La moitié des maladies infectieuses sont d’origine animale

Des chauves-souris à l’humain, en passant probablement par le pangolin: le coronavirus qui est apparu il y a environ un an est un nouvel exemple de ces infections qui nous sont transmises par les animaux. Ces zoonoses sont aussi vieilles que l’humanité, mais elles sont désormais de plus en plus nombreuses à émerger.

Pangolin. Ce mammifère menacé, contaminé par le virus provenant d’une chauve-souris, est suspecté d’avoir été le vecteur de la Covid-19. © 2630ben / iStock by Getty

Repéré en Chine à la fin de 2019, le coronavirus SRAS-CoV-2 s’est rapidement répandu à la surface de la planète, provoquant les dégâts sanitaires et économiques que l’on sait. Pour tragique qu’elle soit, la situation n’est pas nouvelle. Régulièrement, des virus, bactéries ou parasites hébergés par des animaux franchissent la barrière des espèces et contaminent des êtres humains, provoquant ce que l’on nomme des zoonoses. On estime d’ailleurs que «la moitié des maladies infectieuses sont d’origine animale», précise le professeur Gilbert Greub, directeur de l’Institut de microbiologie de l’UNIL et chef du service de microbiologie médicale du CHUV.

De l’animal à l’humain

La transmission du microbe entre les espèces animales et humaines peut emprunter diverses voies. Dans certains cas, un individu (ou plusieurs) est contaminé directement après avoir été exposé à un «réservoir». On nomme ainsi les animaux qui hébergent des agents pathogènes sans être malades pour autant. «Les principaux sont les rats et les chauve-souris, qui ont de solides défenses immunitaires, ainsi que les primates, qui sont nos proches cousins. Mais il peut s’agir aussi de chats, de chiens, de moutons, de chèvres, de poulets, etc.», précise Gilbert Greub. 

Entre le réservoir et nous, un «vecteur» peut servir d’hôte intermédiaire. Ce rôle est très souvent joué par les moustiques et les tiques, mais il peut être tenu par un autre animal. Dans le cas de la Covid-19, on soupçonne fortement le pangolin, contaminé par le virus provenant d’une chauve-souris, d’avoir été le vecteur de la maladie.

Un même animal, plusieurs bactéries

Gilbert Greub. Directeur de l’Institut de microbiologie de l’UNIL et chef du service de microbiologie médicale du CHUV. Nicole Chuard © UNIL

La contamination elle-même peut se faire par piqûre, lorsqu’il s’agit d’un moustique, par morsure, par griffure ou par exposition à l’urine ou aux selles du réservoir ou du vecteur. «Un chat peut ainsi transmettre la bactérie Pasteurella multocida en mordant, le bacille Bartonella henselae en griffant et par le truchement de ses puces, ou le parasite Toxoplasma gondii (responsable de la toxoplasmose) par ses excréments, indique le professeur. Ce qui montre qu’un même animal peut transmettre des pathogènes différents et de diverses manières.»

Le microbe peut aussi se transmettre par le biais de l’inhalation de fines particules (les aérosols) émises par les fientes de certains oiseaux, notamment les perruches et les perroquets. «En voyant le perroquet de La Castafiore, le capitaine Haddock était inquiet d’attraper la psittacose. À juste titre, car cette maladie est due à la bactérie Chlamydia psittaci que l’on retrouve dans les excréments de ce type de volatiles», remarque le microbiologiste qui est aussi tintinophile.

Enfin, il arrive que l’on contracte une zoonose par le biais de l’alimentation, par exemple «en mangeant du poisson cru, susceptible de transmettre des parasites, comme le ver Diphyllobothrium latum, ou en consommant un tartare de bœuf qui peut contenir le ver Taenia saginata.»

Une fois logé dans l’organisme d’un individu, le microorganisme se transmet, plus ou moins aisément, d’une personne à l’autre. Il peut le faire par l’intermédiaire des aérosols (pour les maladies respiratoires), du sang et/ou des rapports sexuels (Sida, hépatite B), de l’urine et des excréments (fièvre hémorragique Ebola), de la salive («maladie du baiser» due au virus Eptein-Barr) ou de contacts avec une surface contaminée. C’est alors que démarre l’épidémie, qui parfois se transforme en pandémie.

Le saut de la barrière des espèces

Comment se fait-il qu’une bactérie ou un virus, inoffensif pour le réservoir ou le vecteur, devienne pathogène quand il pénètre notre organisme? «À vrai dire, on ne sait pas vraiment, répond le microbiologiste. Il est possible que certains microbes aient déjà un pouvoir pathogène quand ils sont hébergés par un animal, lequel arrive à s’en défendre et à survivre.» Ensuite, au gré de ses mutations, le microorganisme gagne ou perd en virulence.

Cela dit, dans certains cas, comme dans celui de la grippe aviaire A/H5N1, transmise par le poulet et qui a sévi en Asie en 2005, le virus a subi un «réassortiment de son génome. Il renferme sept fragments d’ADN et il suffit que l’un de ceux-ci mute pour que son patrimoine génétique se réorganise, ce qui lui permet de franchir la barrière des espèces.»

Grand rhinolophe. La famille des chauves-souris fer à cheval, à laquelle appartient cet insectivore, est un réservoir de coronavirus. © Rudmer Zwerver / Shutterstock

Stratégies virales

Les virus ont ceci de particulier qu’ils sont incapables de vivre seuls. Pour se reproduire, ils doivent utiliser la machinerie cellulaire d’un animal ou d’un humain. Ce n’est généralement pas le cas des bactéries qui peuvent vivre de manière indépendante, «à l’exception de certaines bactéries intracellulaires comme la Rickettsie, la Coxiella ou de la Chlamydia qui, comme les virus, ont besoin de cellules pour se multiplier», explique le professeur de l’UNIL. 

Une fois qu’ils ont pénétré dans une cellule d’un individu, les virus intègrent donc leur génome à celui de leur hôte. «Certains sont malins, constate Gilbert Greub. Ils ne se multiplient pas et restent en état de latence. C’est le cas du virus de la varicelle, qui peut être réactivé des années plus tard et provoquer alors un zona.»

D’autres au contraire prolifèrent, «adoptant la stratégie du “hit and run”, ce qui signifie qu’en se répliquant rapidement et massivement, ils détruisent la cellule qui les hébergeait; ils doivent alors aller chercher une nouvelle niche pour proliférer.» Ce faisant, ils provoquent des dégâts dans l’organisme de la personne qu’ils ont infectée et qu’ils finissent même parfois par tuer.

Le rythme s’accélère

Les zoonoses sont aussi vieilles que l’humanité et leur apparition a d’abord été favorisée par la sédentarisation et la domestication des animaux. L’histoire est donc riche de grandes épidémies qui ont fait des ravages. Les siècles passés ont notamment connu la peste, le typhus et le paludisme (toujours endémique en Afrique). Depuis la fin du XXe siècle, d’autres maladies infectieuses ont émergé. Certaines, comme le sida et les hépatites, se sont répandues à la surface du globe. D’autres sont restées localisées à un seul continent: l’Asie, pour la grippe aviaire A/H5N1 et le SRAS, l’Afrique, pour Ebola. Parfois, un seul pays a été touché. C’est le cas des États-Unis «où le virus de l’encéphalite équine, qui sévit depuis l’été 2019, présente une mortalité chez l’humain d’environ 39% (il y a eu 15 décès sur 38 cas documentés).» De nouvelles zoonoses apparaissent donc sans cesse, mais le rythme auquel elles émergent s’accélère. Au point que Gilbert Greub estime «que l’on découvre maintenant une nouvelle maladie infectieuse presque chaque année».

Regain d’intérêt pour les balades en forêt

À cela le microbiologiste voit plusieurs causes, toutes liées à nos modes de vie (lire l’article p. 21). Dans nos contrées, remarque-t-il, «on assiste à un regain d’intérêt pour les balades en forêt et en montagne qui nous mettent en contact avec des tiques». En outre, la mode est à la possession d’animaux de compagnie d’origine exotique, comme des rats, des tortues, des serpents, des lézards ou des oiseaux venant de loin qui peuvent «provoquer des maladies que l’on ne connaissait pas avant». 

À cela s’ajoute l’intensification de l’élevage. «Aux Pays-Bas, la production à outrance de chèvres et de moutons a produit un cocktail explosif qui a conduit à une vaste épidémie de fièvre Q.» Entre 2009 et 2012, quatre mille Néerlandais ont en effet été affectés par cette infection due à Coxiella, «que l’on attrape au contact de chèvres et de moutons, précise le médecin-chercheur. Quelques cas d’infections humaines ont d’ailleurs été aussi documentés dans Lavaux en 2012, suite à l’infection de plusieurs centaines de moutons.» Depuis, la maladie est de déclaration obligatoire et Gilbert Greub, qui est également infectiologue, gère le centre de référence national qui délivre à la fois des conseils diagnostiques et thérapeutiques.

Par ailleurs, les êtres humains ne cessent de modifier les écosystèmes naturels. Tout particulièrement dans les régions tropicales qui abritent la plus grande biodiversité animale. La déforestation, les grands travaux dans la forêt, la création de zones suburbaines, etc. mettent les habitants en contact avec des animaux sauvages qu’ils n’avaient pas l’habitude de côtoyer auparavant.

L’impact du réchauffement climatique

Le réchauffement climatique a aussi sa part de responsabilité, car il modifie la répartition des vecteurs. Il permet à certains d’entre eux, habitués aux régions chaudes, de migrer vers le nord ou de coloniser des régions plus vastes en s’étendant à des altitudes plus élevées.

Gilbert Greub cite en exemple les tiques Ixodes ricinus, porteuses de bactéries apparentées aux Chlamydia, mais également vecteurs de la maladie de Lyme et du virus de l’encéphalite à tiques. «En neuf ans, la proportion du territoire suisse sur lequel on trouve ces tiques est passée de 16% à 25% (voir carte ci-dessous), car l’élévation des températures leur permet de survivre entre 1000 et 1500 mètres d’altitude.» On a aussi vu apparaître récemment en Suisse de nouveaux genres, dont le Rhipicephalus, qui est le vecteur de l’agent de la fièvre boutonneuse méditerranéenne.

Le constat est le même pour Aedes albopictus, le moustique tigre, qui transmet la dengue, le chikungunya et l’infection au virus Zika. «Venu de Madagascar, il est arrivé en Italie, puis dans le sud de la France et, en 2019, on l’a retrouvé sur le pourtour du Léman et en Valais. Le vecteur est donc là, même si l’on ne sait pas encore s’il est porteur des virus responsables de ces maladies.»

L’élévation de la température affecte aussi les glaciers et l’on peut craindre «qu’en fondant, des glaces du permafrost amènent dans l’eau de source des virus encore inconnus». 

On ne voit que la pointe de l’iceberg

Les nouveaux microbes pathogènes sont souvent découverts à l’occasion d’épidémies. Certes, celles-ci sont plus étroitement surveillées que par le passé et «l’on dispose maintenant d’outils qui nous permettent d’identifier les microbes et de préciser les maladies auxquelles ils sont associés», constate Gilbert Greub. 

Les chercheurs, les médecins et les industries pharmaceutiques «sont aussi de mieux en mieux armés pour développer rapidement des tests de diagnostic et de nouveaux traitements, ainsi que pour lancer des essais cliniques sur des candidats-vaccins, comme on le voit avec la Covid-19. Investir dans l’éducation et la science reste donc le meilleur moyen de faire face aux menaces actuelles ou futures.»

Car menaces il y a bel et bien. Nul ne sait combien de microbes peuplent la terre, ni lesquels sont potentiellement pathogènes. «On ne voit que la pointe d’un iceberg dont on n’a aucune idée de la taille», souligne le microbiologiste. Dans ces conditions, peut-on craindre qu’un jour, l’humanité soit décimée par un pathogène? Sans exclure totalement cette possibilité, Gilbert Greub ne le pense pas. Il constate «que les humains ont toujours vécu avec des microbes qui sont apparus sur terre il y a 3 à 4 milliards d’années, soit bien avant les hominidés». En outre, remarque-t-il, «plus l’agent pathogène est dangereux, plus on intensifie les mesures destinées à s’en protéger. Il y aura donc toujours une part de la population humaine qui va survivre.»

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