Compter sur les doigts jusqu’à… 9999

Voici comment les Anciens comptaient sur leurs doigts, selon la description précise qu’a faite Bède le Vénérable en 725. Le «3» ressemble au «9», la différence s’exprimant dans la position des phalanges. Dessins de Deyrmon
Voici comment les Anciens comptaient sur leurs doigts, selon la description précise qu’a faite Bède le Vénérable en 725. Le «3» ressemble au «9», la différence s’exprimant dans la position des phalanges. Dessins de Deyrmon

En utilisant nos deux mains, nous ne pouvons montrer que des nombres allant de un à dix. Les Anciens, eux, faisaient beaucoup mieux: poussant très loin l’art d’utiliser les phalanges, ils étaient capables de compter jusqu’à 9999. Cette «numération digitale» fait l’objet du dernier livre en date écrit par Alain Schärlig, professeur honoraire à l’UNIL, et Jérôme Gavin.

Les habitants de la Grèce antique faisaient usage de leurs doigts pour compter et cette méthode a perduré jusqu’à la Renaissance. Elle était «enseignée aux enfants et, à l’époque, tout le monde savait de quoi il s’agissait. On en trouve donc très peu de descriptions dans la littérature», constate Alain Schärlig.

La première présentation détaillée de la numération digitale est donc tardive. On la doit à Bède le Vénérable (vers 672-735), un moine anglo-saxon extrêmement instruit qui, le premier, a expliqué très précisément la position des doigts dans un ouvrage écrit en 725. «A la main gauche, précise le professeur honoraire de l’UNIL, on montrait les unités avec trois doigts (le medium, l’annulaire et l’auriculaire) et les dizaines avec le pouce et l’index. La main droite était réservée aux centaines et aux milliers.» Mais pour lire les nombres indiqués, il fallait être attentif et observer non seulement les doigts, mais aussi la position des phalanges (voir dessin).

Montrer, mais aussi calculer

Cette numération digitale permettait non seulement «de montrer les chiffres, mais aussi de calculer», souligne Alain Schärlig. Grâce à elle, il devenait possible de faire la somme «de nombres tellement grands qu’ils dépassent la possibilité d’une addition au moyen de cailloux».

Au tout début du XIIIe siècle, le mathématicien italien Léonard de Pise a exploité cette méthode pour multiplier entre eux des nombres pouvant contenir jusqu’à neuf chiffres. «Il avait élaboré un système de petites croix, la “crocetta”, pour multiplier d’abord les unités, puis les dizaines et les unités, et ainsi de suite. Il se servait de sa main gauche pour faire des retenues et de la droite pour écrire les chiffres trouvés, les uns après les autres, sans gaspiller du papier.» C’est ce qui fait dire aux auteurs que la numération digitale était «un entre-deux. Elle peut être considérée soit comme une amélioration du calcul mental, parce qu’elle permet de retenir les résultats intermédiaires sur les doigts, soit comme une facilitation du calcul écrit, parce qu’elle permet d’éviter l’écriture des retenues».

Les chiffres ont valeur de symboles

Si ce procédé de calcul est aujourd’hui tombé complètement dans l’oubli, «on en trouve de nombreuses traces dans les sculptures, les peintures et les icônes byzantines», souligne le mathématicien genevois. Voilà qui éclaire d’un jour nouveau les étranges positions des doigts des sujets représentés. Pour les Anciens, les chiffres avaient en effet une signification: «Le deux, premier nombre pair, était féminin et le trois, le premier des impairs, masculin. Quant au six, il était considéré comme le symbole de la perfection». C’est pour cette raison, explique Alain Schärlig, que «Saint-Augustin a écrit que Dieu a créé le monde en six jours, pour montrer que ce monde est parfait». Proposition qui ensuite a été retournée par l’Eglise, les chrétiens affirmant que c’est parce que Dieu a créé le monde en six jours que le chiffre six exprime la perfection.

Article principal: Le calcul a aussi son histoire

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