Les grandes puissances se disputent désormais l’organisation de grands événements comme la Coupe du monde de football et les Jeux olympiques. Cette nouvelle «Guerre froide» explique les poursuites engagées ces dernières années par les Etats-Unis contre la FIFA. Entretien avec Jean-Loup Chappelet (IDHEAP).
Peut-on parler d’une Guerre froide que se livreraient les grandes puissances actuellement dans le sport?
J’en suis persuadé, même si ce n’est plus la même «Guerre froide» qu’autrefois. La confrontation entre d’un côté, grosso modo, l’Europe, l’Amérique du Nord et le Japon, et de l’autre côté la Russie et la Chine persiste malgré tout. Ce n’est pas seulement une concurrence politique, c’est aussi une concurrence économique. Elle a fait le succès des Jeux olympiques pendant la première «Guerre froide» de l’après-Deuxième Guerre mondiale en symbolisant la lutte entre le bloc soviétique face à celui de l’Ouest. Après la chute du Mur, les Occidentaux pensaient avoir gagné! Mais la Russie a récupéré de son lustre, la Chine monte en puissance, et elle investit massivement dans le sport pour montrer qu’elle a rejoint le concert des nations! La confrontation se déroule entre ces blocs, même si, heureusement pour le sport, cela reste relativement doux. Mais il faut bien voir que, par exemple, la Russie a une vraie politique des grands événements?: elle a choisi d’organiser les Championnats du monde d’athlétisme en 2013, les Universiades d’été de 2013, les Jeux olympiques d’hiver en 2014, les Championnats du monde de natation 2015 et la Coupe du monde de football cet été.
Les USA ont-ils été vexés de ne pas obtenir l’organisation de la Coupe du monde de football en 2022?
Certainement. Preuve en est que le président Barack Obama avait vivement réagi à l’époque. Quelques semaines avant son départ de la Maison-Blanche, il avait affirmé que le processus d’attribution des Jeux olympiques d’été à Rio, comme de la Coupe du monde de football, avait été un peu «cuisiné»! Cela démontre une belle frustration de ne pas obtenir ces événements. Et c’est aussi pour cela que la Justice américaine a commencé à regarder de plus près ce qu’il se passait à la FIFA.
Cette dernière a-t-elle commis une erreur en attribuant simultanément les deux Coupes du monde?
Oui. Mais Sepp Blatter, alors président de la FIFA, avait très bien compris l’enjeu géopolitique. Il avait décidé la double attribution des éditions de 2018 et de 2022, en pensant qu’elles iraient à la Russie pour 2018, et aux Etats-Unis pour 2022. Mais cela ne s’est pas déroulé selon ses vœux. Il y a eu un jeu politique, notamment de l’ancien président français Nicolas Sarkozy, lors d’un fameux déjeuner organisé en 2010 à l’Elysée avec le prince héritier du Qatar, et Michel Platini, le président de l’UEFA (Union des associations européennes de football). Michel Platini a non seulement voté pour le Qatar, mais il a convaincu plusieurs membres du Comité exécutif de l’UEFA de le faire aussi. Ce pays l’a emporté haut la main, et les Américains ont été humiliés, comme avec la candidature de Chicago pour les JO.
Les enquêtes américaines sur la corruption au sein de la FIFA n’ont donc pas débuté par hasard?
Non. C’est justement dès 2010 que les problèmes judiciaires de la FIFA commencent, alors que des rumeurs couraient à ce sujet depuis 1990. Et, en 2015, nous avons assisté à plusieurs arrestations à Zurich, sur ordre du Gouvernement américain, du fait des traités d’extradition qui existent entre la Suisse et les Etats-Unis. On a dit que c’était à cause d’un petit procu- reur de New York. Mais pas du tout! C’est la ministre de la Justice, Loretta Lynch en personne, qui a annoncé une douzaine d’inculpations. Elle représente donc le Gouvernement des Etats-Unis! Même après la chute du Mur, la concurrence géopolitique entre les Etats-Unis et la Russie demeure. Pensez à l’affaire de dopage russe… Mais pour l’heure les Russes n’ont pas encore pu renvoyer le ballon.
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