Quand Jacques Dubochet découvre, après l’avoir comme d’autres longtemps cherchée, la meilleure manière de protéger et d’observer au microscope électronique les spécimens biologiques dans des dimensions infimes, en vitrifiant l’eau qu’ils contiennent, il sait évidemment que c’est une découverte essentielle mais n’en connaît pas à l’avance toutes les implications pour la recherche biomédicale. Désormais Prix Nobel, notre cher professeur souligne l’importance d’offrir aux chercheurs un environnement leur permettant de mener des travaux au long cours, sans nécessité, pour renouveler leurs subventions de recherche, de publier dans des délais trop restreints.
Ethique de la recherche
Le monde académique n’est pas épargné par de pressantes exigences de rentabilité, paradoxales puisqu’elles risquent de favoriser des études peu ambitieuses, où les chercheurs hésitant à s’éloigner des sentiers battus ne découvrent finalement rien de révolutionnaire. Il incombe aux institutions sérieuses, publiques ou bénéficiant de financements privés, de respecter le temps long du travail scientifique et d’entretenir une éthique de la recherche qui puisse résister à la tentation d’aller au plus simple et, si l’on songe aux sciences humaines et sociales, à celle de sélectionner des aspects du réel en accord avec des présupposés idéologiques. La science, rien que la science: il n’est peut-être pas inutile de le rappeler aujourd’hui.
Notre Prix Nobel le raconte volontiers aux étudiants: dans sa jeunesse, face à un résultat apparemment intéressant, il n’a pas su aller jusqu’au bout du processus de réfutabilité qui consiste à passer sa propre découverte au crible de la critique la plus systématique possible. Au terme de cet exercice qui comporte une dimension collective et ne s’achève en quelque sorte jamais, seule la théorie dont il n’a pas été démontré qu’elle était incomplète, voire fausse, peut prétendre refléter au mieux la réalité. Il en va ainsi de toutes les disciplines scientifiques.
Rigueur
Le chercheur est un homme ou une femme comme les autres. Son travail sans cesse remis sur le métier, dans une sorte d’inconfort intellectuel perpétuel qui le pousse à toujours aller plus loin, lui donne peut-être une conscience aiguë de la nécessité de collecter et d’interpréter les données de la façon la plus rigoureuse possible, ceci même lorsqu’il serait plus facile de suivre la doctrine du moment. Les différents contextes dans lesquels il évolue peuvent le pousser au meilleur comme au pire. A l’UNIL, nous avons choisi depuis fort longtemps de cultiver le meilleur et nos résultats scientifiques, de même que notre attractivité internationale, démontrent que c’est pour une institution qui souhaite perdurer elle-même sur le très long terme, une nécessité de chaque jour.
Etant donné les pressions extérieures qui pèsent sur les chercheurs avec notamment la fameuse injonction publish or perish, l’Université doit se montrer attentive à ne pas en redoubler les effets. Il s’agit d’évaluer une recherche non pas sur le nombre mais, surtout, sur la qualité des publications qu’elle suscite et la pertinence du travail en cours. Cette perception s’affirme de plus en plus au FNS et à Swissuniversities, sensibles à la demande d’accessibilité des données et des résultats des recherches (open science). Une telle mise à disposition favorise l’analyse et la vérification par d’autres scientifiques. Cette ouverture incite à l’excellence, sachant qu’une réputation se joue sur la qualité d’un travail qui peut servir de base à des projets poursuivis par des spécialistes d’un même domaine. Il faut relever que chacun à son niveau, et dans sa discipline, peut exercer sa vigilance et travailler de sorte à privilégier le long terme, la qualité sur la quantité.
A l’heure où certains obscurantismes viennent menacer les avancées fragiles de la science, rappelons à la société que la démarche scientifique se distingue des croyances établies, aussi diverses soient-elles, précisément par une recherche incertaine mais résolue et constante, appliquée à tous les domaines de la vie humaine.