Qui a entendu parler de Gog et de Magog? Rassurez- vous, cher lecteur ou chère lectrice, vous êtes une très large majorité à hausser les sourcils. Vous comprendrez d’autant mieux la perplexité de Jacques Chirac qui a entendu, un jour de 2003, George W. Bush lui expliquer qu’il fallait intervenir militairement en Irak, parce que Gog et Magog y étaient à l’oeuvre.
Ne cherchez pas ces désaxés du mal parmi l’état-major de Saddam Hussein. Ils n’y ont jamais travaillé. Et pour cause: Gog et Magog sont les vedettes d’une obscure prophétie, que l’on doit à un certain Ezéchiel et qui figure dans l’Ancien Testament. Quand il livre ses convictions les plus intimes sur la politique proche-orientale, George W. Bush ne pense donc pas au pétrole ou à des bases susceptibles d’accueillir ses GI. Il ne parle ni d’économie ni de géostratégie. Il réagit comme un croyant qui attend que se réalise une prophétie biblique…
Si «Allez savoir!» a choisi d’évoquer ces ahurissantes confidences de W. à Jacques Chirac dans ce numéro, c’est parce qu’un chercheur de l’UNIL s’est trouvé impliqué dans l’affaire. Le professeur de théologie Thomas Römer a ainsi été appelé par l’Elysée, qui cherchait à éclaircir les références ésotériques du président des Etats-Unis. Jacques Chirac ayant pris sa retraite, le chercheur lausannois peut s’exprimer librement sur cet entretien, qui appartient désormais à l’histoire.
Outre l’intérêt qu’il y a à découvrir les coulisses de la politique internationale, cet extrait des échanges Bush-Chirac sur l’Irak doit encore attirer notre attention sur les conséquences problématiques de notre méconnaissance de plus en plus crasse en matière de culture chrétienne.
Car, comme Jacques Chirac, nombre d’Européens n’auraient pas su que répondre à la référence biblique invoquée par George W. Bush en 2003. Par inculture religieuse, mais aussi parce que nous sommes nombreux à croire, en Suisse romande comme dans la France voisine, si fière de sa laïcité, que le religieux a été définitivement chassé de la conduite des affaires des Etats démocratiques avancés.
Nous sommes aussi nombreux à imaginer que ce sentiment est désormais confiné à la sphère privée, où il peut s’exprimer sans (trop) faire couler de sang. Un espoir qu’il faudra relativiser très vite, sous peine de ne plus rien comprendre à la marche actuelle du monde.
Le 11 septembre nous avait rappelé que, dans le monde musulman, certains fanatiques sont prêts aux pires extrémités pour remettre leur Dieu au pouvoir. Et les références surréalistes de George W. Bush (c’est en page 34 de ce magazine) achèveront de vous convaincre, si besoin en était, qu’il existe aussi des chrétiens qui travaillent à remettre l’Eglise au milieu du village planétaire.
Le hic, c’est que la bonne réponse à ces nouveaux fous de dieu passe par un retour aux textes religieux. Histoire de rappeler aux uns que le Coran interdit notamment d’attaquer des non-combattants, les femmes et les enfants, et d’expliquer aux autres que l’Irak d’hier et que l’Iran demain ne sont pas cette Perse ennemie de Dieu dont parlait le prophète Ezéchiel, quand il imaginait la fin des temps, il y a plus de 2000 ans.
Davantage de paix dans le monde passe par cet effort d’explication. Le problème, c’est qu’il faut une excellente connaissance des Ecritures pour y parvenir. Un domaine qui n’est vraiment plus notre point fort. Et là, ce ne sont ni Gog, ni Magog, qui nous contrediront.
Jocelyn Rochat