Mars n’attaquera pas

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Tous les jours nous parviennent des images prises depuis le sol de la planète rouge. Mais toujours aucun habitant à signaler. Pendant longtemps, les Terriens avaient pourtant cru à l’existence de canaux artificiels, donc de vie. Allez savoir! en avait parlé il y a quinze ans.

Aujourd’hui, la planète rouge nous semble familière. Une application pour mobile comme Mars Images permet d’en recevoir des photos tous les jours, prises sur place par les robots Opportunity et Curiosity. Autant dire que la technologie rend tout à fait exotique à nos yeux «l’affaire des canaux» de Mars, qui passionna le public dès la fin du XIXe siècle.

Dans l’édition de mai 1998 d’Allez savoir!, le journaliste Jean-Bernard Desfayes avait interrogé Pierre North, alors astronome à l’Institut d’astronomie de l’Université de Lausanne et aujourd’hui maître d’enseignement et de recherche à l’EPFL.

«Le terme “canal” à propos de Mars apparaît vers le milieu du XIXe siècle, en Italie, mais il désigne alors tout aussi bien des zones caractéristiques et distinctes, comme Syrtis Major, que des lignes plus fines traversant la géographie martienne. Le premier à y voir “des lignes régulières et rectilignes semblant suivre de grands cercles du globe martien” est Giovanni Schiaparelli, en 1877. L’“inventeur” des “canali” n’est pas n’importe qui: il dirige l’observatoire de Milan et ses travaux sur les comètes font autorité à l’époque. Schiaparelli, explique Pierre North, pensait au départ qu’il s’agissait de formations géologiques; c’est seulement une vingtaine d’années plus tard qu’il envisagea l’hypothèse de véritables canaux d’origine artificielle.»

L’auteur signale qu’il ne faut pas sourire de cette idée, car «l’observation des planètes se faisait alors surtout à l’aide de lunettes de 20 à 40 cm d’ouverture […] La photographie n’était pas encore répandue et, de toute manière, les émulsions lentes des plaques sensibles n’étaient pas idéales pour ce genre de travail; l’observation visuelle se prêtait mieux aux apparitions fugitives des détails des planètes, en raison de la turbulence atmosphérique. Il y a cent ans, c’était l’œil de l’astronome qui devait surveiller l’instant fugace d’une accalmie et guetter le détail “vrai” au milieu d’un flou artistique et tremblotant. L’attente et l’imagination facilitaient bien des interprétations, suscitaient même des visions.»

«[…] L’idée de trouver si près de nous une planète où la vie […] avait reçu la caution de deux savants, avait tout pour séduire de moins avertis et de plus imaginatifs encore, à commencer par un astronome amateur fortuné, l’homme d’affaires américain Percival Lowell. Il s’emparera de l’idée en 1894, la fera sienne jusqu’à la caricature et mourra vingt-deux ans plus tard en croyant mordicus au mythe qu’il avait contribué à créer et qui, pourtant, partait déjà en quenouille.»

Car «[…] malgré les efforts déployés par les partisans des canaux, le scepticisme restait de mise dans la communauté scientifique, surtout de la part de vrais pros de l’astronomie qui, comme Barnard, disposaient des lunettes les plus puissantes de leur temps, par exemple celle de 1 m d’ouverture de l’observatoire de Yerkes.»

«Aux objections des contestataires, Lowell faisait une réponse imparable, explique Pierre North: tout le monde, disait-il, n’a pas l’acuité visuelle nécessaire pour discerner de fins détails planétaires. Les tisserands du conte d’Andersen, eux aussi, ne voyaient pas “les habits neufs de l’Empereur”, et pour cause puisque le souverain était nu; mais ils se taisaient pour ne pas passer pour des rustres…» […]

«Cette obstination chez Lowell et les adeptes de sa chapelle ne s’explique que par la volonté de démontrer l’existence de la vie extraterrestre et probablement d’apaiser ainsi l’effroi pascalien devant “le silence éternel de ces espaces infinis”.» […]

«Les grands télescopes modernes d’abord, les sondes spatiales ensuite ont fait un sort à cette théorie; mais l’idée qu’il pût y avoir de la végétation sur Mars, idée étayée par les changements de coloration saisonniers de grandes surfaces de la planète, s’est maintenue jusque dans les années 1960.»

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