Il est de plus en plus difficile de débattre de tout, surtout avec n’importe qui. Dès qu’on évoque un sujet sensible – par exemple la nationalité des personnes détenues dans les prisons suisses – la suite de la discussion est très vite influencée par des a priori politiques. «Si la personne est de droite, elle dit: “Regardez tous ces étrangers en prison!”, et si elle est de gauche, elle prétend qu’il n’y a rien de spécial à dire sur le sujet», regrette un criminologue de l’UNIL dans ce numéro.
La discussion, qui n’a jamais été simple sur ce genre de thématiques, s’est encore, et très sournoisement, radicalisée. Désormais sur Internet, les réseaux sociaux, moteurs de recherches et autres algorithmes nous aiguillent mécaniquement vers des gens qui partagent nos opinions. Ce qui diminue d’autant nos chances de rencontrer une analyse alternative.
Cette incapacité actuelle à partager nos différends a atteint de nouveaux sommets aux États-Unis, où naissent souvent les tendances qui finissent par nous influencer. Selon une étude du Pew Research Center publiée en août 2018, on découvre que, désormais, 81% des républicains et 76% des démocrates sont en désaccord non seulement sur l’analyse des programmes et les idées politiques, mais ils ne s’accordent même plus sur les faits eux-mêmes.
Dans une émission de la chaîne TV France 5 consacrée à l’Amérique de Donald Trump, la correspondante de grands médias européens aux États-Unis expliquait encore que, désormais, les grandes télévisions que sont CNN (pro démocrates) et Fox News, sa concurrente républicaine, ont chacune leur agenda, leurs sujets, leurs nouvelles et leurs obsessions. Et quand on se limite à une seule de ces chaînes d’information, ce qui est le cas de la majorité des Américains, on ne peut plus comprendre ce qui se passe dans le pays, parce que certains thèmes sont tout simplement ignorés à droite comme à gauche.
Évidemment, quand on voit s’élaborer ainsi deux récits différents et concurrents de l’actualité, il devient difficile d’en débattre, encore plus d’échanger autre chose que des horions avec un interlocuteur du camp d’en face. Comment sortir de cette impasse? «En essayant d’analyser les choses d’un point de vue scientifique», propose le professeur de l’École des sciences criminelles de l’UNIL Marcelo Aebi, qui analyse dans cet Allez savoir! les causes de «la surreprésentation étrangère dans les prisons suisses».
Comme souvent, les chercheurs vont apporter une réponse détaillée, nuancée et souvent multifactorielle à une question simple. Ils ont d’ailleurs assez souvent été moqués pour cela. Mais cette piste scientifique, qui nous replonge souvent dans un monde complexe, est bien plus satisfaisante que la tentation actuelle qui consiste à éviter les sujets sensibles, à les transformer en nouveaux tabous, et à les livrer sur un plateau aux plus excités qui n’hésiteront pas à s’en emparer pour polémiquer.
A l’heure de l’information segmentée, les recherches scientifiques sont les mieux à même de ramener un peu de raison dans ce nouvel âge des passions.