Depuis 2004, la Suisse est devenue une habituée des phases finales des grands tournois mondiaux et européens. Comment expliquer cette réussite spectaculaire, eu égard à sa taille et sa population? Entretien avec Yves Débonnaire.
L’équipe suisse de football a disputé la phase finale de l’Euro, en 2004 au Portugal. Elle était en Allemagne, pour le Mondial de 2006. Elle a évidemment participé à l’Euro 2008, puisqu’elle était co-organisatrice avec l’Autriche. La Suisse est encore montée dans le bus du Mondial 2010 en Afrique du Sud et dans celui de 2014 au Brésil. Et elle participera à l’Euro, cet été en France. Une seule ombre dans ce tableau, l’Euro 2012 en Pologne et en Ukraine, le seul grand rendez-vous manqué ces douze dernières années. Un bilan, en termes de participation, qui est comparable à celui de l’Angleterre, et meilleur que celui de la Turquie ou des Pays-Bas. Comment expliquer cette réussite? Yves Débonnaire, enseignant à l’Institut des sciences du sport et sélectionneur des M17 (moins de 17 ans), nous livre son analyse.
AS: Que fait de juste la Suisse pour réussir à se qualifier pour une nouvelle phase finale d’un grand rendez-vous, comme l’Eurofoot en France?
Yves Débonnaire: Il faut clarifier un point. Pour la majorité des gens, il est devenu «normal», voire banal, que l’équipe de Suisse se qualifie pour une phase finale, que ce soit pour l’Eurofoot ou la Coupe du monde. Ce n’est pas du tout le cas! Une qualification de la Suisse à une phase finale doit toujours être soulignée comme une très grande performance. De par ses infrastructures, ses ressources limitées et son petit bassin de joueurs, cela reste un exploit.
Qu’est-ce qui a amené la Suisse à ce niveau? Quel a été le déclic?
Le tournant, c’est en 1994, avec la réapparition de l’équipe nationale à la Coupe du monde aux Etats-Unis, qui a eu un impact sur le plan de la visibilité et surtout sur le plan financier. Grâce au sponsoring, l’Association suisse de football (ASF) a pu se structurer et engager des entraîneurs professionnels. En 1995, Hansruedi Hasler a été nommé directeur technique, Dany Ryser, chef de la formation des entraîneurs et Hans-Peter Zaugg chef des sélections. Ces trois personnes et d’autres ont mis en place des fondations très solides. Le sélectionneur de l’époque, le Britannique Roy Hodgson (qui a guidé l’équipe de 1992 à 1995, et qui est aujourd’hui sélectionneur de l’Angleterre, ndlr) a donné une structure et une identité très forte au jeu helvétique avec à la clé une nouvelle philosophie de jeu: «La Suisse joue en zone, elle joue avec dynamisme et de manière offensive!» Sans cet amalgame, nous n’en serions pas là aujourd’hui.
C’est donc en profondeur que les changements ont eu lieu…?
L’ASF s’est professionnalisée, puis ce sont les clubs qui se sont professionnalisés. Des partenariats ont été noués et aujourd’hui, 5 à 6 millions par année sont versés par la Swiss Football League et l’ASF pour la formation dans les clubs. Des entraîneurs sont devenus le relais entre l’ASF, les clubs et les joueurs. Notre idée est de former des jeunes joueurs dans les différentes catégories d’âges à partir des moins de 15 ans et ainsi de suite pour in fine les retrouver en haut de la pyramide et avoir une équipe A de grande qualité. L’ancien directeur technique, Hansruedi Hasler, avait cette formule pour les jeunes: «Talent x possibilités x volonté = succès». Le talent, le joueur le possède puisqu’il évolue en équipe de Suisse. Les possibilités, c’est l’ASF qui va les offrir, comme par exemple de participer à des stages et des compétitions avec les diverses équipes nationales.
Et il reste le troisième point, une vraie inconnue. Quand l’ASF choisit un jeune joueur, elle ne connaît pas sa volonté de vouloir progresser, s’améliorer, tout donner pour être meilleur. Et le «tout» nous pose un problème pour les jeunes entre 17 et 20 ans. Car c’est à ce moment que les choix s’opèrent, ce qui faisait dire à Hansruedi Hasler: «Si je mets 1 au talent x 1 aux possibilités x 1 à la volonté, ça donne 1 = réussite! Mais si un des trois est 0, eh bien 1 x 1 x 0 = 0… donne un échec!» C’est très simple. Pour l’ASF, choisir sur le potentiel d’un jeune reste très aléatoire. il faut accepter qu’il y ait des hauts, des bas et des échecs.
Lorsque, en 2009, l’équipe nationale des moins de 17 ans remporte la Coupe du monde, premier titre majeur pour la Suisse en football, c’est une consécration, un aboutissement, une réussite?
C’est une performance absolument exceptionnelle, mais ce n’est pas automatiquement un moment charnière pour le football suisse. Cette victoire permet de nous dire que nous avons bien travaillé, et qu’il faut continuer de cette manière. Comme nous avons continué en 2002, lorsque les moins de 17 ans ont été sacrés champions d’Europe. Attention, ce n’est pas de la fausse modestie. Mais depuis 2009, nous n’avons plus gagné de titre. Le but premier de notre formation, c’est que les joueurs qui ont disputé ces finales se retrouvent un jour avec notre cadre A. De la volée championne d’Europe, quelques joueurs y sont parvenus: Barnetta, Ziegler, Senderos. De celle championne du monde aussi, comme Xhaka, Rodriguez, Seferovi´c et Drmi´c. Mais la volée 1991, qui n’a pas été championne d’Europe ou du Monde, a aussi fourni des joueurs de top niveau comme Mehmedi, Shaqiri et Lang. Et pour nous, c’est juste exceptionnel! Le but d’un titre chez les jeunes, c’est de les faire évoluer, grandir, mûrir! Malheureusement, beaucoup de ces jeunes se perdent en route… entre blessures, mauvais choix, mauvais encadrement.
Ces titres servent tout de même à faire grandir l’ASF et les joueurs?
Les titres apportent la confiance et la force. Parce qu’ils montrent que, oui, c’est possible! Oui, la Suisse peut le faire, et oui, elle y arrive. C’est déjà un premier pas. Mais ce n’est qu’un passage. Pour l’instant, ces titres ne sont que l’œuvre de nos jeunes sélections. Il faudrait un aboutissement avec un titre, une grande performance avec l’équipe première pour couronner toutes ces années de formation. En tant que petite nation, nous nous devons d’évoluer et d’être à la pointe. Nous n’avons pas les mêmes moyens que nos voisins, que ce soit sur le plan humain, financier ou structurel. Nous sommes obligés de rester créatifs. Et si la Suisse venait à ne pas se qualifier deux ou trois fois de suite pour une phase finale, cela nous mettrait en grande difficulté.
Article principal: Les Suisses ne sont pas des joueurs pros, ce sont des champions