Pardon, « sorry », désolé

«C’était sans doute une erreur», c’était «mal raisonné»… Au début novembre, Nicolas Sarkozy a choisi de reconnaître ses torts, au terme de deux semaines de polémiques provoquées par la candidature de son fils à la présidence de l’EPAD (Etablissement public d’aménagement de la Défense, à Paris). La stratégie du président français doit beaucoup à Barack Obama, qui s’est imposé comme un grand maître en matière d’excuses politiques durant cette année 2009.

Le président américain a commencé par regretter une erreur de casting dans la composition de son équipe d’un «j’ai foiré» («I screwed up!») inouï de franchise. Il a ensuite dû s’excuser, avec des termes plus appropriés, après un talk-show télévisé où il a ri de ses contre-performances au bowling, avant de les comparer au spectacle d’un athlète participant aux Jeux paralympiques.

Multirécidiviste, Barack Obama a enfin jugé «stupide» l’arrestation d’un ami noir par un policier blanc. Avant de réaliser que son intervention avait ravivé des tensions raciales, et d’inviter les deux protagonistes à le rejoindre à la Maison-Blanche, lui et le vice-président, pour un «sommet de la bière». Quatre types à table qui échangent tranquillement leurs points de vue autour d’une mousse. Les images de ce rendez-vous pacifique ont fait le tour du pays et le message de réconciliation est passé. Du grand art. «So cool».

Avec un bon sens du spectacle, Messieurs Obama (surtout) et Sarkozy (un peu) désacralisent les maîtres du monde. L’époque où un président hautain et présumé hypercompétent régnait avec arrogance sur le destin de millions de petites gens est bien révolue. Désormais, observe un linguiste de l’UNIL, un chef d’Etat qui a mal évalué une situation peut avoir intérêt à présenter des excuses. S’il sait choisir le ton juste ou le décorum adéquat, il en sortira grandi.

Difficile de croire que, quand Barack Obama et Nicolas Sarkozy adoptent un profil aussi modeste, la Suisse ne sera pas rapidement touchée par la mode. Nos dirigeants sauront-ils eux aussi trouver des mots apaisants, ou seront-ils tentés de se raidir et de défendre la justesse de leurs choix? Le tollé provoqué cette année par l’expédition de Hans-Rudolf Merz en Libye semble annoncer des heures difficiles.

Pourtant, les circonstances très spéciales de cet épisode en compliquent l’interprétation. Car le président suisse n’a pas présenté des excuses pour une erreur personnelle, mais a donné l’impression de se désolidariser d’une police cantonale. La pilule serait-elle mieux passée si Hans-Rudolf Merz avait accablé l’administration fédérale plutôt que Genève, en s’excusant par exemple de ne pas avoir accordé au fils Kadhafi la protection diplomatique qu’il pouvait attendre de la Suisse? Nous le saurons certainement dans un prochain épisode. Car le feuilleton va continuer.

En attendant, reste à constater que, dans cet art subtil des excuses en politique, chaque terme a son importance. On comprend que de fins bretteurs comme les présidents français et américain excellent dans cet exercice de haut vol, où il s’agit de calmer les esprits en jouant avec les mots. Et surtout, on mesure à quel point les politiciens suisses, davantage réputés pour leur sérieux que pour leur sens de la formule, évoluent à des années-lumière d’un Barack Obama. Ce handicap, s’il n’est pas corrigé rapidement, pourrait nous valoir des surprises «pas cool» du tout.

Jocelyn Rochat

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