» En nous forçant à regarder ailleurs, et souvent loin, le comparatisme bat en brèche nos préjugés. Ainsi, Marcel Mauss a bataillé contre l’idée qu’il existe des populations «civilisées» et d’autres qui ne le seraient pas. Pour l’anthropologue, un peuple «inculte» ou «naturel» n’existe pas. Le domaine de son anthropologie est la variété humaine sous toutes ses formes.

En cinq chapitres, Le courage de comparer se consacre à la trajectoire intellectuelle de Marcel Mauss au cours de la première décennie du XXe siècle. Pour prolonger la réflexion, il est intéressant de lire Essai sur le don, texte fondateur que Marcel Mauss publie en 1924, et dont Jean-François Bert signe une préface éclairante (lire en p. 63). /DS

Le courage de comparer. L’anthropologie subversive de Marcel Mauss. Par Jean-François Bert. Labor et Fides (2021), 148 p.

La brûlante question du don d’organes 

Face au décalage entre le nombre d’organes disponibles et le nombre de patients en attente de transplantation en Suisse, comment mieux sensibiliser le grand public à réfléchir à cette question très privée? Le consentement présumé au prélèvement des organes après le décès, qui pourrait entrer en vigueur en Suisse en 2023, pourrait-il inverser la tendance face au consentement explicite actuel? Quels sont les rôles de la fondation Swisstransplant? Codirigé notamment par Vincent Barras de l’Institut des humanités en médecine UNIL-CHUV et Manuel Pascual, doyen de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL, cet ouvrage collectif aborde tous les enjeux, parfois épineux, liés au don et à la transplantation d’organes en Suisse, d’un point de vue historique et sociologique. Il souligne notamment le gros travail, très souvent bénévole, des associations soutenant les patients transplantés ou en attente. / NM

Don et transplantation d’organes en suisse. Sous la dir. de Raphaël Hammer, Vincent Barras et Manuel Pascual. Georg Éditeur (2021), 394 p.

Le béton, pas bidon

Une architecture dépréciée? Il faut lire les articles sur les tours du Valentin, la Bourdonnette ou encore les deux barres jumelles de la rue Pré-du-Marché…

Ces tours surgissent en 1960-70 et ne seront plus implantées en ville après 1976. Nouvelles techniques industrielles pour loger rapidement beaucoup de monde, préfabrication et baisse des coûts mais souci du confort, bras de fer de l’architecte Desarzens pour imposer de grandes chambres à la «Bourdo», béton brut mais aussi en relief, rupture avec les surfaces lisses brutalistes, postmodernisme exprimé par un foisonnement de formes, passages brisant l’uniformité, dialogue avec le quartier quitte à faire «entrer la rue dans l’architecture», selon le mot de l’architecte Guyot au Valentin.

Le lecteur adopte un autre regard sur ces constructions intelligentes, au service de leurs habitants. La rénovation des tours du Valentin, dont la froideur blanche et anthracite tranche désormais avec le contexte, indique combien le travail de reconnaissance de cette architecture des Trente Glorieuses ne fait que commencer. / NR

Présentation de cet ouvrage sur le site Labelettres de la Faculté des lettres de l’UNIL

Monuments vaudois : Lausanne béton (11 – 2021). Edimento (Section d’histoire de l’art, UNIL), 96 p. unil.ch/monumentsvaudois

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