La pertinence de la notion de risque environnemental en question

risquePublié en mars 2013, l’ouvrage collectif Du risque à la menace. Penser la catastrophe fait le point sur les recherches concernant le risque en sciences sociales, et notamment sur les questions d’environnement. Edité au Presses Universitaires de France (PUF), ce livre, composé d’actes de colloque a été co-dirigé par Dominique Bourg, philosophe et professeur ordinaire à l’Institut de géographie et durabilité (IGD), avec les contributions d’Alain Kaufmann, directeur de l’Interface sciences société, et d’Alain Papaux, professeur ordinaire à la Faculté de droit et des sciences criminelles de l’UNIL.

Cet ouvrage fait référence à l’essai d’Ulrich Beck sur La Société du risque de 1986, qui constitue un repère épistémologique dans l’appréhension du risque. La Société du risque semblait signifier la prise de conscience collective de la vulnérabilité des sociétés contemporaines et d’un passage d’une société du progrès à une société du risque. Mais si les années 1970-1980 sont celles d’une prise de conscience des dégâts du « progrès », ce sont aussi celles d’un tournant néo-libéral directement en lien avec les risques environnementaux contemporains.

Dans le langage courant, le risque peut évoquer le danger, l’incertitude, le hasard ou l’aléa, avec l’idée d’une compensation qui fera suite à l’occurrence du risque. Dominique Bourg articule son discours sur la vacuité sémantique contemporaine du risque pour les questions environnementales globales. Au delà d’un calcul de probabilités associant aléa et vulnérabilité, la notion de risque ne concerne jamais que la partie d’un tout, et jamais le tout, d’où les idées de mutualisation et de compensation (monétaire via des mécanismes assurantiels). Partant du principe que la Biosphère au sens large est l’alpha et l’oméga de nos conditions naturelles d’existence, Dominique Bourg oppose à la notion du risque la notion de menace, plus englobante, faisant référence à la collectivité qui est tributaire des ressources de la Biosphère, qui est responsable de sa pérennité, mais qui est également responsable de sa dégradation. La menace est déclinée par l’auteur en faisceaux, comprenant notamment : le changement climatique, le cycle de l’azote, le taux d’érosion de la biodiversité, l’acidification des océans et l’usage des sols et de l’eau douce. Il relève que le seuil de dangerosité du climat (avec le cycle du carbone), de la biodiversité (sachant que nous sommes dans une période d’extinction de masse) et du cycle de l’azote sont déjà dépassés.

Or, la théorie classique du risque évoque, quelle que soit sa gravité, la possibilité d’un retour ultérieur à la normalité (statu quo ante). D’après le philosophe, certes peu optimiste, mais pas cynique pour autant, les dommages infligés à la Biosphère durant ces dernières décennies, compte tenu de l’inertie sociale et de l’inertie « mécanique » des phénomènes naturels à l’œuvre, ne peuvent pas être compensés par un retour à la normalité (la disparition massive des espèces végétales et animales confirme cet argument). En conséquence, le terme de menace, avec sa connotation irréversible (proche de la notion d’ « effondrement » développé par Jared Diamond), semble plus appropriée, sachant qu’en l’absence d’un changement radical et global de gouvernance de l’environnement, il est fort probable que notre planète ne soit plus à même de nous fournir les services écosystémiques essentiels à notre survie (et cela bien que leur valeur intrinsèque ait été évaluée et reconnue.)

Ainsi, le professeur Bourg propose aujourd’hui la notion de menace plus que la notion du risque pour ce qui concerne l’évolution de la Biosphère. Si ce changement de paradigme était adopté dans le langage courant, serait-il à même de modifier les comportements individuels pour une meilleure sauvegarde de l’environnement ? On est en droit d’espérer qu’en dehors des préoccupations sémantiques, le réveil face aux défis environnementaux se fera avant d’atteindre le point de basculement, celui d’un déclin collectif et globalisé.

Référence bibliographique

Dominique Bourg, Pierre-Benoît Joly, Alain Kaufmann, Du risque à la menace – Penser la catastrophe 2013, PUF, L’écologie en questions, 374 p.

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