Mille accidents pour chaque journée de sports d’hiver en Suisse! C’est le terrible bilan des dernières saisons de ski et de snowboard. Ces chiffres sont d’autant plus inquiétants que les spécialistes, notamment au CHUV, observent depuis peu une augmentation du nombre de traumatismes graves touchant les enfants et les adolescents.
«Certains sont passés à deux doigts de perdre l’usage de leurs jambes.» Les souvenirs de la dernière saison de ski du Dr Pierre-Yves Zambelli ne prêtent pas franchement à sourire. Médecin-chef de l’unité pédiatrique de chirurgie orthopédique et traumatologique du CHUV, il voit arriver l’hiver avec une certaine appréhension.
Tout comme son collègue Nicolas Lutz, responsable des urgences en traumatologie pédiatrique. Les deux spécialistes lausannois ont en effet observé durant l’hiver 2008-2009 une augmentation inquiétante des accidents graves impliquant des enfants. Un constat alarmant, malheureusement partagé par leurs confrères aux quatre coins de la Suisse.
Entre 12 et 16 ans, grisés par la vitesse, ils sont démolis à l’atterrissage
Principales victimes: les 12-16 ans. Mais les plus jeunes atterrissent aussi de plus en plus souvent à l’hôpital dans des états inquiétants. Des gamins et des ados se retrouvent avec la colonne vertébrale fracturée, le ligament du genou déchiré ou une hanche luxée, comme l’espoir du ski suisse Lara Gut.
Si la récente mésaventure de la jeune championne tessinoise fait partie des risques du métier lorsqu’on est une sportive d’élite, se déboîter la tête du fémur n’est plus l’apanage des professionnels. Des skieurs du dimanche subissent désormais aussi des traumatismes de cette gravité.
«Se blesser de la sorte nécessite une énergie extrêmement violente, rappelle Pierre-Yves Zambelli. Il faut dévaler les pentes entre 70 et 100 km/heure. Et imaginez-vous bien qu’à 40 ou 50 km/h, on va déjà vite!»
La vitesse: le coupable semble tout désigné. Les skis carving qui ont envahi les stations, plus stables, plus flexibles, permettent aux novices de s’offrir d’entrée de jeu de belles mais hasardeuses accélérations. Toutefois, quand on y regarde de plus près, l’augmentation des ravages parmi les jeunes amateurs de glisse touche autant les skieurs que les snowboarders.
Sans préparation, ils tentent des sauts de 10 mètres au snowpark
Les snowparks semblent en effet faire autant de dégâts que les pistes balisées. Si les larges «boulevards» favorisent effectivement les prises de vitesse incontrôlées, les half-pipe (demi-tubes) qui permettent d’effectuer toutes sortes de figures acrobatiques représentent autant de zones à risque.
Sans parler du fait qu’ils sont de plus en plus souvent assortis de véritables tremplins, permettant de sauter jusqu’à dix mètres de haut. De quoi attirer des amateurs de sensations fortes parfois justement un peu trop… amateurs. Et lorsque la maîtrise fait défaut, la gamelle peut faire des ravages.
Le problème, c’est que la tendance au «toujours plus vite, toujours plus haut» s’impose de plus en plus parmi ceux qui pratiquent les sports de neige. C’est en tout cas ce que dénoncent les deux spécialistes du CHUV qui, eux, interviennent pour réparer les «pots cassés».
Parents: apprenez à freiner les petits plutôt qu’à les motiver!
«Chez les ados, on observe plus de lésions ligamentaires et de traumatismes de la colonne vertébrale. Chez les moins de dix ans, ce sont plutôt des fractures, question de poids et de morphologie», précise Nicolas Lutz. Le spécialiste lausannois met encore les parents en garde: «Avant 8-10 ans, un enfant n’a ni les capacités intellectuelles ni les capacités physiques pour gérer la vitesse. Il ne s’en rend pas compte! La notion de collision n’existe pas pour lui. Et lorsqu’il fatigue – ce qui arrive assez rapidement à ski! – il perd le contrôle de sa musculature. Il faut le ménager, non pas le pousser. Or les parents ont aujourd’hui tendance à s’identifier à leur progéniture, ils veulent en faire des champions et développent une sorte de compétition intrafamiliale qui peut s’avérer dangereuse.»
Les dangers de l’effet de groupe et des jeux vidéo
Si les adultes qui ont la responsabilité d’enfants n’ont pas toujours conscience des risques, inutile de dire que les ados non plus. Plus solides que les petits, ils engagent aussi plus d’énergie en skiant ou en surfant, ce qui les rend plus vulnérables aux traumatismes graves.
Quand ils dévalent les pentes entre copains, c’est l’envie d’impressionner les autres qui les motive, bien plus que celle de rentrer en un seul morceau. Un «effet de groupe» amplifié par l’environnement dans lequel ils baignent.
C’est l’avis que se sont forgé Nicolas Lutz et Pierre-Yves Zambelli en écoutant leurs patients. Des jeunes avec le dos ou les jambes en compote leur ont expliqué qu’ils voulaient juste imiter les pros vus à la télé ou qu’ils cherchaient à reproduire un saut périlleux arrière découvert sur leur jeu vidéo favori… «Le sport extrême glisse vers le sport de tous les jours, et le marketing, à coup de belles images, laisse croire que n’importe qui est capable de skier, de sauter comme les stars du freestyle», se désolent les deux médecins du CHUV.
Avec des protections, ils se sentent invulnérables
Bien sûr, pour se protéger, on peut dévaliser les magasins spécialisés qui proposent des rayons entiers de protections en tous genres. Mais celles-ci semblent de peu d’utilité face à l’aggravation des blessures chez les jeunes. Ce serait presque le contraire, à en croire Nicolas Lutz et Pierre-Yves Zambelli: «Le casque est certainement une protection efficace contre les traumas crâniens, les blessures qui tuent sur les pistes de ski. Il faut vraiment le préconiser. Mais globalement, porter des protections donne aux jeunes un sentiment d’invulnérabilité qui peut les pousser à prendre encore davantage de risques.»
Les coques de protections dorsales, façon carapace, laissent, elles, les médecins perplexes. Malgré un prix élevé, leur efficacité n’a jamais été réellement démontrée pour les skieurs. D’autant plus qu’en ne maintenant que la partie centrale du dos, elles laissent la nuque et les dernières vertèbres encore plus vulnérables en cas de choc.
Fracture à 14 ans, arthrose garantie dix ans plus tard
Lorsque des os cassent, les conséquences se paient en mois, parfois en année. Après l’hospitalisation, les blessures graves nécessitent une immobilisation d’au minimum trois mois. Les lésions au niveau des articulations réservent, par exemple, de très mauvaises surprises. En d’autres termes, un ado qui se démolit un genou à 14 ans risque d’en faire les frais dix ou quinze ans plus tard, avec l’apparition d’une arthrose dite posttraumatique. «Ce sont des gens qui vont souffrir, prévient Pierre-Yves Zambelli. Parfois au point de ne même plus pouvoir s’agenouiller. Et qui devront, même s’ils sont encore jeunes, limiter leurs activités physiques.»
Peu de télescopages, beaucoup de genoux et d’épaules abîmés
Si les jeunes skieurs et snowboardeurs sont de plus en plus victimes d’accidents graves, cette tendance inquiétante ne concerne pas les adultes. Toutefois, ces derniers sont loin d’être épargnés. Petits bobos ou blessures plus sérieuses, le Bureau de prévention des accidents dénombre près de 1000 accidents par jour durant la saison d’hiver! Et la tendance est à la hausse, comme le confirme le Dr Gérald Gremion, responsable de la médecine du sport au CHUV.
Si les pistes sont souvent noires de monde, les collisions restent peu nombreuses. Moins de 10% des accidents sont dus à un télescopage. C’est dire que la plupart des victimes se blessent suite à des chutes individuelles. Et le gros de la «casse» se concentre sur les genoux et les épaules, deux zones devenues encore plus vulnérables depuis l’arrivée en masse des skis carvés. «Ils sont plus courts, on a donc moins d’équilibre», note Gérald Gremion. D’où les nombreuses chutes avec leur lot de blessures aux épaules. Des épaules également mises à rude épreuve en snowboard.
Avec des carving, on peut se déchirer le genou sans tomber!
Le genou, quant à lui, conserve la palme des parties du corps les plus souvent esquintées à la montagne. Avant, l’ennemi numéro un se résumait à des fixations mal réglées. Le ski ne se détachait pas assez tôt lors d’une chute et c’était le crash. Avec l’arrivée des carving – moins techniques mais plus physiques – le genou du skieur est encore plus fragilisé.
«Imaginez une personne qui exécute deux fois le même virage, une fois avec des carving et une fois avec des anciens skis: la pression au niveau du genou sera trente fois supérieure avec les premiers qu’avec les seconds, explique Gérald Gremion. Ce que l’on découvre en consultation, aujourd’hui, c’est que les skieurs n’ont même plus besoin de tomber pour se blesser. Le simple fait de se redresser après une perte d’équilibre suffit à provoquer une déchirure ligamentaire, la blessure qui entraîne le plus d’arrêts de travail.»
Alors, pour mettre toutes les chances de son côté cet hiver, mieux vaut se fier aux conseils des pros: bien régler ses fixations (selon son poids, sa taille et sa façon de skier), bien s’échauffer avant de s’élancer sur les pentes enneigées, adapter sa vitesse à son niveau ainsi qu’à la piste, éviter les sauts pour épater la galerie et mettre un casque!
Geneviève Comby