Après Indiana Jones, c’est le professeur de l’UNIL Thomas Römer qui se lance à la poursuite de la précieuse relique, qui fascine les foules depuis des millénaires. Le bibliste a même deviné quel trésor a été dissimulé à l’intérieur de l’arche.
Le prophète Jérémie a bien tenté de dissuader les croyants de rechercher l’arche perdue. Mais cette «jérémiade» n’a pas été entendue, si l’on en juge par la passion que suscite toujours cette chasse au trésor biblique. Certains l’ont cherchée en Ethiopie, au prétexte que le roi Salomon aurait eu une liaison avec la reine de Saba. D’autres ont inspecté les moindres recoins de la cathédrale de Chartres, en France, parce qu’on y trouve une inscription qui assure: «L’Arche de l’alliance, ici elle est perdue», et parce qu’on a soupçonné les Templiers d’avoir dissimulé la précieuse relique dans cette enceinte. Et, bien sûr, Indiana Jones et les Nazis sont partis à sa recherche dans le célèbre film de Steven Spielberg. La Bible elle-même spécule à ce sujet, comme le montrent les travaux du professeur à l’UNIL Thomas Römer, qui donne actuellement un cours à ce sujet au Collège de France.
Noé est hors de cause
Eliminons tout de suite cette confusion possible. La légendaire Arche de Noé, le bateau cubique qui a permis de sauver d’innombrables couples d’animaux du Déluge, n’a rien à voir avec l’Arche de l’alliance. Certes, les deux arches ont été popularisées par des récits bibliques, mais l’Arche de l’alliance n’apparaît que longtemps après l’Arche de Noé, lors du périple de Moïse. Et elle est surtout célèbre pour avoir servi à transporter les Tables de la loi vers la Terre promise, et pour avoir pulvérisé les murailles de Jéricho.
Cependant, la confusion n’est possible qu’en français ou en anglais. «Alors que l’hébreu utilise deux termes différents pour évoquer l’Arche de Noé et l’Arche de l’alliance, les traducteurs latins ont opté dans les deux cas pour le mot arca, qui signifie “boîte, coffre mais aussi cercueil”, ce qui explique que l’on ait fini par parler d’une “arche” dans les deux cas», explique le philologue et bibliste Thomas Römer.
Cet objet mythique, qui est cité près de deux cents fois dans la Bible, n’est donc pas un bateau. Reste à savoir ce que cette arche-coffre contenait exactement, car les indices donnés à ce sujet varient énormément, de même que les indications sur sa destinée. «S’il y a tellement de fascination autour de cette arche, c’est parce que beaucoup des questions qui sont posées par le récit biblique restent ouvertes», estime le chercheur. Parmi les problèmes en suspens: l’origine de l’arche, son contenu, sa décoration, ses pouvoirs et sa disparition. Autant dire, presque tout ce qui a trait à ce coffre reste mystérieux. Et cela, dès sa construction.
Au commencement était Moïse
Quand on lit la Bible de manière chronologique, l’arche apparaît pour la première fois lors du périple de Moïse dans le désert, après sa fuite d’Egypte. L’affaire se complique d’entrée, puisque Moïse ne fait pas construire une, mais deux arches, dont les décorations, le nom et le contenu varient de manière fondamentale.
Dans les deux cas, il faut imaginer un sanctuaire mobile, une sorte de maison portable construite sur ordre de Yahvé, pour porter la Divinité devant le peuple en marche dans le désert, avant de traverser le Jourdain et de conquérir la Terre promise. Mais, quand le livre du Deutéronome (chapitres 9-10) décrit un simple coffre en bois, contenant les Tables de la loi, celui de L’Exode donne une description bien plus luxueuse de ce coffre qui serait couvert d’or pur et protégé par des chérubins (n’imaginez pas de petits anges grassouillets, c’étaient des génies protecteurs, des créatures dangereuses et menaçantes). «La description de l’arche en or avec les chérubins reflète sans doute une tradition beaucoup plus tardive. Dans un premier temps, l’arche a probablement été quelque chose de très simple, qui devait accompagner Moïse dans le désert, et qui n’avait pas encore de connotation guerrière, mais plutôt une fonction de guide», estime Thomas Römer.
Josué et l’arche du massacre à Jéricho
Très vite, le rôle de l’arche évolue. Après avoir été un sanctuaire mobile, ce coffre devient «le symbole de la présence guerrière de Yahvé, une sorte de maison portable où la Divinité réside, et d’où elle peut jaillir au moment du combat», note Thomas Römer. Moïse en parle le premier, dans le Livre des Nombres au chapitre 10: «Quand l’arche partait, Moïse disait: “Lève-toi, Yahvé, et que tes ennemis soient dispersés! Que ceux qui te détestent prennent la fuite devant toi!”» Et quand l’arche revenait, il disait: «Reviens Yahvé, vers les multitudes d’Israël».
Mais cette arche de guerre a surtout frappé les esprits dans le Livre de Josué (3-4) à cause des exploits surnaturels qui lui sont attribués. Josué est le personnage principal du livre qui porte son nom, et qui raconte la conquête du pays de Canaan par les Israélites. «Dans ce récit qui témoigne d’une cruauté hors du commun, avec des commandements divins exigeant l’extermination des populations locales, l’arche est notamment portée autour des murs de la ville de Jéricho, qui résiste durant six jours, avant de s’effondrer le septième jour, au son du cor.» C’est le début d’une scène de massacre inouïe, où tout le monde, les hommes et les femmes, les jeunes et les vieux, et même les taureaux, les moutons et les ânes, sont passés «au tranchant de l’épée».
Heureusement, cet épisode choquant «n’est étayé par aucune découverte archéologique. La première version du Livre de Josué a été rédigée au VIIe siècle avant l’ère chrétienne, au moment où le royaume de Juda est menacé par l’empire assyrien, qui faisait preuve d’une violence extrême. Il faut donc voir ces récits de conquête comme une contre-histoire, destinée à montrer que le dieu d’Israël était plus puissant que les divinités d’Assyrie. Quand on fait l’archéologie de ce récit, on découvre que, dans les versions les plus anciennes, l’arche n’est pas mentionnée, et c’est le peuple qui tourne tout seul autour de la ville», note le chercheur.
Le prêtre Eli à Silo
Après la bataille de Jéricho, l’arche est entreposée à Silo, sans que la Bible ne fasse aucun commentaire. Sans doute parce que ce lieu de culte a été plus important pour le peuple d’Israël que les rédacteurs des textes bibliques n’ont eu envie de l’admettre.
Durant la période des Juges, le coffre tout-puissant est encore emmené sur-le-champ de bataille à plusieurs reprises, avec des fortunes diverses, comme le raconte un texte appelé «Le récit de l’arche». On apprend ainsi en 1 Samuel 4-6, qu’après une première défaite face aux Philistins, le grand prêtre Eli envoie l’arche au secours des combattants. Sans succès, puisque les Philistins sont encore vainqueurs. Eli, qui apprend la nouvelle de la mort de ses deux fils sur le champ de bataille et la capture de l’arche par l’ennemi, ne survit pas à cette annonce. Pour le coffre, c’est l’heure de l’exil, puisque les Philistins l’emportent dans leur pays et le placent dans le temple de leur dieu, appelé Dagon. «La pratique est attestée à l’époque, également chez les Assyriens et les Babyloniens, commente Thomas Römer. Les vainqueurs avaient l’habitude de s’emparer des statues des divinités des vaincus pour les placer dans leurs temples, afin que les dieux battus fassent allégeance aux dieux vainqueurs.»
L’arche, qui se trouve en mauvaise posture, va trouver le moyen de revenir toute seule. Deux fois de suite, nous dit la Bible, les Philistins retrouvent la statue de leur dieu Dagon sur le sol de son temple, en pièces, alors que l’arche de Yahvé est intacte, à côté de lui. «L’arche frappe encore les Philistins avec des maladies très désagréables, des tumeurs ou des hémorroïdes, à tel point qu’ils finissent par la renvoyer vers la frontière.» Dès lors, l’arche est entreposée sur un autre site, à Qiryath-Yearim, où elle va rester vingt ans, dit la Bible, mais plus probablement deux cents ans, selon Thomas Römer, qui a débuté une campagne de fouilles archéologiques sur ce site l’été dernier, en collaboration avec le célèbre archéologue et docteur honoris causa de l’UNIL Israël Finkelstein.
«Ce récit en 1 Samuel est important, parce qu’il peut suggérer qu’il y avait une divinité dans l’arche, analyse Thomas Römer. La Bible est souvent mystérieuse quand elle évoque le contenu du précieux coffre. Parfois, les textes bibliques vont jusqu’à dire qu’il n’y aurait rien d’autre dans l’arche que les Tables de la Loi, ce qui signifie qu’on veut camoufler un autre contenu», analyse le chercheur.
Ce «récit de l’arche» a été inséré en 1 Samuel, mais il n’a aucun lien avec le célèbre personnage de la Bible, qui marque la transition entre l’époque des Juges et celles des Rois. Ce prophète, qui officiait au sanctuaire de Silo, est en effet présenté comme le dernier des Juges, celui qui va consacrer Saül comme le premier roi d’Israël. Pourtant, alors que l’épisode de l’arche est narré dans son livre, la Bible ne fait aucun lien entre le coffre à mystères et Samuel. Le texte reflète «probablement une tradition ancienne, liée au sanctuaire de Silo, qui est peut-être à l’origine de toute l’histoire», estime Thomas Römer.
David et l’arche fertile
La saga de l’arche se poursuit sous le règne du roi David, avec un épisode énigmatique. Devenu roi, le célèbre frondeur va chercher l’arche à Qiryath-Yearim, pour l’amener à Jérusalem, où il danse nu devant l’artefact, ce qui permet d’imaginer que le coffre à mystères a pu jouer, à ce moment, un rôle dans un culte de fertilité. La crédibilité de l’épisode est accentuée par plusieurs citations bibliques, notamment en Exode 28, 42-43, où l’on demande aux prêtres de ne pas apparaître nus devant la divinité. «Or, quand on cherche à interdire quelque chose, c’est que ça a été fait», relève Thomas Römer.
Après David, c’est le roi Salomon, son successeur, qui va donner un rôle inédit à l’arche, qui devient le trône de Yahvé. L’arche est alors placée dans le temple de la divinité, à Jérusalem. Elle se trouve dans le saint des saints, sous les ailes des chérubins, qui ont été décrits dans une des variantes de la construction de l’arche à l’époque de Moïse. «Et, une fois que l’arche est dans le temple, les informations se font rares», note Thomas Römer.
La Bible ne donne pas d’information sur le sort de l’arche, après la destruction de Jérusalem et du temple par les Babyloniens en 587 avant J.-C. On apprend juste en 2 Rois 25 que «les ustensiles» du temple ont été emportés par les vainqueurs. Le célèbre coffre faisait-il partie du butin transféré à Babylone? «Si vous voulez retrouver l’arche, c’est une piste que vous devriez considérer sérieusement», sourit Thomas Römer.
Les deux fins de l’arche
Les textes bibliques proposent deux scénarios pour expliquer la disparition de l’arche. Jérémie 3, 16 semble prendre acte de son départ pour Babylone: «Lorsque vous vous multiplierez et que vous deviendrez féconds dans le pays, en ces jours-là, l’oracle de Yahvé, on ne parlera plus de l’Arche de l’alliance de Yahvé; on ne s’en souviendra plus, on ne remarquera plus son absence, et on n’en fera pas d’autre».
Pourtant, en 2 Macchabées 2, 4-8, la Bible laisse entendre que l’arche a été cachée par le même prophète Jérémie dans la montagne de Moïse. «Arrivé là, Jérémie trouva une habitation en forme de grotte, y introduisit la tente, l’arche et l’autel de parfums, après quoi il en obstrua l’entrée.»
Comme dans le scénario proposé en Jérémie 3, le prophète tient à ce que l’arche ne soit ni récupérée ni refaite. «Il faut se demander pourquoi un symbole de cette importance perd soudain de son attrait», note le chercheur de l’UNIL qui propose de relire toute cette histoire d’un autre œil, avec la perspective du roi Josias.
Josias, celui qui a réécrit l’Histoire
Ce souverain peu connu (sauf des lecteurs d’Allez savoir! 48, de septembre 2010) est doublement important dans l’histoire de l’arche, et, plus largement, dans celle de l’Ancien Testament. C’est en effet sous son règne que les traditions bibliques, qui se transmettaient par oral jusque-là, ont été mises par écrit. Et c’est sous son règne que se produit une réforme religieuse visant à interdire de représenter Yahvé sous forme de statues, probablement des bovins.
De là à imaginer que Josias se voyait et se présentait comme un nouveau Moïse, luttant contre les veaux d’or, mais encore comme un nouveau David, en faisant entrer l’arche de Silo dans le temple de Yahvé à Jérusalem, il n’y a qu’un pas que Thomas Römer franchit volontiers. «Il y a un texte très bizarre, dans les Chroniques (2 Chroniques 35,3), où on comprend que, sous le règne de Josias, le roi ordonne aux Lévites de cesser de porter l’arche pour la placer dans le temple de Salomon.» Cela serait évidemment impossible, si Salomon avait transformé l’arche en trône de Yahvé dans les siècles précédents.
«On peut imaginer que Josias ait récupéré l’arche à Qiryath Yearim dans le territoire de Benjamin, et qu’il l’a fait venir à Jérusalem, en demandant à ses scribes de réécrire le Deutéronome», esquisse le professeur de l’UNIL. Ce scénario expliquerait que l’on trouve des descriptions très différentes de la construction de l’arche à l’époque de Moïse, notamment celle en or recouverte de chérubins, qui est clairement anachronique. L’influence de Josias explique encore l’embarras des rédacteurs de la Bible au moment de décrire l’arche des origines, qui a probablement été un coffre contenant une statue de Yahvé, ce qui est clairement prohibé après la réforme religieuse du petit roi.
Voilà des hypothèses, parfois spéculatives qui, à défaut d’épuiser le mythe, proposent des réponses à de nombreuses questions posées par les textes. Selon cette relecture savante de la Bible, l’arche était donc à l’origine un coffre contenant une statue de Yahvé, probablement sous la forme d’un bovidé. Il était peut-être accompagné d’une représentation de sa parèdre, Ashéra (lire Allez savoir! 58, septembre 2014). Une telle statue de Yahvé aurait pu être emmenée dans le temple de leur dieu par les Philistins.
Et quand il fut interdit de représenter Yahvé, cette arche devint embarrassante, ce qui explique que les textes en parlent moins, qu’ils prétendent qu’elle ne contient que des Tables de la loi, qu’elle soit transformée en trône et dissimulée aux regards dans le saint des saints. Cela explique enfin le peu d’intérêt qu’il y aurait à la retrouver ou à la reconstruire. Cette conclusion est certes moins spectaculaire que les aventures d’Indiana Jones, mais probablement plus conforme à la réalité historique et religieuse de ce mythe.