
L’an dernier, plus de 5500 personnes ont suivi l’une des 300 formations continues proposées par l’UNIL ou l’EPFL. Depuis sa création en 2009, la Formation Continue UNIL-EPFL a quadruplé son offre de programmes. Analyse avec Pascal Paschoud, son directeur.
Pascal Paschoud, quels ont été les principales évolutions sur le front de la formation continue ces dernières années?
Les grands changements auxquels nous faisons face, qu’ils soient technologique, démographique ou climatique, l’ont propulsée sur le devant de la scène. L’idée du lifelong learning – ou apprentissage tout au long de la vie – s’est imposée. C’est un mouvement de fond, on adopte une perspective radicalement différente.
Est-ce lié au fait que désormais, beaucoup de gens sont appelés à changer d’emploi en cours de carrière, parfois même à plusieurs reprises?
L’employabilité constitue en effet un aspect de la question. Les parcours professionnels sont de moins en moins linéaires: on change d’employeur, de métier, de taux d’activité… Le besoin de se former pour faire face à ce genre de défis devient d’autant plus grand. Mais l’enjeu est plus large, il touche la société dans son ensemble, car sa durabilité et sa cohésion en dépendent.
Comment cela se répercute-t-il au niveau de l’offre?
L’UNIL et l’EPFL doivent proposer des formations qui répondent à ces nouveaux besoins. Désormais, lorsque l’on entre à l’université ou dans une Haute école, on peut estimer que l’on entame un parcours qui durera une soixantaine d’années! L’idée est de mettre en place un système favorisant ce type d’apprentissage, et surtout d’éviter une cassure en fin de cursus. Car en trouvant leur premier emploi, beaucoup de gens quittent l’académie et n’y reviennent que beaucoup plus tard, voire jamais.
Cet accès à l’apprentissage «tout au long de la vie» ne devrait-il pas être ouvert à chacune et chacun, pas seulement aux personnes qui ont un diplôme académique en poche?
Absolument, c’est nécessaire pour que toutes et tous puissent se former. Il est indispensable d’instaurer cette culture du lifelong learning pour que notre pays reste compétitif et que la démocratie soit saine. C’est aussi une manière d’encourager les gens à l’autonomisation – que l’on appelle empowerment en anglais.
A-t-on une idée de quel type de compétences nous aurons besoin dans cinq, voire dix ans?
On sait que la demande va être forte dans le digital et la durabilité. Mais il est toujours difficile de déterminer avec précision quelles compétences seront concernées à l’avenir. On ne peut pas se contenter d’y réfléchir au seul niveau de l’académie, il faut impliquer différents acteurs, cultiver les contacts avec le monde professionnel. Certains professeurs ont des liens avec les associations, les entreprises, et chez nous, une personne est chargée d’évaluer ces besoins. Cela nous demande également de l’agilité, car traditionnellement les propositions de formations continues émanaient des enseignants. C’est encore souvent le cas, mais nous réfléchissons aussi de notre côté à de nouvelles façons de traduire les résultats des recherches en formations continues.
Vous êtes en outre président de EUCEN (European University Continuing Education Network, lire en bas de page), un réseau qui regroupe plus de 150 universités et réseaux nationaux en Europe. Votre travail au sein de cette association peut-il vous inspirer de nouvelles voies?
L’UE a par exemple développé le European Skills Agenda, un plan composé de mesures destinées à favoriser l’identification des besoins de compétences et d’y répondre. Pour cela, on analyse par exemple l’ensemble des offres d’emploi, s’intéressant aux compétences requises. Il apparaît aussi que les compétences transversales – grâce auxquelles les gens sont davantage capables de s’adapter, de mieux faire face aux changements et de moins les subir – sont très demandées, comme la créativité, qui permet de mieux anticiper.
Sachant ceci, allez-vous monter des modules dédiés?
Nous intégrerons ces savoir-faire et savoir-être dans les formations que nous proposons. Et nous allons imaginer des outils pour les valoriser et les mettre en avant de manière lisible et transparente. C’est notamment le cas avec les microcertifications, grâce auxquelles il est possible de valoriser tous les acquis.
L’UNIL vient justement de se doter d’un nouveau cadre réglementaire pour permettre de délivrer ces microcertifications…
Oui, nous sommes maintenant en mesure de délivrer des microcertifications avec octroi de crédits à l’issue de formations courtes, par exemple de 3 jours. Le cumul de ces microcertifications peut parfois mener à l’obtention d’un titre certifiant. L’UNIL propose par exemple des CAS21) par cumul dans les domaines de l’investigation numérique et de la surveillance financière dans le secteur public. À terme, il sera important de favoriser la transférabilité des microcertifications entre institutions, ce qui va demander un travail de standardisation.
Cela correspond-il également à de nouvelles exigences émanant de la société?
En effet, les gens n’ont pas toujours le temps, l’envie ou les moyens financiers pour s’engager dans une formation longue. Ils souhaitent personnaliser leur apprentissage en fonction de leurs propres besoins, cherchent à acquérir des compétences précises rapidement. L’offre doit permettre de composer des parcours de formation flexibles.
Autre changement de fond, durant la pandémie de Covid-19, on a réalisé qu’il était possible de se former en ligne. Quelles conséquences sur la façon d’enseigner?
On aurait pu penser dans un premier temps que presque tout se ferait ainsi désormais. Mais il en est allé différemment, car à la fin de la pandémie, les gens ont manifesté une réelle soif de se retrouver. D’où le développement des modèles dits de blended learning, qui fonctionnent bien et mélangent le meilleur des deux mondes. On mise sur le présentiel lorsqu’il y a une véritable valeur ajoutée – quand on se réunit pour des interactions, un atelier ou une visite, par exemple. Et lorsqu’il s’agit d’écouter un professeur présenter un contenu, la vidéo est parfaitement adaptée.
Cela permet aussi aux apprenants de suivre plus facilement un cursus…
En effet, car ils peuvent regarder ces contenus quand cela les arrange, en fonction de leur horaire de travail et de leurs obligations familiales. Cela ouvre les portes de la formation continue à des populations qui n’y avaient guère accès, comme les parents solos.
Peut-on imaginer que l’on cumule des microcertifications dans plusieurs institutions en fonction de ses besoins?
Oui, l’idée est aussi de favoriser le transfert avec d’autres Hautes écoles suisses. Mais cela implique de développer un cadre de reconnaissance mutuelle des microcertifications. La grande majorité des apprenants qui suivent nos cursus vient de Suisse romande. Mais certains cours en ligne, comme ceux en data science dispensés par l’EPFL, attirent un public plus lointain.
La formation continue ne sert-elle pas en outre de vitrine?
Bien sûr, et c’est également un magnifique laboratoire pour innover. Il est plus facile de tester si un nouveau format fonctionne sur un groupe de vingt personnes que sur une volée de 300 – c’est d’ailleurs ainsi que nous avons testé certaines solutions de blended learning.
En fin de compte, la Suisse est-elle un bon ou un mauvais élève dans le domaine de la formation continue?
La Suisse bénéficie d’un cadre bien développé avec les CAS, DAS et MAS offerts par les Hautes écoles et la mise en place des microcertifications. C’est davantage au niveau de la définition de priorités de formations nationales, régionales ou sectorielles, définies au travers de collaborations entre les acteurs concernés qu’il reste beaucoup à faire. Le financement reste aussi un obstacle et l’on pourrait s’inspirer de la mise en place d’individual learning account dans un certain nombre de pays – sorte de porte-monnaie dont tout un chacun bénéficierait tout au long de sa vie. C’est intéressant, car la formation continue est souvent onéreuse et il faudrait la rendre plus accessible. Cela dépasse le seul plan financier, d’ailleurs, puisque les personnes les moins formées sont aussi celles qui recourent le moins à la formation continue. Informer les gens, les aider à aménager leur temps, trouver des solutions de garde pour les enfants… Peut-être devrions-nous introduire la notion de droit à la formation continue dans la loi? Une loi sur la formation continue existe en Suisse, mais la responsabilité incombe avant tout à l’individu.
1) Les CAS, DAS et MAS sont des titres délivrés dans le domaine de la formation continue. Explications ici: formation-continue-unil-epfl.ch/mas-das-cas-fco/
Une approche humaniste de la formation continue
Diplômé de HEC Lausanne et de la London School of Economics, Pascal Paschoud dirige la Formation continue UNIL-EPFL depuis 2009. En 2023, il a été élu à la tête de EUCEN (European University Continuing Education Network), réseau européen de formation continue après quatre ans passés au comité de cette association. En 2022, il a également contribué à lancer l’initiative « Lausanne, ville apprenante » – la capitale vaudoise fut ainsi la première cité de Suisse à rejoindre ce réseau mondial UNESCO dont le but est de favoriser l’échange d’expériences et de bonnes pratiques dans le domaine de l’apprentissage tout au long de la vie. Pascal Paschoud s’intéresse par ailleurs aux aspects humains de la formation – il est entre autres diplômé en coaching.