2009, l’année de toutes les excuses

2009

Cette année, Hans-Rudolf Merz a «présenté ses excuses au peuple lybien » et Barack Obama, le champion du genre, a admis qu’il avait « foiré »… S’il y a un point commun sur lequel tous, sportifs, chefs d’Etat ou hommes d’affaires se sont mis d’accord, c’est bien la nécessité de battre sa coulpe en public. Que signifie cette mode? La réponse de experts de l’UNIL.

«J’ai foiré», «Je suis désolé», «Je tiens à dire que c’était une erreur», «Je vous présente mes excuses», «Pardon»… La grande mode, c’est désormais de battre publiquement sa coulpe. Bien sûr, ce n’est pas une invention de 2009. Mais la tendance s’est clairement renforcée cette année, notamment en Occident.

Des acteurs de premier plan, comme le président Hans-Rudolf Merz, ou son homologue états-unien Barack Obama, le champion du genre, ont rivalisé de formules visant à dédramatiser un événement ou une déclaration problématique.

Il y a excuse et excuse

Si les médias et les citoyens interprètent sans distinction comme des excuses tout ce qui y ressemble, un retour plus précis sur les propos prononcés n’est pas inutile. Maître assistant en linguistique française à l’UNIL, Raphaël Micheli relève que présenter des excuses, «c’est d’abord exprimer un sentiment par rapport à quelque chose: on se sent désolé, et on le dit publiquement». Mais cette première prise de parole ne revient pas encore à regretter la faute, ni à demander pardon.

Il y a donc trois éléments dans les excuses qui vont parfois de pair, mais qui peuvent aussi être dissociés. «Les «excuses» de Zidane après son coup de tête à Materazzi, en finale de la Coupe du monde de football 2006, sont, de ce point de vue, très intéressantes: le Français dit être désolé, notamment parce qu’il a montré un mauvais exemple aux enfants qui le prennent pour modèle», se souvient Raphaël Micheli.

Mais il dit aussi ne pas regretter ce geste, «parce que son adversaire le méritait, et parce que ne pas riposter à ce moment aurait conforté l’Italien dans l’idée que les insultes qu’il proférait à l’encontre de sa sœur étaient fondées». On voit bien ici qu’il peut y avoir une tension entre la nécessaire admission de la faute aux yeux d’un public et le refus du regret, allant même jusqu’à une tentative de justification.

Je ne m’excuse pas, je demande pardon. Nuance!

Dernière dimension, la demande explicite de pardon. «On passe là à quelque chose de différent: tant qu’il s’agit d’exprimer une émotion ou d’assumer une responsabilité, seul celui qui parle, le locuteur, semble concerné. Avec la demande de pardon, l’allocutaire, celui à qui on s’adresse, est impliqué aussi: il peut en effet soit accepter, soit refuser. Dans un tel cas, le locuteur se place, si l’on peut dire, en dépendance de l’allocutaire.»

Ce qui montre bien le danger auquel s’expose celui qui s’excuse: il se met en position de faiblesse. «L’honneur est en jeu, confirme le linguiste. On le voit bien dans le champ lexical utilisé dans ce contexte: on peut dire de quelqu’un qui s’excuse qu’il se met à genoux devant untel, qu’il courbe l’échine, qu’il lui lèche les bottes. S’excuser, c’est se placer en situation d’infériorité et éventuellement porter atteinte à ce que Goffmann, sociologue de l’interaction, appelle la «face positive» des individus.»

La chose est encore plus délicate dans les civilisations qui ne se rattachent pas au christianisme. «On dit «faute avouée à demi pardonnée»: l’aveu est positif en Occident, du moins le plus souvent, analyse Jean-Claude Usunier, qui est professeur de management à la Faculté des HEC de l’UNIL, où il enseigne notamment la négociation internationale d’affaires. L’aveu correspond à confesser sa culpabilité («guilt», en anglais, ndlr.) pour rechercher le pardon d’autrui. Mais en Orient, le fait de confesser sa culpabilité correspond plutôt à perdre la face vis-à-vis d’autrui, et le sentiment qui en découle est la honte (shame).»

En affaires, reconnaître une faute se paie parfois cash

Celui qui reconnaît une erreur dans ce contexte ne doit donc pas s’attendre à être pardonné, mais plutôt puni, condamné. «En Asie, de façon générale, on tente de sauver la face; on évite donc de reconnaître la faute», poursuit Jean-Claude Usunier. Une attitude que l’on pratique aussi dans les négociations d’affaires: admettre une erreur, c’est offrir à l’autre partie l’occasion d’en tirer profit, bref risquer de signer un contrat déséquilibré.

La question d’une contrepartie financière ne se limite d’ailleurs pas au monde des affaires. Une petite fraction de Noirs américains demande par exemple un dédommagement pour les torts subis durant toute la période qui a précédé l’abolition de l’esclavage. S’excuser auprès de minorités oppressées, de victimes, de pays envahis ou colonisés peut coûter cher, et c’est parfois ce qui retient certains politiciens d’aller plus loin dans la démarche.

Quand le président Chirac s’excuse pour la nation

La question des excuses nationales pose encore d’autres problèmes. On pense ici à celles prononcées le 7 mai 1995 par le président suisse Kaspar Villiger, pour le tampon «J» apposé sur les passeports des Juifs durant la Deuxième Guerre mondiale. Ou à celles que Jacques Chirac a prononcées en 1995, pour reconnaître la responsabilité du régime de Vichy dans la déportation des Juifs français entre 1942 et 1944. Ou à celles que le premier ministre australien Kevin Rudd a adressées aux aborigènes en 2008, notamment pour le rapt de leurs enfants entre 1910 et 1970.

Faire un geste qui comptera pour les générations suivantes

Quel sens faut-il donner à des déclarations de ce genre qui interviennent longtemps après le décès des victimes directes? «Quand un chef d’Etat s’excuse, il peut le faire à titre personnel, pour une bourde qu’il a commise dans l’exercice de ses fonctions, ou au nom de la Nation, que d’une certaine façon il incarne, comme il incarne la continuité des institutions. Dans ce deuxième cas, sa responsabilité personnelle n’est le plus souvent pas engagée, mais ça n’est en fin de compte pas vraiment relevant, puisque c’est d’une responsabilité collective, celle d’un Etat ou d’une Nation, qu’il s’agit», distingue Nicolas Bancel, maître d’enseignement et de recherche à l’Université de Lausanne (UNIL).

L’historien relève que, dans bien des cas, qu’il s’agisse de l’esclavage, de la colonisation ou de la Shoah, la mémoire de la souffrance endurée est transmise aux générations suivantes. Pour elles, les excuses peuvent avoir un sens.

S’excuser pour l’Histoire

«Mais les excuses ont aussi une fonction dans le récit national», poursuit Nicolas Bancel. Les Français ont en effet longtemps vécu dans le mythe que les résistants étaient largement majoritaires durant la Seconde Guerre mondiale, et les Pétainistes minoritaires – et ce même si la communauté des historiens a montré depuis longtemps qu’il n’en était rien. «Les propos de Jacques Chirac ont permis de tourner le dos à ces mythes et d’ouvrir la porte à un autre «récit national», intégrant certaines des «pages sombres» de l’Histoire, qui le rapproche de l’histoire narrée par les historiens», souligne Nicolas Bancel.

Avec Sarkozy et Berlusconi, les excuses deviennent une monnaie d’échange

Personne n’est dupe: les excuses sont aussi une monnaie d’échange et de pression dans les relations internationales, qui prennent la forme d’un: «Tu me donnes les regrets que mon peuple blessé attend pour le comportement de ton pays dans le passé, et je te donne accès à mon pétrole, mon marché, ou j’appuie les tractations diplomatiques que tu conduis avec tel de mes alliés.»

C’est ainsi qu’il faut lire les propos de Nicolas Sarkozy quand il dit que «le système colonial a été profondément injuste»: au moment où il a prononcé ces mots, il cherchait à créer son «Union méditerranéenne», et il avait besoin pour ce faire de l’appui de l’Algérie. Que ces mots aient été prononcés quelque temps après un discours à Dakar, en juillet 2007, remarqué pour son ton colonial et paternaliste, ne choque au fond pas grand monde: Nicolas Sarkozy est pragmatique, il adapte son discours à ses besoins plus qu’à des valeurs immuables.

«Le cas des excuses de Silvio Berlusconi à la Libye, à la fin août 2008, est du même ordre: elles visent à permettre à l’Italie de renforcer ses positions commerciales et son influence diplomatique dans ce pays et la région», renchérit Nicolas Bancel.

Mais quelles qu’en soient les motivations, ces excuses «historiques» peuvent être utiles, notamment quand des individus ont migré des anciennes colonies vers la métropole: inscrire ce passé dans le récit national, le reconnaître, peut permettre aux jeunes nés en France de donner un sens à leur propre trajectoire, qui sans cela en est dépourvue.

Trouver les mots justes pour évoquer l’horreur

Si présenter des excuses à titre collectif peut s’avérer profitable, reste encore à savoir comment les formuler. Face, par exemple, à des millions de Juifs exterminés, dire «je suis désolé» semble un peu dérisoire – on n’a pas vraiment le sentiment que les mots font le poids.

«Dans ce type de situation, les orateurs utilisent souvent en introduction une formule qui relève cela, en soulignant la disproportion entre ce que les victimes ont vécu et le faible pouvoir des mots qu’ils s’apprêtent à prononcer, souligne Raphaël Micheli. Ils parlent plus volontiers après ces précautions oratoires de leurs sentiments, de leurs regrets, plutôt que de demander pardon, comme si ce serait trop demander.»

Invitée à parler devant la Knesset, la chancelière allemande Angela Merkel a adopté cette solution: «Nous autres, Allemands, la Shoah nous emplit de honte. Je m’incline devant ses victimes, ses survivants et ceux qui les ont aidés à survivre», a-t-elle simplement dit.

S’excuser, c’est prendre un risque

Le plus grand risque dans la démarche des excuses, que l’on soit politicien ou sportif, est bien sûr l’atteinte à l’image: «Elle est très difficile à prédire, souligne Raphaël Micheli. Parfois, les excuses sont très bien reçues et celui qui les a prononcées en sort grandi, parfois il en sort écorché. Les changements de stratégie de Bill Clin-ton durant l’affaire Lewinsky sont assez parlants à cet égard: il a commencé par adopter une posture très peu contrite, très «je suis un homme d’Etat fort, je ne vais pas me rabaisser», ce qui a mal passé dans l’opinion publique. Il a donc glissé progressivement vers un: «Je suis profondément désolé pour ce que j’ai fait de mal», pour finir par un: «J’ai demandé à toutes les personnes concernées qu’elles me pardonnent.»

Champion des excuses, Barack Obama en sort grandi

Comment expliquer alors que malgré cette incertitude quant au résultat médiatique, le trend des excuses publiques aille en s’amplifiant? Si Bill Clinton a marqué les esprits avec son attitude dans l’affaire de la stagiaire de la Maison-Blanche, Barack Obama s’est, en quelques mois, excusé davantage que tous ses prédécesseurs. Vat-il écorner son excellente image? «Non, il s’inscrit dans une évolution qui a commencé il y a quelques années, explique Raphaël Micheli. Les électeurs et l’opinion ont longtemps attendu d’un chef d’Etat qu’il soit un roc infaillible, un être parfait au-dessus de la mêlée et du commun. Aujourd’hui, on est plus proche d’une identification: on veut pouvoir se reconnaître dans le président, on veut que, comme nous, il puisse se tromper et qu’il doive lui aussi s’excuser, comme tout le monde.»

Sonia Arnal

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