Cérès, une planète dopée au carbone

Eric Verrecchia, Institut des dynamiques de la surface terrestre (IDYST)

La presse a récemment relevé les conclusions d’un travail de recherche publié dans la revue Nature Astronomy sur la plus petite des planètes naines du système solaire, Cérès. Cette dernière contiendrait des quantités de carbone importantes, soulevant ainsi de grandes questions sur l’origine de la matière organique, c’est-à-dire ces molécules essentielles pour construire les briques essentielles à la vie.

Décryptage avec le prof. Eric Verrecchia, de l’Institut des dynamiques de la surface terrestre.

On parle de planète naine, qu’est-ce que donc une planète naine ?

Les planètes naines sont des corps célestes d’assez grosse taille, mais restent néanmoins trop petites pour en faire des astres planétaires au sens strict. Par exemple, la « planète » Pluton, considérée longtemps comme la plus éloignée des planètes du système solaire, fait à présent partie du contingent des planètes naines, dont Cérès est aussi l’une des représentantes.

Qu’y aurait-il donc de remarquable sur cet élément rocheux ?

L’étude publiée dans Nature Astronomy en souligne plusieurs caractéristiques étonnantes : outre la présence de phyllosilicates, ces minéraux en feuillets auxquels sont associées les formes minérales parmi les plus banales à la surface de notre planète, à savoir les argiles, et de carbonates qui sont une espèce minéralogique à laquelle appartiennent les calcaires et les dolomies – c’est surtout les grandes quantité de carbone qui ont retenu l’attention ; en effet, la surface de la planète naine pourrait en contenir jusqu’à 20 % en masse, une proportion cinq fois supérieure à celle mesurée dans les chondrites carbonées qui sont des météorites très riches en carbone.

Beaucoup de carbone, cela voudrait-il dire qu’il y aurait des formes de vie ou qu’il y ait eu des formes de vie ?

Il y a loin de la coupe aux lèvres : le carbone est un élément extrêmement banal dans l’Univers, puisqu’après l’hydrogène et l’hélium, il est le troisième élément le plus abondant dans l’univers. Si le milieu interstellaire contient même des molécules complexes construites autour de structures contenant jusqu’à 11 carbones, ce n’est pas pour autant que la vie y est présente. Néanmoins, les auteurs de l’étude relèvent la proportion hors norme de cet élément, présent dans la croûte superficielle. Le matériel crustal – à la fois riche en carbone de chondrites carbonées qui se seraient écrasées à sa surface au cours de l’histoire de Cérès, et de matériel provenant d’une croûte primordiale – aurait fini par contenir de larges proportions de matériaux carbonés, organiques, et par se modifier au contact de fluides aqueux circulant dans la croûte. Les scientifiques se sont donc retrouvés face à une signature spectrale ressemblant à des éléments organiques parfois complexes. Mais un ensemble de molécules organiques, aussi complexes soient-elles, ne constitue pas encore un être vivant !

Mais alors, s’il y a présence de carbone et d’eau, n’y aurait-il pas les conditions requises à l’apparition de la vie ?

Une fois encore, il ne faut pas sauter les étapes. En revanche, ce qu’il y a de remarquable dans cette étude c’est non seulement l’observation de ces grandes quantités de matériel organique, mais aussi, et surtout pourrait-on dire, la présence de carbonate et d’argiles ! Ces derniers minéraux, les argiles ou silicates d’alumine hydratés, témoignent indubitablement de la présence d’une eau liquide et donc de la possibilité d’une chimie complexe du carbone en solution, base du vivant. Ces fluides, au long de leur course vers la croûte supérieure, auraient alors concentré les molécules organiques riches en carbone, les conduisant vers la surface de la planète naine. Enfin, les argiles – ici des structures assez complexes, les montmorillonites – seraient associées à des radicaux azotés : or l’azote est un élément fondamental du vivant. Si l’on ajoute le calcium, le magnésium et le fer présents dans les autres minéraux détectés, le cocktail est impressionnant.

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Y a-t-il une leçon particulière à tirer d’une telle concentration d’éléments ?

Oui, absolument. Par la présence de molécules azotées, de minéraux argileux, d’oxydes de fer, et bien sûr, de carbone sous des formes probablement variées, Cérès disposerait donc de beaucoup d’éléments et de structures moléculaires de la chimie dite pré-biotique, c’est-à-dire de cette chimie d’avant la vie et qui permet son émergence. En d’autres termes, on peut réellement se poser la question sur les sources du vivant dans l’univers : ne seraient-elles pas finalement banales et prêtes à conduire à la vie dès que les conditions optimales seraient atteintes sur un astre qui lui serait propice ?

Références

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