Les vestiaires du centre sportif et leurs alentours se sont mués en fausses scènes de crime durant deux jours fin février. Scellés de police, mannequins maculés de sang et douilles ont servi aux travaux pratiques de 33 étudiants en 3e année de Bachelor à l’Ecole des sciences criminelles. Au programme : réalisation de croquis, prise de notes et documentation photographique.
TP 1, Episode 1 – Coup de feu
« Bonjour, je suis l’inspectrice Lara Tatouille. Nous avons été appelés suite à la découverte de quatre corps », commence Susanna Meola. Lundi 27 février, 13h tapantes devant les vestiaires du centre sportif de l’UNIL, situé entre la route cantonale et le lac, l’assistante-doctorante à l’Ecole des sciences criminelles fournit les premiers éléments du dossier, sans doute un règlement de compte lié à un trafic de stupéfiants. Tout est mis en œuvre pour coller au mieux à la réalité du terrain. Les huit étudiants en 3e année de Bachelor présents durant l’après-midi notent religieusement les informations transmises par l’inspectrice de la police judiciaire. « Un homme a entendu un coup de feu alors qu’il promenait son chien le long de la Chamberonne, juste derrière nous. En s’approchant, il a vu quelqu’un tomber dans la rivière depuis le pont et a appelé la police à 11h40. »
Le but de l’exercice du jour n’est pas de chercher des traces ou d’effectuer des prélèvements, mais de « fixer » les lieux de crime, sans y pénétrer. En d’autres termes, les étudiants disposent de quatre heures pour observer, décrire et documenter les scènes de manière compréhensible et intelligible à travers la prise de notes, le dessin et la photographie. « L’idée consiste à pouvoir revisiter les lieux, des années plus tard, exactement tels qu’ils étaient lorsque nous sommes arrivés sur place », explique André Marolf, assistant-doctorant.
TP 1, Episode 2 – Coup de pouce
Susanna termine le briefing puis chacun des quatre binômes d’étudiants rejoint « sa » scène de crime en compagnie d’un assistant. Derrière les vestiaires, à l’orée du bois, Céline Küng et Justine Guérin découvrent un mannequin en plastique dont seules les jambes et les chaussures de sport dépassent d’un cageot en bois posé contre un container métallique.
Au sol, au milieu des feuilles mortes, une poudre blanche et du liquide rouge séché. Valentin Carlier, assistant-doctorant, confirme aux étudiantes que le SMUR (Service mobile d’urgence et de réanimation) est intervenu pour constater le décès. « Nous les laissons tâtonner un moment, à elles de poser les questions dont les réponses peuvent s’avérer pertinentes pour l’enquête », explique Olivier Delémont, professeur associé à l’Ecole des sciences criminelles et responsable du TP de méthode d’investigation sur les lieux.
Des scellés en plastique rouge et blanc délimitent la scène. Interdiction pour les jeunes femmes d’y pénétrer. La grande difficulté ici ? « Le corps est caché, le manque de lumière et les ombres compliquent le travail photographique », poursuit le professeur.
Quelques mètres plus loin, du haut du pont enjambant la Chamberonne, Manuel Bardin et Louis Raccurt observent le cadavre d’une femme en contre-bas sur les berges. Trois canards barbotent au soleil. Il fait particulièrement doux pour la saison. André conseille les étudiants au sujet de la manière d’initier leur travail. Durant l’après-midi, l’assistant repassera pour répondre aux questions et s’assurer du bon déroulement de l’exercice.
TP 1, Episode 3 – Coup d’œil
A l’intérieur, dans le vestiaire des moniteurs, Jérémy Corcoba et Alizée Prod’Hom sont à pied d’œuvre. Assise sur le carrelage, l’étudiante note scrupuleusement toutes les informations circonstancielles. « Nous savons que des médecins ont pénétré sur notre scène de crime. Si l’exercice du jour consistait à relever des traces de semelles ou de doigts, cette information serait très importante, car il faudrait les différencier de celles des suspects. » Devant elle, un homme aux cheveux noirs, face contre terre. Du papier ménage maculé de sang jonche le sol.
Dans les douches voisines, Chloé Berthet et Sami Tekari discutent de leur scène dont tout laisse penser qu’il s’agit d’un laboratoire de fabrication de stupéfiants. Des sachets plastique remplis de poudre blanche traînent par terre. Le cadavre d’un homme est affalé sur une chaise.
Ils préparent leur appareil photo, interdiction d’utiliser le mode automatique. Chaque groupe doit apprendre à utiliser le bon objectif et effectuer les réglages corrects en fonction des lieux. L’étroitesse de la pièce, le manque de lumière et les angles morts rendent le travail délicat. Les coéquipiers posent une règle striée au sol qui servira de repère sur l’image. Grâce à elle, ils pourront reconstituer les distances et remettre à l’échelle l’ensemble de leurs clichés.
« Les prises de vues doivent être réalisées de manière à faciliter une éventuelle reconstruction des lieux en trois dimensions, explique Olivier Delémont. Les étudiants participent aujourd’hui au premier travail pratique en conditions « réelles » de leur cursus. Ils se focalisent souvent sur les détails alors qu’il suffit parfois de faire quatre photos, une dans chaque coin, pour couvrir l’ensemble des lieux. » Autre point délicat : positionner la scène dans son environnement. Un inspecteur qui rouvrirait le dossier dans quelques années doit comprendre, entre autres, si l’endroit est facile d’accès ou non. « Retrouver un corps dans un recoin isolé ou dans un espace totalement ouvert n’a pas la même signification pour l’enquête. »
TP 1, Episode 4 – Coup de crayon
A l’extérieur, un invité surprise – un labrador – fait fi du panneau « Attention ! Mise en scène pour exercice d’investigation sur les lieux » et piétine allègrement les feuilles mortes autour de l’un des mannequins. Céline et Justine rient aux éclats.
Un peu plus loin, Manuel renseigne un curieux qui s’est arrêté devant le cadavre en plastique. « Avant, on m’a même demandé si c’était un vrai ! » lance-t-il avant de se dissimuler dans les buissons sur les berges de la rivière pour effectuer des photos d’ensemble des lieux. La scène est immense, difficile de savoir où s’arrêter… « En plus, nous ne pouvons pas descendre vers le cadavre pour faire de bonnes prises de vues », explique l’étudiant. Accroupi sur le pont, il inspecte ensuite une poudre blanche au sol. « En arrivant, dans la précipitation, nous l’avons piétinée !, relève-t-il en souriant. C’est là que le corps a dû tomber… »
Son collègue Louis s’attèle à un croquis complet de la scène. Concentration maximale. De petits triangles indiquent les emplacements exacts où des photos ont été réalisées, ainsi que leur orientation. Un second dessin mentionnera les distances, notamment la longueur et la largueur du pont mesurées plus tôt à l’aide d’un laser.
TP 1, Episode 5 – Coup de bourre
Durant les jours qui suivent, chaque binôme rendra un dossier complet comprenant un rapport écrit, un cahier photographique et un carnet de croquis racontant « l’histoire » de son crime. Il commentera et critiquera ensuite le travail d’un autre groupe. D’ici à quelques semaines, les étudiants participeront à leur deuxième TP de méthode d’investigation sur les lieux. Ils pénétreront cette fois sur les scènes pour rechercher des traces et effectuer des prélèvements.
Alors que les travaux pratiques de l’après-midi touchent à leur fin, les assistants-doctorant peaufinent le scénario, né de leur imagination, prévu pour les autres étudiants de la volée qui arriveront le lendemain. Les quatre scènes, toujours liées entre elles, concerneront cette fois le suicide collectif des membres d’une secte. En témoignent les nombreuses bougies se consumant lentement sur le rebord d’une fenêtre. Il faudra encore attendre quelques heures pour voir les étudiants décrire et documenter des pentagrammes au son de Pink Floyd…