Croisière mélancolique

Guy de Pourtalès dans son bureau parisien, au début des années 30. Sur la table, un portrait de son ex-amante Éliane de Loriol.
© Fonds Guy de Pourtalès/CRLR

Conjuguant travail de journaliste et passion amoureuse, Guy de Pourtalès parcourt l’Asie en 1930. Les trois carnets qui composent son Voyage en Extrême-Orient paraissent pour la première fois. Une édition pilotée par le Centre de recherches sur les lettres romandes (UNIL).

« Enfin ce canal de Suez qui sépare deux mondes. Au vestiaire Port-Saïd j’espère avoir laissé toute ma vieille défroque européenne, ma carapace de sensibilités et de manies. Ici, un homme neuf.» Cette entrée du Voyage en Extrême-Orient de Guy de Pourtalès date du 4 mars 1930. L’écrivain franco-suisse navigue alors vers l’Est pour retrouver son amante Eliane de Loriol à Ceylan. Il double – ou camoufle – cette expédition sentimentale d’un reportage pour le quotidien Excelsior et d’un livre qu’il a proposé à Flammarion.

Mais c’est vers la déroute amoureuse que vogue Guy de Pourtalès. En effet, la jeune femme a décidé de saborder sa liaison passionnée mais sans issue avec l’auteur (marié à Hélène, au courant d’une situation qui dure depuis des années) pour caboter sur les eaux tranquilles d’une union avec un Américain. Les retrouvailles des amants ont donc un goût amer.

Dépité – pour employer un euphémisme –, l’écrivain se met au travail.Connu, très bien reçu, il rencontre des personnalités, assiste à des spectacles, prend des photos et visite des sites. Il remplit ses carnets de notes, dans lesquelles l’attention qu’il porte aux belles personnes, hommes et femmes, revient comme un refrain.

Au fil de son parcours, Guy de Pourtalès se renseigne sur «l’affaire Malraux» auprès de plusieurs des protagonistes concernés. Il connaît personnellement l’écrivain français, accusé d’avoir dérobé des antiquités trouvées à Angkor, et donne différentes versions de cette aventure rocambolesque. En arrière-plan, l’auteur mentionne la situation politique, et indique que l’Europe pourrait perdre «ses colonies extrême-orientales avant dix ans». Enrichis d’un sérieux travail de documentation réalisé après son retour, ses carnets constituent la base d’une série d’articles parus fin 1930, puis de Nous, à qui rien n’appartient. Voyage au pays khmer, publié en 1931 et réédité par Infolio en novembre 2017– parallèlement au Voyage en Extrême Orient, resté par contre inédit. Ces deux publications, placées sous la responsabilité du Centre de recherches sur les lettres romandes (UNIL), bénéficient d’introductions et de notes bien utiles.

Que les cœurs sensibles se rassurent un peu. Très complices, Eliane de Loriol et Guy de Pourtalès vont continuer à s’écrire. Les ex-amants se sont même probablement revus au bord du Léman, près d’Etoy. Enfin, chacun d’eux va placer, chez lui, une photographie de l’autre bien en évidence.

Voyage en Extrême-Orient. Par Guy de Pourtalès. Infolio (2017), 180 p.
Nous, à qui rien n’appartient. Par Guy de Pourtalès. Infolio (2017), 318 p.

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